De l’automne 2009 au printemps 2010, la France commençait à préparer le scrutin présidentiel prévu deux années plus tard, animée d’une singulière question relative à son identité nationale. « Qu’est-ce qu’être Français ? » pouvait lire à la une des journaux ou des magazines. Le débat était animé par quelques politiciens qui se targuaient de n’avoir aucun tabou, aucun complexe aucune attache partisane, en témoignait le ministre – néo-converti au sujet – en charge de l’immigration et de l’identité nationale que le président d’alors avait choisi pour porter pendant quelques mois la parole notamment médiatique dans tout le pays. Certains journalistes et commentateurs qu’on put suspecter rapidement de complaisance, parfois même d’ignorance voire d’inculture, louaient leur liberté, tant l’audace de la « pensée » gouvernementale devait forcer l’admiration des Français. Tous glosaient sur la fameuse appartenance à la Nation, sur l’hypothèse de la suppression du droit du sol comme souvent en période de crise économique majeure et pérenne. Le code civil créé en 1803 par Napoléon pouvait trembler sur ses fondements séculaires… L’empressement à poser cette question souleva rapidement quelques oppositions parmi les historiens ou les démographes. La France vivait mal, et continue de le faire à l’image d’autres pays européens, le début d’un nouveau millénaire qui abolissait les frontières géographiques, économiques mais aussi virtuelles, plongée dans un processus semblant irrémédiable de mondialisation, dont les stigmates les plus visibles relevaient de cette acculturation que le débat entamé dénonçait vertement.
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Existe-t-il une identité de la France ?
La France est un pays à l’identité millénaire. Des débats sur les racines de cette identité ont eu lieu il y a quelques années, souvent pilotés par des intérêts politiques assez vils et osons le dire une inculture avérée. Dans un entretien accordé au Monde, en 1985, Fernand Braudel expliquait que « le thème de l’identité française s’impose à tout le monde, qu’on soit de gauche, de droite ou du centre, de l’extrême gauche ou de l’extrême droite. C’est un problème qui se pose à tous les Français. D’ailleurs, à chaque instant, la France vivante se retourne vers l’histoire et vers son passé pour avoir des renseignements sur elle-même. Renseignements qu’elle accepte ou qu’elle n’accepte pas, qu’elle transforme ou auxquels elle se résigne. Mais, enfin, c’est une interrogation pour tout le monde. II ne s’agit donc pas d’une identité de la France qui puisse être opposée à la droite ou à la gauche. Pour un historien, il y a une identité de la France à rechercher avec les erreurs et les succès possibles, mais en dehors de toute position politique partisane. Je ne veux pas qu’on s’amuse avec l’identité. » (Braudel, 2005). Et l’historien précise les trois points importants, décisifs, de cette identité française. « Le premier point important, c’est l’unité de la France. Comme on dit au temps de la Révolution, la République est « une et indivisible ». (…) Michelet disait : c’est la France française, c’est-à-dire la France autour de Paris, qui a fini par s’imposer aux différentes France qui, aujourd’hui, constituent l’espace de l’Hexagone. II y a donc dans l’identité de la France ce besoin de concentration, de centralisation (…). ». Le deuxième point avancé par Braudel est « dans sa vie économique, de façon curieuse, depuis la première modernité, la France n’a pas su réaliser sa prospérité économique d’ensemble. Elle est toujours en retard, pour son industrialisation, son commerce. (…) La France n’a jamais eu les hommes d’affaires qui auraient pu l’entraîner. Il y a un équipement au sommet, au point de vue capitaliste, qui ne me semble pas parfait. Nous ne sommes pas en Hollande, en Allemagne, aux Etats-Unis, au Japon. (…) L’inadéquation de la France à la vie économique du monde est un des traits de son identité. » Enfin, le dernier trait de l’identité de la France réside pour Braudel dans le « triomphe permanent de la vie française, qui est un triomphe culturel, un rayonnement de civilisation. L’identité de la France, c’est ce rayonnement plus ou moins brillant, plus ou moins justifié. Et ce rayonnement émane toujours de Paris. Il y a aussi une centralisation très ancienne de la culture française. Bien sûr, il existe bien d’autres conditions : triomphe de la langue française, des habitudes françaises, des modes françaises, et, aussi, la présence, dans ce carrefour que la France est en Europe, d’un nombre considérable d’étrangers. Il n’y a pas de civilisation française sans l’accession des étrangers ; c’est comme ça. (…) Elle est devenue toute petite, non parce que son génie s’est restreint, mais en raison de la vitesse des transports d’aujourd’hui. » Cet entretien réjouit le lecteur attentif. La trame d’une réflexion peut en naître, mettant en exergue trois thèmes fondamentaux, la centralisation française, l’inadaptation de l’économie française aux concurrences internationales, son génie culturel doublé d’une position centrale au cœur des flux, à la croisée des grandes voies européennes de transports.
