Bonjour à tous, j’annonce de suite, je n’ai aucune réponse ou solution à la fin de ce billet, je vous partage juste un sentiment interpellant sur une évolution de la société.
C’est vendredi, c’est le jour des mots en …ion … c’est comme ca ! Ok, promis, on va jouer à Ni oui Ni non…Ni Ubérisation ! Mais ce vendredi, je voulais partager avec vous 5 minutes de plus qui m’ont manquées lors de mon 15mn chrono aux #ET11 sur mon expérience personnelle de voyageur connecté à San Francisco avec un oeil de professionnel du tourisme et du digital.
Lors de ces 15 minutes chrono, j’ai eu la chance de partager avec 700 personnes des moments intenses, sincères, humains. Mais j’aurais aimé également, si Ludovic, Monsieur Dublanchet, ne m’avait pas mis la pression pour ne pas déborder de 30mn, vous parler d’un terme qui m’a sauté aux yeux pendant tout mon séjour et qui m’a profondément fait repenser la place du numérique dans le quotidien de gens qui se foutent du numérique, mais qui se le prennent en pleine tronche.
La Gentrification, c’est confondre « like a local » et « evict a local* »
*Expulse un local / Si ca ne tweete pas avec cette expression, je porte plainte contre mon agent de personal branling.
Alors si ca vous dit, prenons quelques minutes pour parler d’une notion apparue dans les années 60, donc bien avant la naissance de ceux qui réinventent le monde tous les jours à coups de « disruption », « d’uberisation », de « kodakisation », il s’agit d’un autre terme en « ion » : Gentrification , la définition est par là et sinon il y a celle là :
San Francisco, c’est comme du Regilait !
San Francisco est à l’observation digito-sociologico-sociétale ce que Régilait est au lait… un peu fou, un peu speed, un peu décalé mais surtout un sacré Concentré 🙂 allez, je vous en mets pour 1 heure de chanson, grâce à moi, vous l’aurez dans la tête toute la journée… ne me remerciez pas.
Et dans ce concentré, j’ai pu voir une ville qui a une patate presque indescriptible, il est très compliqué de le partager, mis à part avec ceux qui y sont allés, il y a un sourire complice qui dit « alors, toi aussi ? t’en as chié en revenant en France ? » 🙂
Mais j’ai malheureusement vu aussi une ville qui symbolise tous les paradoxes de cette économie digitale touristique. Elle est coincée entre :
- les développeurs, les CTO, les CEO, les CXO, les LNALNAHOGCDGCDOLNA, les designers d’expériences, les lobbyistes, les avocats, tout un écosystème qui invente des plateformes comme Airbnb et qui gagne beaucoup, vraiment beaucoup plus que les locaux qui étaient là avant le numérique
et …
- les locaux qui sont à l’autre bout de la chaine digitale touristique, ceux qui mettent leur hébergement sur les Airbnb et consorts. Propriétaires, mais aussi locataires bien sûr.
Une petite définition complémentaire de la Gentrification avant d’aller plus loin :
Un cercle très vicieux pour les locaux
La situation ressemble à un tourbillon embarquant la ville vers des situations de plus en plus tendues, je ne suis vraiment pas un spécialiste, ni un théoricien de la gentrification, mais elle se sent au quotidien. Ce tourbillon est créé par de riches néo-locaux qui poussent les « pas forcément riches » « pas forcément néo » san franciscains à être « déplacés ». Alors pour éviter d’être viré de son appartement qui a la gloire d’être le mètre carré le plus cher des USA depuis 2 ans, beaucoup de locaux mettent leur lit sur Airbnb… et donc les » Airbnb » deviennent plus forts et accueillent encore plus de néo locaux payés encore plus chers… Bref, c’est assez barge comme situation.
Ne dites surtout pas que vous logez dans un Airbnb, chutttt !
Quelques illustrations pour montrer ce qui se passe à San Francisco alors que ce mardi 3 novembre avait lieu un référendum qui a été suivi de près. On a demandé aux locaux de voter pour une loi limitant à 75 nuits par an la possibilité de mettre en location son hébergement. Avec 8 millions de dollars dépensés par Airbnb pour défendre le « non » à cette loi, la plateforme a gagné ce référendum… mais il n’y a pas eu de raz de marée, ils s’en sortent avec un 57% de non.
Quand vous lisez les blogs spécialisés américains, certains voient ça comme une victoire qui enterrine à jamais la place d’Airbnb, d’autres (et je partage cet avis) voient ces 57% comme un gros avertissement. Ce ne sont pas les politiques qui interdiront le « too much Airbnb » mais les locaux qui expriment de plus en plus cette protestation.
