Comment avaient-ils vécu la guerre ?
Lorsque j’étais enfant à la fin des années 1970, j’avais pris l’habitude de poser de nombreuses questions à mes parents et mes grands-parents. Leurs histoires respectives me passionnaient. Un point particulier éveillait ma curiosité : « comment avaient-ils vécu la Guerre ? ». Ma mère est née en 1934. Elle me racontait avec précision la période de l’Occupation, l’absence de son père prisonnier, les petites filles juives arrêtées au printemps 1943 dans son école, mais aussi la Libération de Paris en août 1944 et le défilé sur les Champs-Elysées auquel elle assista sur le cadre du vélo de l’un de ses oncles. Mon père, né à Toulon en 1935, a fêté son dixième anniversaire quelques jours avant la capitulation de l’Allemagne en mai 1945. C’est lui qui me narra le premier les tickets de rationnement qui ne disparurent qu’en 1949, les petites fraudes quotidiennes pour un pain ou une livre de pommes de terre en plus. Jeune adulte, il partit comme ceux de son âge en Algérie pendant plus de deux ans. Mes grands-parents étaient nés entre 1908 et 1913. Toutes et tous gardaient un souvenir différent de la Première guerre mondiale. L’un de mes grands-pères se souvenait plus précisément de la grippe espagnole qui sévit entre 1918 et 1920 que du conflit et du bruit des armes. Même si l’un de ses oncles revint des tranchées défiguré, le bas du visage emporté par le souffle d’une grenade et rendu amnésique par la folie humaine. Il en avait gardé un surnom, « le cousin absent » puis « l’absent », présent au village mais absent de la vie. La grippe espagnole avait sévi dans les villes et les campagnes. Joseph, mon grand-père paternel, m’apprit très jeune que Guillaume Apollinaire et Edmond Rostand en étaient morts. Tous se souvenaient parfaitement de la Deuxième guerre mondiale. Et pour cause, ils étaient adultes, les hommes y avaient participé. Cinq années de captivité en Silésie pour Raymond, mon grand-père maternel. Mais ce qui me frappait le plus souvent, c’était l’idée communément partagée à la fin de leurs récits. Ils avaient vécu la peur, le froid, la faim, l’isolement. Ils avaient ressenti l’instinct de survie, la privation de liberté, la crainte de ne jamais s’en sortir. Et pourtant, ils avaient survécu. Parce qu’il fallait vivre, coûte que coûte. Continuer et rebâtir. Sans être naïfs, ils avaient connu les antiennes, presque les suppliques devenus des slogans, « la der des ders », le « plus jamais ça ». Ils y avaient cru un temps, mais la vie et les expériences les avaient rendus sceptiques au moment de nos échanges. Ils m’avaient raconté également qu’après la guerre venait le temps de la reconstruction. D’abord le temps de nouveaux sacrifices, de poussières, des économies. Puis celui consacré à consolider, reconstruire, bâtir, un autre temps de bruit et de fureur. On reconstruisait une famille, une maison, une rue, un quartier, une ville, un pays, un continent. C’était le temps du progrès. Ma grand-mère Suzanne qui travaillait à la Banque de France ma raconta précisément le Plan Marshall, la construction d’infrastructures et de l’appareil productif. Les facilités pour acheter une première voiture, de l’essence et commencer à voyager. Et finalement la découverte de l’altérité. Parce que la paix passait par la connaissance de l’autre, l’ouverture des frontières, la confiance en ses voisins. Mon grand-père Raymond, ancien prisonnier, finit sa vie en passant ses vacances en Allemagne, de l’autre côte de la frontière qu’il avait crainte et haïe quelques décennies plus tôt…
Sommes-nous vraiment en guerre ?
