Deuxième épisode de notre série sur les OT et les OTAs. Lundi, François a lancé la thématique avec un billet présentant le jeu de Go qui se joue entre les destinations (nommées OGD), les hébergeurs professionnels et les OTAs.
Aujourd’hui, pour cette seconde analyse, nous avons entrepris de recenser les arguments fréquemment posés et entendus sur la pertinence pour un OGD (office de tourisme, CDT, voire CRT) d’investir dans une solution de réservation autonome pour offrir ce service à ses hébergeurs. Evidemment, nous présenterons les arguments à charge et à décharge. Un article (un peu long, pardonnez-nous) à quatre rédacteurs : Jean-Luc Boulin, Mathieu Bruc, Philippe Fabry et Ludovic Dublanchet.
A charge : pourquoi la résa institutionnelle ne fonctionne-t-elle pas?
A l’origine, la place des OGD dans la commercialisation est justifiée, car elle représente une aide incontournable à la mise en marché de nombreux acteurs, notamment du secteur diffus. Aujourd’hui, nous pouvons faire un constat d’échec. Pourquoi ?
1/ Pas d’unité dans la construction des outils
Force est de constater que le développement de solutions disparates à chaque échelon administratif n’a pas permis d’agrégation à un niveau national, voire même régional, avec un morcellement de l’offre proposée ne correspondant pas au périmètre de destinations recherchées par le client.
Vie et mort du serveur national de réservation…
Dans les années 1990 au niveau national, il y a eu un début de réflexion sur les « outils informatiques » avec les organismes territoriaux. L’objectif était triple, il s’agissait de développer des supports d’information, de promotion et de réservation. Les travaux ont donné lieu à 3 grands projets en 1994 :
- La « norme » Tourinfrance, un format commun d’échange des données. C’est la que débute la grande épopée des bordereaux tourinfrance…
- Resinfrance un serveur de réservation national des produits touristiques
- Et enfin l’apparition de franceguide.com, le site de Maison de la France dont l’objectif était de promouvoir la destination France auprès des clientèles étrangères
Le serveur Resinfrance rentre en service en 1999 et reçoit plus d’un million de visiteurs en 2003 : environ 13 500 produits touristiques et environ 20 000 dossiers de réservations sont traités cette année là. Cela représente une faible part de l’offre touristique et un volume de dossiers peu important. Le succès est loin d’être au rendez-vous faute de moyen et de coordination entre les acteurs… En 2004, marque un nouveau tournant dans la stratégie nationale. Il est décidé que franceguide.com doit devenir le portail national d’information, de promotion et de réservation de la France (http://www.lechotouristique.com/article/finalisation-du-rapprochement-entre-maison-de-la-france-et-resinfrance,9248 et http://www.strategos.fr/spip.php?page=article-numero&id_article=161).
En 2006, la SAS FranceGuide a été créée pour assurer la reprise en main de Resinfrance, devenu le Serveur National de Réservation (ou SNR), franceguide.com restant le site Internet de Maison de la France et un support marketing et de promotion de la destination. Une nouvelle étape a été franchie avec l’intégration d’une marque blanche du moteur de réservation du serveur national, permettant la réservation sur www.franceguide.com sur le marché français dès juin 2006, et, fin 2006 à l’ensemble des sites francophones.
Fin 2006, le serveur national proposait la réservation d’hôtels dans 91 départements, celle d’hébergements locatifs dans 67 départements et d’hébergements Gîtes de France dans 38 départements. Les moyens alloués au Serveur National de Réservation sont encore très faibles : pas de budget marketing pour faire la promotion de la solution et intégration inachevé au sein de franceguide. Le Serveur National de Réservation ne décolle pas.
Il est même décidé en 2009 de dissoudre la SAS Franceguide marquant ainsi la fin du projet de centrale de réservation au niveau national.
2/ Des solutions techniques rétrogrades
Le secteur privé, et notamment les OTA’s ont investi de lourdes sommes dans le développement technique et la recherche d’une ergonomie maximale, faisant évoluer les solutions au fur et à mesure du changement des comportements et des attentes des internautes.
Pendant ce temps, le secteur institutionnel s’est la plupart du temps contenté de solutions techniques peu évolutives, avec des investissements trop faibles individuellement pour leur permettre d’évoluer au rythme des outils concurrents proposés. On le voit par exemple sur la question de la mobilité…
3/ Une perte de crédit inéluctable voire un désamour
Le manque d’interfaçage avec les outils professionnels utilisés par les socioprofessionnels, des chiffres d’affaires faibles, résultats d’une visibilité moindre (là encore, il convient de mettre en relation les budgets dépensés pour la visibilité, qu’il s’agisse de référencement naturel ou payant), ont conduit les socioprofessionnels à se désintéresser du canal institutionnel, malgré des commissions moins élevées. Certains ont cru qu’Internet leur permettait d’y aller tout seul, d’autres ont pensé que le trafic des OTA’s justifiait dans un premier le coût du service proposé.