(Fernand Braudel)
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Qu’est-ce donc qu’être Français aujourd’hui ?
« Qu’est-ce qu’être Français ? » La question valait sans doute la peine d’être posée. On aurait même pu se demander « qu’est-ce qu’être européen » à l’heure où l’Union européenne devenait un immense marché en échappant aux utopies initiales de ses fondateurs, ou bien « qu’est-ce qu’être citoyen du monde ? ». Quelques voix auraient alors exigé entendre une parole plus forte, plus audible, plus déterminée de la France dans le monde. Un discours souvent entendu qui rappelait combien le génie de la Patrie des Lumières et des Droits de l’Homme semblait pâlir à mesure que le monde changeait. Le débat fut successivement présenté par ses initiateurs comme un « immense succès populaire » puis comme un élément « constructif » pendant que la synthèse des débats promise fut remplacée par un séminaire gouvernemental dont les résultats, à peine présentés dans les flashs télévisés des chaînes d’information continue, furent immédiatement perdus dans les oubliettes de la Vème République. Pour être juste, ils n’y sont pas seuls. L’auteur de ses lignes d’abord consterné par la teneur des échanges, se passionna pour la question non par goût d’opposer une gauche angélique à une extrême droite xénophobe, mais bien dans le sens évoqué par Fernand Braudel dans son œuvre posthume « L’Identité de la France », « ce chambardement de la France (paysanne) qui est le spectacle qui l’emporte sur tous les autres, dans la France d’hier et, plus encore, d’aujourd’hui » (Braudel, 1986). La question de l’identité nationale pose des questions légitimes sur l’état de la France, sa place dans le monde, sa relation aux autres pays, son avenir dans un temps caractérisé par « l’explosion des savoirs, la complexité du réel et l’incertitude » (selon l’expression d’Edgar Morin). Patrick Weil, historien de l’immigration et la nationalité, écrit dans un petit ouvrage paru en 2015 « Le sens de la République » que « chaque Etat-nation se réfère à une géographie, à une histoire, et au sentiment de partager un destin commun avec d’autres citoyens par le lien de nationalité. Mais ces traits communs ne disent pas les valeurs, les croyances, les pratiques et les institutions qui peuvent symboliser la spécificité de chacun ». Il définit ainsi quatre piliers à l’identité nationale française : le « principe d’égalité » qui a permis dans l’histoire l’identification des habitants des provinces conquises à la France ; la « langue française », langue de l’Etat depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée par François 1eren août 1539 qui a été un instrument d’unification culturelle du royaume de France puis de la République ; « la mémoire de Révolution » partagée avec peu de peuples dans le monde, sauf les Américains, qui reste une référence et se traduit par des formes de mobilisation particulières pour changer les politiques ou les institutions ; la « laïcité » qui repose depuis la loi de 1905 sur trois principes, la liberté de conscience, la séparation des Eglises et de l’Etat, le libre exercice de tous les cultes (Weil, 2015).
C’est durant la période préélectorale mentionnée en début d’introduction que je me suis lancé dans la coordination de plusieurs programmes de recherche en tourisme en France et dans certains pays membres de l’Union européenne. Dans chacun des pays traversé, dans chaque région visitée, il semblait que la question de l’identité de la France n’était pas un sujet en tant que tel. Par contre, celle des identités nationales de chaque pays l’était. La montée des nationalismes depuis une décennie le souligne comme l’arrivée au pouvoir de pouvoirs aux idéologies populistes et démagogues (Hongrie, Italie, etc.). Au-delà des images peut être éculées que la France aimait montrer d’elle-même – le Pavillon de la France consacré à « la ville sensuelle » à l’Exposition universelle de Shanghai de 2010 en fut un exemple frappant et illustra ce que Pascal Ory expliquait de la vision française du déclin des Expositions universelles, « une question de regard. Nous n’avons plus assez de raisons de nous dépasser, les Expositions ont de l’avenir ailleurs, car l’avenir est ailleurs » –, il était frappant de constater que la France semblait « légitime », en tout cas n’usurpait pas sa capacité naturelle à donner des leçons économiques ou politiques à ses voisins européens, aux yeux de nombreux interlocuteurs par l’excellence de certains de ses secteurs d’activité. Etre Français conférait donc à l’auteur de ces lignes dans ses pérégrinations européennes – sans autre contrôle de compétence que sa nationalité reconnue à l’accent typiquement français dans les discussions tenues principalement en anglais entre Océan Atlantique et Mer Noire – le droit d’évoquer presque naturellement et d’autorité des sites culturels et touristiques de renommée mondiale (Versailles, le Louvre ou le Mont Saint-Michel) comme des marques connues des celles et ceux qui partout dans le monde, notamment les fameuses classes moyennes des pays émergents, pris de frénésie consumériste souhaitent afficher une qualité de vie « à la française » ou un style de vie « à la parisienne » (de Louis Vuitton à L’Oréal) ! Louis Gallois, publié à l’automne 2012 en identifiait plusieurs dans son Pacte pour la compétitivité de l’industrie française comme étant des « pôles d’excellence mondiaux : l’industrie culturelle, le luxe, la pharmacie, l’industrie aéronautique et aérospatiale, l’industrie nucléaire, le tourisme » (Gallois, 2012).