Depuis le 16 mars, j’ai pensé à de nombreuses reprises à mes grands-parents. Tous sont morts depuis longtemps maintenant. Mes parents sont âgés, vivent dans l’est de la France. Ils ont heureusement échappé, au moins pour l’instant, au virus qui restera dans les livres d’histoire. Le Covid-19 marquera l’année 2020, comme d’autres pandémies ou évènements ont jalonné notre histoire. Les pestes de toutes couleurs ou les grippes de tous les pays, ou presque. Depuis le 16 mars, comme nous toutes et tous, confiné à la campagne, j’ai eu le temps de beaucoup écouter les avis d’experts, certains avérés, d’autres moins. Des médecins m’ont passionné, expliquant les mesures de confinement, détaillant l’histoire des pandémies, analysant les faits et les chiffres. Me suis souvenu d’ailleurs avoir créé un cours avec l’un d’entre eux, mon ami et ex-collègue William Dab il y a une quinzaine d’années sur le thème « tourisme et risques sanitaires ». Certains autres, que je connais parfois bien, m’ont surpris, je ne les savais pas experts en toutes choses et leurs déclarations ont pu me faire sourire. Le plateau télévisé peut pousser à dire bien des inepties. D’autres ont éclairé mes connaissances, prenant distances et hauteurs pour tenter de comprendre notre situation dont toutes et tous s’accordaient à dire qu’elle était « inédite ». J’ai écouté le Président de la République nous dire que nous sommes en « guerre sanitaire, certes, ni contre une armée, ni contre Nation, mais l’ennemi est là, invisible et insaisissable ». Je l’ai vu à Mulhouse sur le champ de bataille, écouté de nouveau nous rappeler que nous « que nous étions engagés dans une guerre, une guerre contre un ennemi invisible, ce virus, le Covid-19 et cette ville, ce territoire porte les morsures de celui-ci. Lorsqu’on engage une guerre, on s’y engage tout entier, on s’y mobilise dans l’unité. » Je l’ai revu enfin la semaine dernière nous parler des trois lignes de notre combat, célébrant chacune d’entre elles au premier rang desquelles nos formidables personnels médicaux. Je l’ai écouté nous dire que « l’espoir renait », qu’il « faudra bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seules peuvent permettre de faire face aux crises à venir » et nous promettre « des jours heureux ».
Quelle guerre menons-nous ?
Depuis le 16 mars, j’ai beaucoup lu. Etions-nous en guerre ou entrions en résistance ? Les avis des experts étaient partagés, je me devais de forger le mien. J’ai d’abord rouvert les « Mémoires de guerre » du Général de Gaulle que les années avaient exilées loin au fond de ma bibliothèque. « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France… Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays, tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans grandeur. » J’ai ensuite relu l’histoire du Conseil national de la Résistance (CNR). Son action au moment de la libération était parfois rappelée, avec notamment la nationalisation de l’énergie, des assurances et des banques mais aussi la création du régime général de la Sécurité sociale. J’ai lu des articles et des tribunes. Roberto Saviano rappela dans Le Monde du 15 avril que « la faiblesse, c’est de se croire invincible » en décrivant et analysant la situation italienne et la détresse du système de santé dans le nord, pourtant riche, de la péninsule face au virus. Une détresse que les compromissions et les infiltrations mafieuses ont rendue possible. Dominique Strauss-Kahn proposa une lecture assez passionnante sur « L’être, l’avoir et le pouvoir dans la crise », détaillant la crise à court terme (crise de l’avoir) les perspectives à moyen et long terme et la crise du pouvoir avec la prophétie que nous « entrons sans doute dans un autre monde », fondé sur un « autre paradigme » : un changement de la relation entre les États donc un nouvel équilibre géopolitique et un changement de la relation entre les hommes.
