Ce billet fait écho à une discussion entre les directeurs des offices de tourisme alsaciens engagée sur Facebook et poursuivie lors de leur réunion bimestrielle de vendredi dernier. Et bien que l’objet de la discussion fut très alsaco-alsacien, la problématique et les arguments échangés me semblent pouvoir illustrer une réflexion plus large.
LE POINT DE DÉPART DE L’AFFAIRE
Certains offices de tourisme viennent de recevoir en quantité une carte touristique de l’Alsace émanant d’une société privée avec l’invitation à la distribuer largement. Celle-ci est réalisée selon le vielle recette de la régie : seuls les annonceurs y figurent.
Or en 2018, l’Agence d’Attractivité de l’Alsace avait conduit un travail collaboratif assez exemplaire avec les offices de tourisme et Alsace Destination Tourisme pour réaliser la nouvelle carte touristique de la destination.
Tout le monde s’accorda sur une approche radicalement nouvelle, orientée expérience et demande sur le mode « localhood » d’inspiration nordique (voir ci-dessous).
Il faut dire que si cette carte fut saluée assez largement au niveau national, elle souleva dès sa sortie de nombreuses critiques en Alsace. Des reproches « classiques » concernant l’absence de certaines communes ou de certains sites, car la nouvelle approche induisait par nature un choix de points d’intérêt beaucoup plus sélectif. Mais aussi des retours négatifs des conseillers en séjour, ce type de carte ne leur paraissant pas (ou en tout cas moins) pertinent comme support pour l’accueil.
Donc vous l’avez compris, l’arrivée de la nouvelle carte « privée » a suscité des réactions diverses et variées, comme toujours dans un réseau très (ré)actif…
LES PROBLÈMES SOULEVÉS DANS LE DÉBAT
Cette discussion animée s’est articulée finalement autour de trois problématiques principales :
L’éthique
« Les OT ne peuvent pas distribuer et donc cautionner une carte où ne figurent que les sites qui ont payé et qui par nature n’est pas objective »
La diffusion
« Cette nouvelle carte privée existe et trouve son intérêt parce qu’elle est distribuée dans les hôtels et les sites. La carte « officielle » a été conçue pour un usage marketing et n’a été livrée qu’aux OT par souci d’économie »
La pertinence
« Certains sites non retenus pour la carte « officielle » ont besoin de visibilité pour les touristes en Alsace. C’est la démonstration que la forme de la carte officielle n’est pas pertinent pour accompagner le séjour »
QUELQUES ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION…
La carte est une représentation, elle porte une intention et une ambition
Alfred Korzybski en fait même l’archétype de sa théorie de la sémantique générale avec son aphorisme » Une carte n’est pas le territoire » .
Cette carte du monde de 1581 illustre parfaitement cette idée. On voit bien la volonté politique de proposer ou d’imposer une lecture d’un monde centré sur Jérusalem.
Il en va de même pour la cartographie touristique où l’on voit souvent bien l’intention portée. Pour la carte Alsace en illustration plus haut, la nouvelle approche propose clairement de mettre en valeur les éléments les plus emblématiques de la marque-destination et de les traduire en « expériences » incontournables. Et cela se fait naturellement au détriment d’une forme de catalogue de l’offre et des réseaux de circulation.
Une autre illustration me vient de mon dernier retour de vacances d’hiver, lorsque j’ai déjeuné dans un restaurant fort sympathique au bord du lac de Malbuisson, dans le Haut-Doubs. Il y avait là des sets de tables « touristiques ». Renseignement pris, ils ont été réalisés en 2017 (comme quoi ces documents peuvent avoir une longévité insoupçonnée…)
Là l’intention paraît être l’exhaustivité. La densité de la carte me laisse à penser que toutes les communes du département sont affichées.
En terme d’usage cela m’a permis de faire patienter les enfants entre les plats en jouant au premier qui trouve « Avoudrey » 😉
Manifestement la carte montre et situe tout sans véritable hiérarchie. Cela permet sans doute à certains de mieux se repérer sur le territoire, à condition d’avoir de bons yeux !
On le voit, l’intention commande la représentation. Et donc à chaque intention sa carte !
D’ailleurs sur une destination comme l’Alsace existent déjà de nombreuses cartes thématiques : vélo, randonnées, châteaux forts, Noël (on est en Alsace !), « sans ma voiture », etc.
Privilégier l’inspiration
Mais sur le même support on ne peut pas à la fois réaliser une carte « inspirante » valorisant l’âme d’une destination et une carte d’orientation et de présentation de la variété de l’offre du territoire.
Aujourd’hui de nombreuse solutions numériques sont disponibles et utilisées par les voyageurs pour se repérer et se guider en terre inconnue. Est-il encore utile et pertinent de créer des cartes tellement encombrées par le réseau routier complet à en devenir parfois illisibles ? Personnellement je ne le pense pas, d’autant plus que ces cartes routières touristiques cadrent dorénavant mal avec la mise en avant d’un tourisme plus écologiquement responsable.
Aussi il me semble plus utile de se concentrer sur une carte « inspirante » que sur une carte « présentoir », même si cette dernière paraît encore utile au guichet (voir plus bas sur ce sujet).
Une carte inspirante par territoire
Les stratégies d’attractivité ont montré tout le potentiel d’une belle articulation entre marque-destination et marque locale. Chaque territoire identifiable doit proposer sa carte inspirante en fonction de son positionnement au sein de la destination. La proposition de support avec un recto marque-destination et un verso territoire est sans aucun doute une voie intéressante qui nécessite, comme toujours, une bonne concertation et coordination entre les producteurs de chaque échelon territorial.
Toucher le public-cible là où il se trouve
Le parcours client passe rarement par l’OT… On estime souvent que les offices de tourisme accueillent entre 5 et 10% des visiteurs du territoire. La diffusion d’une carte de destination aux seuls offices de tourisme écarte délibérément 90% du public-cible. C’est ballot !
L’animation efficace du réseau des accueillants s’avère là aussi essentielle…
L’enjeu de la maîtrise de production cartographique
La carto d’inspiration représente un enjeu majeur pour affirmer et véhiculer une marque et un positionnement.
L’exemple de l’OT de Seignanx dépeint par Jean-Luc Boulin dans cet article montre l’étendue des possibles en la matière grâce à la cartographie open source Open Street Map.
Yapluka !