Mise à jour de l’article suite à l’actualité de la loi F refusée à San Francisco (07/11/2015)
Techcrunch a publié ce 3 novembre un dossier d’une densité rare sur cette fameuse loi F retoquée par référendum. Cet article n’est pas forcément accessible ou intéressant pour tous, mais si vous êtes en charge du développement touristique d’une grande métropole, alors je vous recommande vivement la lecture complète de ce dossier :
Reprise de l’article originel /
Quand les grandes compagnies digitales se foutent des lois
Dans un autre style, la gentrification peut déborder sur du foutage de gueule des gros patrons du numérique qui mettent la pression sur la ville en les menaçant de partir s’ils payent trop de taxes, alors que les locaux paient gentiment les leurs. C’est le cas de l’ancien boss de Twitter qui a fait sortir des locaux dans la rue. Le scandale du « Twitter Tax Break » est une illustration parmi d’autres de ce monde du numérique qui stresse souvent la population locale.
La gentrification, c’est aussi ces bus qui n’arborent plus un seul signe extérieur d’identification après les caillassages des bus Google en 2014. La cohabitation avec les transports publics ne se passe pas très bien et voici une source de conflit supplémentaire.
Que dire du bunker le plus impressionnant que j’ai pu non-voir au centre de San Francisco. Le voisin de Twitter qui affiche son logo en façade est le plus discret de ces licornes. Uber est quasiment impossible à « voir » même avec un Google Maps à jour.
Aucun logo, aucun signe extérieur, quelque chose me disait début juillet qu’en France, les taxis retournaient les voitures UberX mais qu’à SF, pour vivre « collaboratif » (ahahahahahah la blague) , il faut vivre caché aussi. Etonnants ces chauffeurs Uber qui ont aussi la moustache LIFT, le concurrent et qui vous disent de façon massive que la prochaine fois, je peux privilégier Lift à Uber.
Il n’est pas super cool ce monde du numérique qui bouleverse la planète. Une preuve de plus de crainte de gentrification ? Uber envisage de mettre plus de 2000 employés à Oakland, juste de l’autre côté de la baie, dans la banlieue comme on pourrait le dire chez nous. Les locaux se divisent entre ceux qui leur souhaitent la bienvenue, minoritaires et de l’autre ceux qui ont peur d’une nouvelle gentrification dans une ville trèssss populaire.
Regardez ce storify après l’annonce fin septembre :
Vous pouvez également lire ce type d’articles qui montre la schizophrénie locale entre dynamique économique et assèchement de la vie « locale » : venturebeat.com/uber-and-gentrification
Des reportages tout frais mettent en lumière la gentrification
Un reportage HBO est sorti fin septembre sur cette transformation de la ville des Giants. Vous ne pourrez pas le voir en France pour l’instant, mais le teaser et l’interview d’Alexandra Pelosi vont vous mettre dans l’ambiance :
La gentrification n’est pas un monopole américain
Ce qui se passe dans ce Régilait de San Francisco se vit à Paris, à Londres, à Berlin, à Barcelone et dans d’autres grandes capitales européennes qui voient avec une certaine crainte des quartiers complets vidés des habitants pour y placer des voyageurs du collaboratifs. Un peu de lecture peut être utile et interpelle, prenez le temps de lire le fabuleux article sur Barcelone, une leçon d’éditorialisation :
Et si on finissait sur une note positive…
Bon, je pourrais continuer, mais c’est vendredi quand même, on ne va pas vous plomber le week end. Alors pour finir sur une note positive dans ce monde des grandes compagnies dont on parle presque tous les jours, concentrons-nous sur un des plus gros employeurs, si ce n’est le plus gros de San Francisco, Salesforce, expert de la relation client et blablabla. Son dirigeant, originaire de San Francisco a lancé le programme Pledge 1%. Il invite toutes les compagnies qui ont des bus noirs privés dans les rues 🙂 à consacrer 1% de leur capital, 1% de leur temps et 1% de leur production à des projets locaux, entreprenariaux et sociaux. Voilà exactement le paradoxe Frisco que j’ai vécu, une dynamique folle, une banane permanente sur la face pendant 2 mois et en même temps une réflexion de fond sur le « pourquoi » de ces majors companies.
Très bonne journée collaborative à tous, allez, maintenant on peut y aller pour les commentaires qui vont me rappeler que j’ai un cerveau de vieux et que l’économie collaborative c’est trop cool 🙂
Et pour finir sur une réflexion de fond
Je me demande ça depuis cet été, par une nuit étoilée magnifique, au fond de mon immmmmense jardin (pour ne pas choquer les âmes sensibles ou les amis qui viendraient à la maison), j’ai ressenti une culpabilité immense, crise d’angoise de kodakisation :
Quand mon bonhomme de 3 ans fait pipi au fond de mon jardin en train de regarder la voie lactée (rien à voir avec Régilait), est ce qu’on n’est pas en train d’UBERISER Villeroy&Boch et la Lyonnaise des Eaux ? … Si vous pouvez m’aider à déculpabiliser mon blondinet la prochaine fois qu’il y aura une nuit des étoiles filantes… merci !