De nombreuses analyses tentèrent de comprendre pourquoi l’Allemagne semblait si réactive et performante, pourquoi l’Europe était la grande absente. A quoi peut-elle bien servir encore, me suis-je même demandé, en imaginant le « monde d’après » ? Car voilà notre grande affaire collective, que sera-t-il ce monde d’après ? J’ai d’abord lu une tribune intutilée « Il n’y aura pas de monde d’après » dans laquelle l’auteur, Sacha Benhamou, stigmatise le confinement de notre pensée, notre capacité à désigner chacun « notre bouc-émissaire : le néo-libéralisme et mondialisation pour les uns, la faillite de l’Etat pour les autres. » « Notre démocratie est d’abord pensée pour des périodes « ordinaires », et c’est bien naturel car plus personne ne songe à vivre en état de guerre permanent. Ni le libéralisme ni le collectivisme n’ont de réponse absolue à apporter à cet état d’exception, et il est encore trop tôt pour désigner le meilleur élève de la communauté internationale ». « Il n’y aura pas de « monde d’après » contrairement à ce que certains aiment prophétiser. Il s’agit d’une crise sanitaire de force majeure. Point. »
D’autres voix sont venues murmurer à mon oreille. J’ai d’abord essayé de comprendre l’histoire de cette pandémie, venue de Chine, qui pose d’abord la question de notre rapport au vivant. Un échange « La vengeance du pangolin » sur le sujet entre le vétérinaire et épidémiologiste François Moutou et l’anthropologue Frédéric Keck m’a passionné, tentant de comprendre les causes de la pandémie et d’analyser ses effets sur notre rapport aux autres êtres vivants. « La crise du coronavirus nous rappelle brutalement que nous vivons au milieu d’autres espèces. ». « Le confinement est davantage le signal d’un échec dans la préparation aux pandémies qu’une mesure ordinaire de préparation. » J’ai ensuite consulté de toutes parts des avis de quantités de disciplines. Le sociologue Michel Wieworka a présenté son point du vue dans « Le coronavirus : une crise de la crise du progrès ». Une phrase a particulièrement retenu mon attention :« plutôt que de s’arrêter à l’opposition stérile entre démocratie et dictature, mieux vaut considérer le rapport que chaque société entretient avec son avenir, sa capacité à se penser en termes historiques, à s’inventer un futur. » Alors j’ai regardé les futurs possibles. Naomi Klein m’a dit « que la crise du coronavirus est l’occasion d’élaborer un autre modèle économique, un “Green New Deal”. »
Dans un long entretien accordé au Monde, Edgar Morin partage sa maxime « attends-toi à l’inattendu » et explique que « la crise due au coronavirus était prévisible tant sont nombreuses les catastrophes en chaîne provoquées par le débridement incontrôlé de la mondialisation techno-économique, dont celles issues de la dégradation de la biosphère et de la dégradation des sociétés. » « Cette crise devrait ouvrir nos esprits depuis longtemps confinés sur l’immédiat ».
Et puis certains ont commencé à proposer des solutions, à imaginer ce fameux « monde d’après ». Un monde promis au renouveau, une nouvelle Renaissance. D’autres s’en sont fait l’écho sur ce même blog il y a quelques jours. Gaël Giraud plaide pour un retour massif de l’Etat dans l’économie, l’annulation d’une partie de notre dette, « relocaliser et lancer une réindustrialisation verte de l’économie française ». Cyril Dion pense que « la crise du Covid-19 peut nous aider à construire le monde d’après » en tirant les leçons du chaos que nous traversons, une société plus juste et plus vivable. Et surtout de mieux appréhender un autre grand danger : le dérèglement climatique.