(Louis Gallois rendant son rapport en 2012)
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L’identité touristique française
Il est une caractéristique géographique que beaucoup envient à la France. « La géographie a-t-elle inventé la France ? » demandait Braudel dans son livre posthume (Braudel, 1986). Il est une évidence, la géographie a façonné l’identité touristique française. La France est diverse, tant par sa population que par son paysage. « Cette diversité à nulle autre pareille » dont Braudel vantait la diversité en écrivant cependant que « les Français (en) font volontiers une caractéristique majeure de leur pays, mais qu’ils ont peut-être tort de juger sans égale à travers le monde » (Braudel, 1986), a constitué et constitue toujours l’un des pouvoirs d’attraction – voire de séduction – séculaire du pays d’abord auprès de ses voisins européens immédiats et a contribué à façonner une part de son identité particulière, celle qui fait de cette France depuis l’Antiquité un carrefour européen et désormais une destination touristique mondiale incomparable.
Les « circulations » ont marqué l’histoire de son peuplement, l’histoire de ses relations aux autres, de sa découverte d’un monde aux frontières longtemps inconnues. Notre civilisation est celle de l’hypermobilité, les hommes si longtemps sédentaires ont retrouvé grâce notamment aux innovations technologiques et aux évolutions sociales le goût de la mobilité, une certaine forme de nomadisme, en lui confiant une place centrale dans leurs vies, un statut particulier dans leurs organisations, un rôle essentiel dans leurs stratégies sociales ou professionnelles. Cette mobilité, cette capacité à la liberté, cette inversion de l’histoire des peuplements fondée sur « une culture multiséculaire de la conquête » ont forgé une culture nouvelle, une approche globale du monde qui jamais n’a semblé si proche, si accessible, si consommable. La mobilité relie les hommes « là où les sociétés sédentaires se liaient entre elles par des croyances et des rituels partagés » (Viard, 2015).
« Il y a des plaines et des vallées que la Géographie semble avoir prédisposées à l’Histoire » écrit Sylvain Tesson dans ses « Aphorismes sous la lune et autres pensées sauvages » (Tesson, 2008). La géographie semble avoir été généreuse avec la France. Le XXème siècle l’a habituée à devenir une destination touristique. La « démocratisation » du tourisme en France a touché les vacances d’été d’abord, puis les congés d’hiver, le développement des départs en week-ends et le fractionnement des départs en toutes saisons amplifiés par les nouveaux temps libres. Ce phénomène de masse porté par la croissance économique au cours des « trente glorieuses », par la construction d’infrastructures (transports, stations du littoral et de la montagne, villages de vacances, campings, etc.) s’est étendu aux régions rurales puis aux villes. Chaque année, lorsque les chiffres de fréquentations touristiques sont annoncés, bruisse la rumeur que la France demeure bien le premier pays visité au monde. Sans doute certains pensent-ils que c’est l’Esprit des Lumières qui est célébré dans les villes et les sites les plus visités (Paris compte, par exemple, en moyenne chaque jour près de 10% de population étrangère touristique). On loue le poids majeur de l’activité du secteur dans l’économie nationale. L’économiste et historien Jacques Marseille aimait rappeler d’ailleurs que « dès le XIXème siècle, l’excédent lié au tourisme en France compensait la moitié du déficit de la balance des paiements. » Chaque région, chaque département, chaque territoire de France entretient une relation étroite avec la mise en valeur de ses patrimoines, qu’ils soient naturels, historiques ou culturels. Les touristes y sont espérés, encore plus s’ils consomment et dépensent dans l’ensemble des services (hôtellerie, restauration, commerce, immobilier, etc.). Le tourisme figue bien dans le génotype, dans l’ADN de la France. Il constitue désormais un des éléments constitutifs de son identité nationale !
