On entend partout que vivre “like a local” (pour les Français au top de la trendytude, et juste “comme un local” pour les autres 😉 ), devient LA tendance pour des vacances réussies. Et bien moi j’ai fait mieux : j’ai vécu “with a local” !
Pour ceux qui ne la connaissent pas, je vous présente ma « locale » amie, Emmanuelle RIVAS. Ancienne directrice de l’Office de Tourisme de Montélimar, puis Sète, ancienne vice-présidente d’Offices de Tourisme de France, elle subit en 2015 un « débarquement » professionnel pas vraiment élégant (et c’est un euphémisme !). Elle décide alors de changer de voie pour vivre une nouvelle expérience personnelle et professionnelle plus épanouissante, loin des affres du quotidien des offices de tourisme. Amoureuse depuis longtemps de la Thaïlande, elle saisit l’opportunité de construire 2 villas sur la merveilleuse île de Koh Samui, dans le golfe de Thaïlande. Elle habite dans l’une et loue la seconde. Allez voir sa page FB, c’est superbe !
J’ai eu l’honneur et le plaisir d’y séjourner 2 semaines en septembre dans l’unique but de vous rapporter ce billet, cela va sans dire ! 😉
Tel l’ineffable Guy Raffour lors de ses interventions barométriques, je ne résiste pas à vous livrer quelques clichés de vacances pour vous donner un aperçu de cette île paradisiaque.
Au delà de ces jolis souvenirs, Koh Samui s’étend sur 228 km2, une superficie comparable à celle de l’île de Malte. Chaque année, plus de 2,4 millions de personnes viennent y séjourner. Un vrai spot touristique, et pourtant, pas l’ombre d’un office de tourisme ! Incroyable, non ?
J’ai longuement échangé avec Emmanuelle à la fois sur son expérience de prestataire touristique et sur cette situation presque paradoxale d’absence de toute structure officielle d’accueil.
Emmanuelle, toi l’ancienne directrice d’Office de Tourisme, présente-nous l’organisation touristique en place sur l’île.
Tout d’abord Koh Samui est un petit condensé de la Thaïlande. On y trouve une grande variété de points de vue, de paysages, des plaines, des reliefs, des plages très variées, une trentaine de temples très diversifiés aussi, des cascades, des secteurs où l’activité touristique est très concentrée –on pourrait dire tourisme de masse- et d’autres plus résidentiels tout en restant à toujours moins de 20/30 minutes les uns des autres, tout un tas de parcs animaliers de qualité variable (singes, éléphants, serpents, tigres, oiseaux, poissons…) ou aquatiques, et tout un panel d’activités notamment liées à la mer. L’île est préservée des moussons très irrégulières laissant place toute l’année à de longues périodes d’ensoleillement. Elle bénéficie d’une température très agréable de 25 à 32° nuit et jour, 12 mois sur 12, les mêmes températures pour l’eau de mer ! Cela génère un taux de remplissage record dans les hôtels de l’île de 73% et une durée de séjour enviée.
Tout en contrôlant tout à Koh Samui, les autorités offrent d’une grande liberté pour faciliter la mise en tourisme. L’île est très sécurisée, la présence policière est réelle, il y a des caméras de vidéosurveillance partout. Ils sont très attachés à la sécurité et à la communication faite sur les réseaux sociaux autour de cette « rassurance ». Ils diffusent eux-mêmes des vidéo/photos lorsqu’ils secourent les touristes et médiatisent aussi bien l’arrestation des brigands qui sont nommément interpellés. Une police touristique existe. Police et armée contrôlent régulièrement toutes les activités et hébergements.
L’organisation institutionnelle du tourisme est géré par Tourism Authority of Thailand (TAT) qui est plus proche d’Atout France et de la promotion à l’étranger. Il n’existe pas réellement d’organisation publique officielle pour l’accueil des visiteurs mais des agences réceptives locales qui vendent les excursions de prestataires privés. Une agence revendiquait même le titre d’international tourism office –avec un beau « i » comme fanion- mais est fermée aujourd’hui.
Aussi, les visiteurs se fient aux flyers disposés sur les présentoirs, aux rares panneaux d’informations touristiques publicitaires surtout, ou aux guides classiques qui orientent vers les incontournables sans évoquer le reste, et parfois indiquent des tarifs qu’on ne retrouve pas ou qui restent imprécis car témoignent d’une offre que les journalistes ont rencontré à un moment T qu’un particulier à peu de chance de retrouver s’il ne passe pas par un résident local.
Aussi, les hôteliers et les agences réceptives locales ont-ils pris la main sur la promotion mais surtout la commercialisation de l’offre touristique locale.
Je suppose que tous les hébergeurs n’habitent pas sur place, comment font-ils ?