La Révolution du voyage
Dans le fond, la profusion des analyses et des points de vue ajoutait un peu de chaos à mon propre chaos. Et puis je me suis souvenu d’une citation de Churchill que l’un de mes grands-pères aimait à me citer. « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté. » Alors j’ai cru que dans ce monde fait d’incertitudes, et le « monde d’après » imaginé, il fallait y voir des opportunités. Le secteur du tourisme en serait un exemple parfait. C’est d’ailleurs dans cette optique que j’ai lu la lettre ouverte de Christian Delom, « Voyage : c’est une crise ? Non, c’est une révolution ! ». Car oui, le voyage et le tourisme vont demeurer « une composante naturelle de l’homme », mais « le voyage doit changer pour continuer à être un des moteurs de l’humanité, de sa prospérité, de sa responsabilité et de son développement. » « Le tourisme doit faire sa révolution de la demande pour assurer celle de l’offre. » « Penser un redémarrage à l’identique serait l’erreur à ne pas commettre ». « La culture de l’accueil devient la clé de voûte de l’édifice. » « Le défi ainsi posé est celui de l’efficacité et de l’adaptabilité. » « Mettre la composante humaine au cœur de l’offre touristique n’est pas inclure du service dans de la logistique, c’est construire la logistique autour du service. » Et c’est aussi dans ce sens que j’ai compris le propos présidentiel du 13 avril dernier : « rapidement, un plan spécifique sera mis en œuvre pour les secteurs qui, comme le tourisme, l’hôtellerie, la restauration, la culture et l’événementiel, seront durablement affectés. Des annulations de charges et des aides spécifiques seront mises en place. »
Churchill avait sans doute raison. Des opportunités naissent de chaque difficulté. Le « monde d’après » ne sera certainement pas radicalement différent de celui que nous avons connu jusqu’alors. Parce qu’il sera peuplé de femmes et d’hommes qui éprouveront des passions, subiront des chocs et des crises, tenteront pour la plupart d’entre eux d’en survivre. Souvent en baissant la garde avec le temps, en oubliant les engagements des générations passées et le sens de notre histoire. Qui en 1945 aurait pensé que des jeunes européens, quelques décennies plus tard, ignoreraient le terme Holocauste ? Pour autant, nos générations, celles qui n’avons pas connu d’autres guerres que celles vues dans les médias, avons devant nous des perspectives relativement sombres si l’on écoute les avertissements de tous ordres : la croissance démographique, la disparition du vivant, les pandémies, le réchauffement climatique, l’accès à l’eau potable sont par exemple certains des facteurs que nous devrons intégrer à nos modes de vie et à l’ensemble de nos actions. Les optimistes les considéreront comme autant d’opportunités pour le secteur du voyage et du tourisme, qui nécessitent dès aujourd’hui des actions à différents termes, des adaptations voire des révolutions. Les pessimistes y verront des obstacles insurmontables !
A court terme, vive l’Etat-Providence !
A court terme, le « monde d’après » peut constituer une opportunité pour l’Etat de montrer qu’il existe encore, en dehors de sa capacité d’édicter des règles souvent absurdes et contradictoires et de masquer ses carences ou ses incompétences sous un verbiage excessif et des contraintes trop pesantes. Son action depuis le début de Covid-19 en matière d’aide à la survie des entreprises touristiques est assez exemplaire en matière de célérité d’intervention et de mobilisation des moyens. Il faut bien avouer que l’urgence est manifeste. « Une vague de faillites s’annonce dans le commerce ». « La quasi-totalité des commerçants se retrouvent aujourd’hui dans une situation de grande incertitude. Un récent sondage mené par le Conseil du Commerce de France montre que près du tiers des commerces indépendants pensent à une fermeture définitive, malgré le discours de Bruno Le Maire assurant qu’il « préfère avoir des milliards de dettes que des faillites ». Pour le secteur du tourisme, les perspectives à court terme sont encore plus sombres. Un article de Tourmag nous apprend que « dans le cadre de la préparation du Plan spécifique au Tourisme, annoncé par Emmanuel Macron lundi dernier, la Confédération des acteurs du tourisme (CAT), vient d’adresser une étude prévisionnelle de l’activité du tourisme au Premier ministre. Le moins que l’on puisse dire est que la tableau dépeint est plutôt noir, avec un véritable effondrement de l’activité estimée à 85% jusqu’à la fin de l’année, toutes activités confondues. »
L’intervention de l’Etat correspond-il à un retour de l’Etat-Providence, à l’image de la perspective de la nationalisation partielle d’Air France ? Ou à un acte de contrition après des décennies d’acceptation voire de soutien à l’externalisation des moyens de production de la France (perte en soixante-dix années plus de 50% du tissu industriel) ? Ou bien une repentance devant des décennies de compromission idéologique, l’Etat ayant abandonné son rôle d’accompagnement bienveillant des entreprises dans le respect strict et absolu de pratiques honnêtes, et pratiqué sans cap ni vision des prélèvements et charges souvent excessives auxquels sont surtout soumises les PME et les plus modestes TPI ?