(ADN par la Patrouille de France)
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Deux influences identitaires majeure
Le vieillissement démographique
Deux facteurs, au moins, vont influencer structurellement et faire évoluer cette identité touristique séculaire. Le premier réside dans le vieillissement de la population française. En 2030, année qui marquera certainement l’apogée du vieillissement en France, la France métropolitaine compterait un peu plus de 67 millions d’habitants. De fortes disparités régionales seraient observées : concentration accrue de la population dans les zones littorales ouest et sud (Aquitaine, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Pays de la Loire, Provence – Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes), baisse de population dans le nord et l’est (Auvergne, Bourgogne, Champagne-Ardenne, Haute et Basse-Normandie, Lorraine, Nord – Pas-de-Calais, Picardie), augmentation généralisée de l’âge moyen et de la part des personnes de plus de 60 ans, arrivée aux « grands âges » des générations nombreuses du baby-boom. Le solde naturel (différence entre naissances et décès) resterait positif et certaines régions à la natalité décroissante pourraient connaître un fort excédent migratoire (Bretagne ou Corse par exemple). L’âge moyen en France métropolitaine augmenterait de près de 4 ans. Le nombre de personnes de plus de 60 ans (20 millions nées entre 1945 et 1975) progresserait de 60 % environ. Les personnes âgées de 80 ans et plus seraient environ 5 millions pendant que le nombre des jeunes de moins de 20 ans serait inférieur d’au moins 20 % à celui des 60 ans et plus (il lui était supérieur de 20 % en 2005). L’Île-de-France resterait la région la plus jeune, grâce à une fécondité dynamique et à un profil migratoire singulier (accueil des étudiants et des jeunes actifs, départ des actifs avec charge de familles et retraités). Le vieillissement est un changement démographique inéluctable. La France, à l’image de ses voisins et de l’ensemble des pays occidentaux, ne rajeunit pas. Si d’ici 2025 sa population doit croître de 3 millions d’habitants environ, l’Europe tout entière va vieillir, de façon rapide et importante. D’ici 2035, le nombre d’individus de plus de 65 ans devrait augmenter de près de 60 millions dans les pays de l’Union européenne (soit l’équivalent de 12% de la population de 2015). Ce vieillissement va influencer le tourisme de plusieurs manières. Cette croissance vive du nombre de retraités doublée d’une baisse de quelque 20 millions d’actifs pose la question centrale du paiement des retraites, c’est-à-dire du pouvoir d’achat donc du revenu disponible des « seniors », ceux pour qui l’industrie touristique a déployé des trésors d’imagination depuis plus d’une décennie. Il aura très certainement des conséquences sur les migrations touristiques internationales, façonnant un tourisme différent d’aujourd’hui, dont on peut aisément imaginer qu’il sera influencé par les questions liées aux risques, supposés ou avérés. L’insécurité géopolitique, les conditions sanitaires (faire voyager des personnes dépendantes), le coût des déplacements, la solitude des plus anciens vont forger de nouveaux réflexes, de nouvelles demandes donc de nouvelles offres. Les prix des voyages seront évidemment déterminants, parfois au détriment de la destination. C’est pourquoi le tourisme en France sera toujours hexagonal, puis européen. Les produits porteurs de sens et de valeurs seront visiblement en phase avec les attentes des générations aux cheveux blancs. Un sens de découverte, de partage, mais également de liens et de temps social (esprit croisière) ou de vitalité (santé, bien-être, forme, etc.).