Un moindre engagement de la plupart des socioprofessionnels dans les actions de l’institutionnel considérées comme peu utiles à leur industrie, la fourniture des moins bons prix, moins bons produits, au moins bon moment, qui ne permet pas de générer des résultats satisfaisants, une absence de dialogue, autant de facteurs qui annoncent une fracture entre les professionnels et les OGD.
4/ Une simple logique économique
Logiquement, en période de vache maigre, et dans le cadre d’une professionnalisation qui s’accélère, le secteur institutionnel s’interroge sur la rentabilité de ces services, tant en termes d’investissement, de fonctionnement, de ressources humaines mobilisées, pour un service qui ne semble donner satisfaction ni au client, ni au sociopros.
Finalement, est-ce que les financeurs publics ne vont pas eux-même tirer le signal d’alarme, en demandant aux OGD d’arrêter les frais et de stopper des systèmes de réservation onéreux et peu rentables?
5/ La résa institutionnelle ne règle pas le problème des OTAs
Ce n’est pas parce que l’hôtelier bénéficie d’une centrale de réservation dans son office de tourisme qu’il n’est pas soumis aux conditions de booking.com et consorts. Il ne peut pas compter uniquement sur la centrale de son OGD, et il est obligé de passer par les OTA pour avoir une visibilité. Il vaudrait mieux que les offices de tourisme s’occupent d’accompagner les professionnels, de les former, de les regrouper pour qu’ils puissent mieux gérer la relation avec les OTAs.
A décharge : pourquoi la résa institutionnelle a-t-elle un avenir?
Dans un monde où la jungle de la mondialisation a laissé poussé ses lianes jusque dans le moindre hôtel rural soumis à la dure réalité des OTAs, les OGD ont sans doute un rôle fort à jouer!
1/ La réservation institutionnelle, ça peut être rentable!
Lors de la battle « commercialisation » à l’occasion des récentes #ET9, Grégory Guzzo, directeur de l’office de tourisme de Val Thorens présentait sa centrale de réservation : 3 350 000 euros de chiffre d’affaires, soit 44% du budget de l’office de tourisme! Une concurrence rude avec les OTA, mais un atout essentiel apporté par les conseillers de la centrale de réservation : un plus client à travers la connaissance parfaite du produit. Il faut malgré tout disposer d’un logiciel efficace et performant, reconnait Grégory. Mais démonstration est faite qu’une station avec un beau potentiel d’habergement peut jouer le jeu de la réservation en direct (voir ci-dessous la vidéo).
2/ La réservation institutionnelle, ça peut être intelligent
Toujours lors de cette même table ronde, Nicolas Graeff, du comité départemental du tourisme Béarn Pays Basque, présentait la solution d’agrégateur mis en place par l’OGD départemental. Un système qui permet d’aller chercher les informations froides (descriptifs) dans la base de données, et les informations chaudes (planning) dans les systèmes existants, et d’agréger le tout pour offrir un service de réservation.
Un système qui permet la mise en réseau des acteurs publics et privés sur des stratégies partagées de production – commercialisation : quand Gîtes de France vend du Pierre et Vacances, de la thalasso ou de l’hôtel… quand 4 OT partagent la même centrale de résa…. On appelle cela de l’intelligence collective…
Autre exemple avec les places de marchés, système de plus en plus répandus dans nombre de départements et destinations.
De quoi s’agît-t-il ?
La place de marché permet d’agréger, marketer et commercialiser l’offre diffuse d’un territoire tous métiers confondus (hébergements, activités, billetterie, forfaits, etc.). Les offres proviennent de flux chauds, sur le principe du “premier arrivé, premier servi” afin de garantir la disponibilité temps réel (et la réservation).
Quels avantages ?
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La place de marché donne un rôle central à l’OGD chargé de mobiliser, déployer et restituer l’offre touristique. Il maîtrise l’offre de son territoire et légitime son rôle.
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C’est un réseau de professionnels qui permet de favoriser les synergies et de multiplier les initiatives entre les prestataires.
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Ces outils permettent en outre à un professionnel de disposer d’une extraction de la place de marché avec un module de réservation pour la vente en ligne de son offre sur son site Internet (principe de la marque blanche).