Le soutien de la BPI est précieux. Jean-Baptiste Lemoyne se félicitait il y a quelques jours que quelques 14.000 entreprises aient pu bénéficier de prêts pour un montant de plus d’un milliard d’Euros. La question du report ou de l’annulation des charges n’est pas encore définitivement tranchée. Mais il est évident que le court terme et la survie du maximum d’entreprises devra présider les décisions et les actions. Encore faut-il que l’ensemble des acteurs (assurances et banques notamment) jouent le jeu. De nombreux cas d’abus d’agios (à plus de 13%) sont pratiqués en cas de découverts pour les toutes petites structures. L’Etat devra se faire respecter et honorer ses engagements. D’autres voix se font entendre et réclament « un plan Marshall pour le tourisme ». C’est le cas par exemple de David Lisnard, maire de Cannes et président du CRT Côte d’Azur qui demande au « gouvernement d’abonder avec le soutien Atout France des plans de promotion mais aussi marketing et commerciaux à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros ciblant d’abord la France, ce qui sera sans doute le territoire réduit qui nous sera autorisé dans les prochains mois. ». La reconstruction du tourisme passera par la proximité. Le redémarrage proviendra de la consommation domestique. On a vu fleurir d’ailleurs sur les réseaux sociaux quantité de messages en ce sens.
« Le monde d’après » à moyen et long terme
A moyen et long terme, plusieurs axes de réflexion semblent possibles pour imaginer le « monde d’après ».
L’Etat-Providence qui a réussi souvent par lâcheté, par préoccupations égoïstes et pécuniaires, par intérêts personnels dévoyés de nombreux élus à tous niveaux, par des hauts fonctionnaires sans vision ni pragmatisme, par la création d’une multitude d’organismes parasitaires (hauts conseils, hautes autorités, commissions, associations de complaisance, etc.) dont l’utilité ne s’est que rarement avérée nécessaire, devra repenser son modèle d’organisation. Les Etats dont on dit qu’ils ont le mieux géré (à ce jour) le Covid-19 n’ont pas transigé avec la démocratie. C’est vrai pour la Nouvelle-Zélande, l’Islande ou la Corée du Sud.
L’exemple allemand, s’il n’est pas parfait, mériterait d’inspirer une sérieuse réforme de nos institutions. Les Länder semblent avoir répondu plus rapidement et plus précisément à certains enjeux de santé publique. La question de la transparence en politique sera posée, c’est une évidence. Elle sera posée en France, mais aussi partout dans le monde, des Etats-Unis et la gestion calamiteuse et égocentrique de Donald Trump à la Chine d’où vient le virus, mais elle se posera partout où les autocrates tentent de renforcer leurs pouvoirs : Viktor Orban en Hongrie, Jair Bolsonaro au Brésil, Rodrigo Duterte aux Philippines, Narendra Modi en Inde… La transparence nécessite également de parler d’une refonte du modèle européen, dont l’action inaudible en cette période de crise sanitaire majeure pose réellement la question de ce que nous avons fait de la grand avancée démocratique et citoyenne imaginée par ses pères, aux lendemains de la Deuxième guerre mondiale, de nos frontières rétablies avec des pays qui semblaient pourtant devoir devenir nos frères.
La transparence sera sans doute l’un des axes du renouveau du secteur du voyage et du tourisme. Dans une interview très récente et assez passionnante, Jean-Pierre Nadir y voit même l’une des bases de reconstruction du modèle touristique, un tourisme « plus prudent, moins conquérant, fait de développement responsable et d’investissements raisonnés », « un tourisme authentique et responsable », un tourisme où « nous voyagerons moins souvent, mais plus longtemps et surtout différemment, en nous appuyant sur un agent de voyages « assisteur ». La crise sanitaire va « modifier non seulement les hommes, les acteurs, mais aussi leur rapport au monde. Les paradigmes vont changer, comme après le 11 septembre. » « Après le Covid-19, le passeport sanitaire va s’imposer, les frontières réapparaître, et le monde que nous avons cru aseptisé et lissé de toutes différences, va également reprendre toutes ses couleurs, se réenchanter de toutes ses traditions et cultures. » « Voyager ne sera plus seulement la démonstration de bien être individuel, mais bien l’expression d’un partage vertueux. ».