(nombre de séniors en France, UK, Belgique et Allemagne en 2035)
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La relation homme – nature
Le deuxième élément d’influence repose sur la relation qu’entretient l’homme avec la nature, son rapport à l’environnement. De nombreuses publications montrent depuis une vingtaine d’années l’importance qu’a eue l’homme dans la dégradation de milieux naturels (on pourra se référer aux rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, GIEC, sur le sujet). Le réchauffement du système climatique est sans équivoque. Depuis les années 1950, beaucoup de changements observés sont sans précédent depuis des décennies voire des millénaires. L’atmosphère et l’océan se sont réchauffés, la couverture de neige et de glace a diminué, le niveau des mers s’est élevé et les concentrations des gaz à effet de serre ont augmenté. Les trois dernières décennies ont été les plus chaudes à la surface de la Terre depuis 1850, la période de 30 ans entre 1983 à 2012 a été la plus chaude qu’ait connue l’hémisphère Nord depuis 1.400 ans. Entre 1901 et 2010, le niveau moyen des mers à l’échelle du globe s’est élevé de 0,19 m. Les concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone, de méthane et de protoxyde d’azote ont augmenté pour atteindre des niveaux sans précédent depuis au moins 800.000 ans, la concentration du dioxyde de carbone a augmenté de 40 % depuis l’époque préindustrielle. Cette augmentation s’explique en premier lieu par l’utilisation de combustibles fossiles et en second lieu par le bilan des émissions dues aux changements d’utilisation des sols. L’océan a absorbé environ 30 % des émissions anthropiques de dioxyde de carbone, ce qui a entraîné une acidification de ses eaux (GIEC, 2013). La relation de l’homme à la nature est au mieux agressive, au pire destructrice, à la fois en termes de pollutions des sols et des eaux, de pollution atmosphérique ou de de diminution de la biodiversité. Dans un ouvrage paru il y a une dizaine d’années, Jared Diamond montre comment dans l’histoire plusieurs sociétés (île de Pâques, Polynésiens des îles Pitcairn, Anasazis du sud-ouest des États-Unis, Mayas d’Amérique centrale, Vikings du Groenland) ont disparu, par l’action parfois séparées, parfois conjointes, d’une dégradation environnementale, d’un changement climatique, la présence de voisins hostiles, la perte de partenaires commerciaux et les réponses de la société elle-même à ses problèmes environnementaux. Les évolutions climatiques actuelles, si elles n’occasionneront pas dans les décennies qui viennent de semblables disparitions humaines mais généreront des migrations définitives de plusieurs dizaines de millions personnes (22 millions de réfugiés climatiques en 2013), dégraderont un certain nombre de milieux naturels (iles du Pacifique et de l’Océan Indien notamment comme l’ensemble des littoraux sans relief), quelques-uns des paradis sur terre que le tourisme a eu l’habitude d’ériger en destinations idéalisées depuis l’apparition du tourisme de masse. Les impacts du tourisme sur l’environnement (ressources naturelles, écosystèmes, populations visitées) sont évidents même si les déplacements touristiques internationaux ne représentent que 3% environ de l’ensemble des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). D’autres impacts sont plus visibles et tangibles. La pression foncière pose, notamment, la question essentielle de l’aménagement des régions touristiques, littorales ou de montagne, souvent fragiles et vierges de toute infrastructure. La consommation en eau d’un touriste est élevée (un rapport du WWF estime en 2004 à la consommation moyenne d’un touriste dans l’aire méditerranéenne de 300 à 350 litres par jour, une étude d’Eurostat publiée en 2009 montre que les standards de consommation d’eau des hébergements au Maroc et en Allemagne sont les mêmes, de 150 à 600 litres selon leurs classements). La concentration saisonnière coïncide avec les pics de consommation, en période de faibles ressources en eau. L’entretien des pelouses, des golfs ou des piscines pose des questions importantes dans des régions aux réserves hydriques contraintes. Le tourisme nécessite des infrastructures adaptées (adduction d’eau, traitement des eaux usées). Il peut aussi constituer une source de financement pour développer des projets d’envergure (désalinisation, traitement et réutilisation des eaux usées). D’autres impacts du tourisme sur l’environnement sont apparents. Il n’est pas rare de voir une multitude de déchets jonchant les littoraux ou des plastiques de toutes sortes flotter au large des côtes, etc.
(Thilafushi, l’ile poubelle des Maldives)
La nature, les patrimoines et les peuples constituent la chair d’un voyage. Le tourisme entretient un lien charnel avec eux, par la découverte d’un nouveau pays en empruntant ses petites routes pour vivre son histoire, ressentir son âme et admirer ses paysages, par la rencontre avec ses « vrais » habitants et le partage avec eux de moments souvent présentés comme éternels (et parfois dénoncés comme l’artifice du voyage). La nature offre des émotions particulières, hors du cadre quotidien de vie. Les touristes attendent, dans leur ensemble, de voyager dans des conditions nouvelles, alliant écologie et découverte de l’autre, morale et exotisme. Ils veulent redonner du sens à leurs voyages (utilisation des transports collectifs locaux, hébergement dans des hôtels « écologiques » ou chez l’habitant, recours privilégié aux produits et producteurs locaux) quand ils ont connu déceptions et contradictions lors de séjours précédents, notamment à l’étranger. L’archétype du tourisme associé à la surconsommation et au gâchis, l’enfermement et les échanges biaisés avec les populations locales, le faible impact sur l’économie locale touche sans doute à sa fin. La relation homme – nature change la nature du tourisme. C’est sans doute que là se situe l’une des influences majeures de l’identité touristique française à venir !
A nous de l’inventer, de la forger et de la chérir… Guillaume Cromer François Perroy