Je crois savoir qu’il y a plus de 3500 villas ouvertes périodiquement à la location, la plupart sont un investissement voué au locatif saisonnier ou long terme. Le sport local est aussi de louer sa propre villa pour les résidents quand ils rentrent dans leur pays d’origine. La plupart des investisseurs font appel à des services de conciergerie locale qui assurent la remise des clés et se tiennent à la disposition des clients s’ils énoncent des besoins. La plupart des hébergeurs (locations appartements ou villas) n’ont aucun contact avec leurs hôtes, c’est leurs représentants (concierges ou agences de location) qui fournissent alors (parfois !) une liste de visites ou restaurants ou des dépliants, ou plus simplement une carte de Koh Samui, laissant les touristes face à eux-mêmes quant à la sélection. C’est assez minimaliste pour certains pour ce que j’en sais (heureusement pas tous). Autant dire que l’offre est immense, mais forcément la qualité de services varie considérablement. Quelques propriétaires, eux résidents, partagent leurs bons plans, mais ils sont plus rares.
Et donc tu as mis en place un véritable service de conciergerie pour tes hôtes. Tu peux nous détailler ta démarche ?
Compte tenu de ma formation et mon engagement pour l’île qui m’accueille, j’ai pour ma part opté pour un accueil plus personnalisé et je livre en effet mes conseils éclairés et engagés à mes hôtes. Mon objectif est d’abord de partager le meilleur de mon expérience pour qu’ils passent de merveilleuses vacances et gagnent du temps en allant à l’essentiel, et surtout en découvrant le Koh Samui qui m’a séduite et incitée à m’y poser. Certes je leur indique les incontournables, mais je les préviens aussi des pièges et surtout leur livre des petites adresses hors des sentiers battus, des coins et des plages moins fréquentées, des petits restaurants ou activités que j’ai testées. Je suis dans la séduction, la « rassurance », et la sublimation dès la réservation ; je suis à l’écoute de leurs attentes et besoins que j’anticipe même quelques jours avant leur départ, en les informant sur les conditions météo (là-bas il ne faut pas se fier car l’île est souvent épargnée des pluies annoncées sur les applis qui inquiètent parfois mes visiteurs), avec un message de pré-arrivée très complet qui va de l’équipement maison (ex : serviettes piscine et sèche-cheveux fournis, prises au format international, … jusqu’aux informations sur les meilleurs lieux de change, prix* et confirmation du taxi avec sa photo (et lui vous reçoit avec un panneau à votre nom, la classe non ? Et il attend en cas de retard de l’avion) *Tarif fixe car ici c’est la foire avec les prix des taxis…. Quand il pleut je suis réactive pour proposer des activités appropriées. Je suis dans la personnalisation de l’expérience. C’est pour certains leur premier long courrier et voyage en Asie, et je crois que ça rassure.
Pendant le séjour, j’envoie beaucoup de photos pour présenter ce dont je parle, et je maintiens le contact après le séjour le plus souvent. Certains disent que je materne un peu mes hôtes, je les assiste et les accueille comme j’aimerais l’être moi-même dans un pays étranger où on ne parle pas ma langue maternelle, dont je voudrais découvrir le meilleur en peu de temps. Je suis à la fois présente et discrète grâce à l’utilisation des applications de messageries comme Whatsapp avant, pendant et après le séjour.
Je cherche aussi à faciliter la mise en relation entre des prestataires privés pour lequel je suis un petit apporteur d’affaires, je réserve pour mes hôtes avec mon téléphone thaï, avant le séjour j’offre la possibilité de réserver par exemple le véhicule indispensable pour circuler et vraiment découvrir l’île (voiture ou scooters), le taxi à l’arrivée et au départ. Une fois sur place, je passe environ 1h30 avec mes hôtes autour d’une carte de Koh Samui pour leur décrire mon expérience locale et donner mes recommandations, et leur proposer toutes les excursions en bateau, de la sortie avec un pêcheur avec snorkeling masque et tuba à la découverte de Koh Phangan par la mer à bord d’un catamaran, Koh Tao, Anthong Marine Park, plongée… et activités (cours de cuisine thaïe, quad, jet ski, safari 4×4, sanctuaire éléphants…) que je réserve pour leur faciliter les vacances.
Pour certains hôtes peu familiers des usages du numérique (ou ceux qui n’ont pas un forfait qui le permet sans se retrouver avec une facture astronomique !), j’ai même commandé la livraison de plats thaïs à domicile ou réservé leur espace dans certains bars huppés. La veille ou les jours de marché, d’animations ou concerts, je reviens vers mes hôtes aussi pour leur rappeler les horaires et le lien gps de localisation pour qu’ils trouvent plus facilement, d’une part parce qu’il n’existe pas vraiment de transport en commun organisé en dehors des aléatoires songthaeo qui ne distribuent pas tous les sites que je suggère de visiter (sorte de taxi collectif sans horaire ni itinéraire réel précis), et d’autre part parce qu’il n’existe pas non plus vraiment de panneaux indicateurs pour se diriger, d’où une réelle difficulté pour se repérer : tout se ressemble, surtout la nuit qui tombe dès 18h/18h30. Pour les autres, j’actualise régulièrement une carte qui géocalise mes petites recommandations grâce à l’outil gratuit umap (que tu m’avais recommandé !).