Le « monde d’après » : un nouveau nouveau monde, vraiment ?
Depuis le 16 mars, je repense souvent aux générations qui nous ont précédés. Sommes-nous en guerre ? Sommes-nous entrés en résistance ? Sommes-nous des héros parce que nous nous calfeutrons chez nous en respectant les consignes de distanciation sociale ? Rien n’est moins sûr. Ce matin, me revient en mémoire une phrase que mon grand-père Raymond aimait dire lorsqu’il voulait critiquer le monde des années 1980 et 1990 « une bonne guerre lui ferait du bien ». Il n’aimait pas les excès de la société de consommation, le sens que l’économie prenait, le « toujours plus », les inégalités qui se creusaient. Il aimait citer Jean-Jacques Rousseau, pour qui « ce sont les grandes occasions qui font les grands hommes ». Qu’aurait-il pensé de cet épisode de virus et de confinement mondialisés ? Quels grands hommes, ou grandes femmes, aurait-il vu comme phare pour guider notre reconstruction ?
Les leçons de cette pandémie sont multiples. Le monde économique s’est arrêté de tourner mais le monde tourne encore. Les animaux sont de retour dans les centres villes, les pollutions urbaines ont pour un temps disparu, de nouvelles formes de travail et de sociabilité sont apparues. Est-ce suffisant ? Non. Les Chinois déconfinés se précipitent de nouveau dans les magasins de luxe. Le 11 avril, la boutique Hermès de Guangzhou a réalisé un chiffre d’affaires de 2,7 millions $ (2,46 millions €) au moment de sa réouverture soit un record absolu pour Hermès en Chine.
Le paradigme de notre monde doit être repensé. Il est certain que le temps n’est pas aux querelles idéologiques. Pour autant, le secteur du tourisme et du voyage va voir assurément deux visions s’opposer à court terme. Et quelque chose me dit que ces deux mondes, ces deux réalités objectives, devront cohabiter. Un ancien monde contre un nouveau monde ? Une nouvelle querelle des anciens et des modernes ? En dehors de l’intervention de l’Etat déjà observée et engagée, même si de nombreux doutes subsistent à ce jour, c’est du côté des collectivités et des entreprises c’est-à-dire de l’offre touristique que l’enjeu sera le plus fort dans les années à venir. D’un côté les industriels voudront sans doute repartir comme avant, encore plus vite et plus fort, pour retrouver les chiffres de croissance, les courses à l’équipement, les enjeux de la mondialisation. C’est le cas notamment des compagnies aériennes sur lesquelles plane une menace de faillite collective. De l’autre, les PME qui survivront vont devoir se réinventer, autour des notions de proximité, de qualité, d’environnement, de confiance, de transparence, de solidarité. Avec de nouveaux récits, de nouveaux espaces, de nouvelles espèces touristiques. Avec une compréhension des risques. Donc l’acceptation de nouveaux impératifs en matière de sécurité, notamment sanitaire et environnementale. De nouvelles normes ou certifications sont déjà en cours d’élaboration pour préparer le déconfinement dans le secteur de l’hôtellerie et imaginer une nouvelle hospitalité. Ces normes seront généralisées aux destinations, aux espaces publics, aux festivals, aux musées, etc. C’est-à-dire à l’ensemble de la chaîne de valeur touristique. Une chaîne de valeur humaine et solidaire. « La fraternité n’est qu’une idée humaine et la solidarité est une idée universelle » (Victor Hugo).
dans l’attente de la potion magique…