Darjeelin : le crowdsourcing aura-t-il la peau du marketing dans le tourisme ?

Publié le 6 février 2013
5 min

Avant de vous parler de Darjeelin, du partage et de la monétisation des savoirs experts dans l’aérien touristique,  je reprends ici un concept développé par Michel Volle, coprésident de l’institut Xerfi et exposé dans une publication du Centre d’Analyse Stratégique sur la cybermondialisation. Il s’agit de l’iconomie. Selon son idée, dans notre monde à l’économie mondialisée « un produit devient un assemblage de biens et de services, produit par un réseau de partenaires et non plus de « A à Z » dans une seule entité ». La nouvelle entreprise mondiale s’articule autour d’un système d’information et présente la  configuration suivante : un centre de recherche aux côtés d’une usine qui forme le « noyau dur » de l’organisation, auquel s’ajoutent des usines dispersées dans le monde, afin d’être notamment au plus près des clients. M. Volle regrette que ces entreprises, tout  en demandant à leurs agents de prendre des initiatives, les écoutent rarement quand ils souhaitent faire remonter des informations du terrain en vue d’améliorer produits, services et process, au nom d’une certaine conception du pouvoir. 

Une autre conception de l’économie, portée par le numérique, a vu le jour voilà moins de dix ans : le crowdsourcing ou l’art de l’externationalisation ouverte, parfaitement bien défini ici dans Wikipedia. A savoir, un projet est exposé et enrichi par des dizaines, centaines ou milliers de participants, partout sur la planète, qui apportent des idées ou des expériences. En ce moment, le constructeur Volvo teste le concept d’une application mobile offrant des services associés à l’utilisation de ces voitures en partageant des idées et en puisant dans des propositions de communautés de fans sur Facebook. Cette démarche rompt avec le marketing traditionnel de l’offre, de la demande et de la création de produits ou services en fonction des carences. Le marketing classique pourrait vaciller sous l’effet du crowdsourcing. Les consommateurs participent à la création de l’oeuvre originale. Thomas Kehl anime un Pearltrees bien senti sur le crowdsourcing et démontre son intérêt dans ses perles. 

Le tourisme institutionnel en retrait

Bizarrement, alors que notre secteur touristique institutionnel a fortement investi les espaces collaboratifs sur Facebook, Twitter et Google+, pour ne parler que des réseaux sociaux majeurs, je ne note pas d’initiatives puissantes en crowdsourcing comme d’autres secteurs l’ont fait, je pense notamment à Touscoprod dans le monde du cinéma. Pourtant les sujets à investir existent, en voici quelques-uns en vrac qui me traversent l’esprit rapidement et que je soumets à votre sagacité :

– nouveau projet d’un office de tourisme (extension, équipement, services) : faire participer les prestataires et les clients dans une esquisse préalable me paraîtrait astucieux ;

– création d’un événement culturel ou sportif partagé avec un rayonnement international (genre le même événement marqué de votre destination qui se déroulerait avec adaptations en divers lieux du monde) ;

–  quid d’une équipe d’egreeters qui prendrait la parole pour animer des contenus de votre destination dans des langues étrangères ?

Dans le tourisme, finalement, c’est chez les opérateurs privés de type Airbnb, ou encore dans une forme assez primaire avec les sites d’avis alimentés par les voyageurs, que le crowdsourcing s’est répandu. Il faut dire que si l’idée d’une co-construction est géniale, la question des droits sur la propriété intellectuelle d’un concept né à partir d’échanges avec des quidams, n’est pas facile à aborder.

Darjeelin fait appel à des experts pour trouver les meilleurs billets d’avion

 

 

Tout récemment, des inventeurs français ont lancé Darjeelin qui est une plateforme visant à rendre service aux voyageurs dans leurs recherches de billets d’avion en faisant appel à une communauté d’experts (150 au total selon l’un de ses fondateurs Charles Guilhamon avec qui je me suis entretenu).

La recherche du bon plan aérien peut prendre du temps (le yield management, mais aussi l’évolution tarifaire en fonction des allers et venues des internautes sur les sites dédiés et comparateurs via la mesure tracée des codes IP des PC, compliquent les recherches). Aussi des flight-hackers (spécialistes aériens, notamment agents de voyages) veillent, trouvent et proposent des bons plans aériens, avec les meilleurs prix garantis, au grand public. Flightfox applique ce modèle aux Etats Unis depuis quelque temps déjà. Les consommateurs confient leurs désirs, les experts dénichent des offres qui garantissent de vraies économies en temps et en argent. Les hommes au service des hommes pour compenser les carences des outils informatiques quand les questions sont complexes, voilà ce modèle de crowdsourcing.

 

D’un point de vue pratique, le voyageur intéressé paie 20 euros et lance un concours sur Darjeelin pour trouver son billet d’avion long-courrier le moins cher possible. Il renseigne des critères comme le confort, le temps d’escale ou la flexibilité des horaires. Six experts concurrents sont alors engagés en fonction de critères propres à Darjeelin parmi son vivier de 150 et recherchent  la meilleure offre du web du moment. L’émulation est réelle. Les propositions sont fournies pendant une durée de trois jours. Le voyageur choisit alors le billet qui lui convient.

Pour son travail l’expert retenu touche 15 euros et Darjeelin les 5 euros de solde. Rapidité, connaissance des failles des moteurs de recherche aériens, intérêts bien compris et partagés, peuvent fonder le succès de l’opération, dont le site est actuellement en beta. Charles Guilhamon souligne que le succès des concours est lié à la complexité des vols. Un vol avec étape, incluant du low cost dans un parcours commencé avec une compagnie régulière sera bien plus attractif qu’une ligne transatlantique de point à point. Lancé mi décembre 2012, le site a conclu avec succès 100 concours sachant que les internautes qui s’inscrivent payent d’office leur 20 € pour marquer leur engagement.

A voir si du côté des Offices de Tourisme, il n’y aurait pas un conseil humain à construire en crowdsourcing pour proposer, en tant que spécialistes de leur destination, les meilleures offres territoriales du moment ? J’y verrai une solution humaine et technologique s’appuyant sur une vraie connaissance de l’offre, une vraie sélection, un vrai conseil, des relations humaines en lieu et place de bêtes outils techno de mise en relation dont on sait qu’ils ne satisfont que rarement et pleinement les OT et les prospects. Enfin, je dis ça comme ça, juste une fulgurance éditoriale ! C’est vous qui voyez.

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François Perroy est aujourd’hui cofondateur d'Agitateurs de Destinations Numériques et directeur de l’agence Emotio Tourisme, spécialisée en marketing et en éditorial touristiques. Il a créé et animé de 1999 à 2005 l’agence un Air de Vacances.  Précédemment, il a occupé des fonctions de directeur marketing au sein de l’agence Haute Saison (DDB) et de journaliste en presse professionnelle du tourisme à L’Officiel des Terrains de Camping et pour l'Echo Touristique. Il [...]
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