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La vente en ligne n’est que la finalité d’un processus de mise en marché souvent plus complexe et qui nécessite un accompagnement des professionnels sur l’ensemble des problématiques (équipement informatique, site internet, yeld management, webmarketing, paiement en ligne, gestion de la relation client, etc.). Au delà de la commercialisation, c’est l’accompagnement et la professionalisation des acteurs qui se joue.
- Avec en prime pour les professionnels des taux de commissionnement maîtrisés voire nul.
Difficile de rentrer dans le détail de toutes les solutions avec leurs avantages et leurs inconvénients. Il n’y a pas de recette miracle. Et déjà en 2009, on s’interrogeait sur le rôle des institutionnels dans la commercisalisation, nous voici rendus en 2013 avec peu de changements sur les solutions. Ce qui a bougé considérablement c’est l’écosystème des privés.
3/La résa institutionnelle, ça ne concerne pas que l’hébergement
Longtemps, les OGD se sont concentrés sur la réservation d’hébergements. Or, de plus en plus les offices de tourisme, notamment se rendent compte que s’occuper du touriste en séjour est une de leur première mission, sinon la première!
S’occuper du touriste en séjour, qu’est-ce que ça veut dire?
Que le visiteur, lorsqu’il est en vacances est aussi en position de réservation. Certes, il a déjà son hébergement mais il peut réserver des activités, des visites guidées, des repas, etc. La mobilité ayant singulièrement raccourci le cycle du voyageur, ce sera depuis son hôtel, avec son smartphone que le visiteur pourra réserver le matin son activité du jour, évitant ainsi les files d’attente, et étant assuré des horaires d’ouverture. Mais il pourra aussi acheter ses activités à l’office de tourisme.
Plusieurs exemples ont été présentés à l’occasion de la table ronde sur la commercialisation citée plus haut.
A Saint-Emilion, par exemple, Bertrand Millot, directeur, présentait son système de vente de visite guidées, dont nous nous étions fait l’écho ici https://www.etourisme.info/gagner-de-largent-en-faisant-de-linternet-de-sejour/
Outre un trés bon retour de vente sur le web (je peux, en ligne, directement réserver ma visite des monuments souterrains), l’office de tourisme a développé un système innovant de partenariat avec les hôteliers locaux : à chaque fois qu’ils vendent une visite, ils sont commissionnés.
A Médoc Océan, Nicolas Jabaudon travaille avec la société Awoo, partenaire d’Offices de Tourisme de France.
L’office de tourisme est distributeur de prestations sèches activités/loisirs émanant de clubs ou professionnels locaux.
Nicolas est convaincu que les institutionnels ont une carte à jouer dans le vide commercial actuel concernant les activités sports/loisirs (de la résa d’un court de tennis en ligne au stage de voile en passant par la location de vélo). Les besoins sont avérés (sondage local qui montre par exemple que 80% des prestataires sports/loisirs sont intéressés par la vente en ligne) .
La richesse d’une destination passe davantage aussi et surtout par sa capacité à afficher des offres loisirs/sports consommables en dernière minute (au gré de la météo, des envies, du temps à disposition) particulièrement là où ces offres sont diffuses et non maitrisées contrairement à la plupart des stations de montagne notamment.
L’avantage aussi étant de pouvoir fédérer e animer un réseau souvent peu organisé et peu armé face à la mise en marché via le web et d’apporter des solutions en mobilité.
4/ La résa institutionnelle, c’est aussi un outil d’équilibre territorial
Quand les OTAs sont en situation de quasi monopole et qu’un certain nombre d’hébergements ne sont pas vendus en ligne, c’est au public d’être présent. Une centrale de réservation institutionnelle représente une alternative aux OTA, et permet au plus petit d’être présent sur le web.
Juste pour cette raison, il ne faut pas que le public abandonne définitivement la partie…
D’autres modèles sont-ils possibles?
Il y a sans doute d’autres arguments, à charge ou à décharge, que vous ne manquerez pas d’apporter dans les commentaires.
Notre conviction, à la rédaction d’etourisme.info, c’est qu’on ne peut pas se réfugier totalement derrière des arguments à charge contre l’institutionnel, et qu’on ne peut pas non plus défendre contre des réalités évidentes un maintien à tout prix de la commercialisation par les OGD.
D’autres ont choisi des chemins différents, que ce soit les OGD ou les groupements d’hébergeurs. Ce sont des expériences, des ballons d’essai, qui en général font couler beaucoup d’encre localement.
Mais tout est intéressant à regarder, c’est ce que nous ferons dans notre prochain billet, de fairbooking avec les accords commerciaux avec le diable (nous parlons des OTAs bien sur) en passant par les initiatives commerciales de la profession.