Super service effectivement… et les sacro-saintes « notes » sur les sites de réservations ou d’avis en témoignent je suppose : Abritel-Homeaway, Airbnb, TripAdvisor
C’est un véritable service plus de conciergerie qui me vaut en effet de très bonnes relations avec mes hôtes qui partagent une expérience locale géniale –rire !- en allant à l’essentiel et vers le meilleur choix, comme tu as pu le vivre avec Marie. La différence est qu’au lieu de whatsapp, tu l’as vécue en live avec moi comme guide locale 🙂 . Même quand je rentre en France, j’essaie d’assurer à distance la même qualité de services. C’est ainsi que mes hôtes m’accordent de très bons commentaires et avis comme tu as pu le relever.
Avec ton regard d’ancienne directrice d’Office de tourisme, quel est ton avis sur l’absence d’un organisme institutionnel d’accueil sur l’île, cette situation qui paraît si paradoxale vue d’ici ?
Force est de constater que ça marche plutôt bien pour Koh Samui si on s’en tient au nombre de visiteurs annuel ! On retrouve ce phénomène plus largement en Asie d’ailleurs. L’initiative privée est encouragée, la mise en relation est simplifiée.
Le point positif est que l’offre touristique est grande, la même excursion étant proposée et vendue par un grand nombre d’opérateurs. Le point négatif est qu’il est difficile pour un touriste de maîtriser le rapport service/qualité/tarif.
Du coup, la plupart des visiteurs séjournent autour de Chaweeng ou Lamai (stations balnéaires pour moi sans réel charme ni authenticité thaïlandaise !) et se retrouvent sur leurs plages, alors que celles du Nord et de l’Ouest sont désertes et magnifiques, et se cantonnent à quelques sites incontournables.
La limite est aussi la « rassurance » possible en l’absence de contact institutionnel en amont du séjour. Par exemple, si l’offre est immense en matière de location de villas à Koh Samui, leurs accès sont parfois tels qu’il est dangereux d’atteindre ces maisons sur des routes très raides et glissantes dès le premier orage, il n’existe aucune organisation pour en informer les visiteurs.
La seconde limite est l’accès à l’information sur ce qui est à découvrir en dehors de la commercialisation d’activités et visites. Les points de vue, les paysages, certaines cascades, le « gratuit » donc, en l’absence de signalétique notamment, n’est vraiment pas évident à trouver. D’un côté, cela confine le tourisme (de masse) autour des plages et de quelques lieux incontournables, de l’autre, cela me permet de préserver des adresses hors des sentiers battus ! Il faut reconnaître que ces lieux ne supporteraient pas en l’état la visite de hordes de touristes, leur accès ou cadre n’étant pas adapté. Après tout on aime bien être les seuls à avoir vu cela non ?
Le troisième élément à relever est la consommation qui pourrait être démultipliée si un opérateur public recensait une offre plus exhaustive et proposait à un plus grand nombre certaines niches touristiques, ce qui générerait des retombées sur le tissu économique local, mais ça c’est mon côté business working girl toujours enclin à ouvrir les esprits et faire consommer local.
Il faut en retenir que le service d’information et commercialisation peut être assuré par le privé, pour autant qu’il soit formé, informé et intéressé !
ขอบคุณครับ (Merci beaucoup) Emmanuelle pour cette analyse détaillée. Je reviendrai sans doute assez rapidement pour poursuivre cette enquête passionnante !
Commençons par ce qui fait un peu mal : manifestement l’absence d’Office de Tourisme ne nuit pas au développement touristique -> 2,4 millions de touristes/an, c’est impressionnant !
On le voit, les touristes se fient aux guides de voyage, et certains hébergeurs ou des agences réceptives assument la “conciergerie” de l’île, un rôle essentiel pour la « rassurance » et la fluidité du séjour. Et pourtant certains manques semblent criants : une documentation sommaire et “commerciale” (sans les points d’intérêts « gratuits »), quelques rares panneaux touristiques, des outils de découverte et la signalétique minimalistes.
Office de tourisme ou pas, les hébergeurs jouent un rôle essentiel pour l’accueil et l’assistance durant le séjour. La qualité de leurs services d’accueil se révèle déterminante pour la satisfaction client. D’où l’importance croissante de la recommandation de l’hébergeur (peut-être plus que l’hébergement lui-même) pour bénéficier des meilleurs bons plans. Sur une destination sans OT, c’est même capital ! Cela me rappelle le 15′ chrono de Guillaume Cromer aux #ET13 en 2017 sur la « Tindérisation des professionnels de l’outdoor »
J’ai l’impression que la « qualité » de l’hébergeur en tant qu’accueillant prendra de plus en plus de poids par rapport à la qualité de l’hébergement lui-même…
Même s’il faut se garder de généraliser à la hâte, la relation plus ou moins directe avec le résident semble devenir un incontournable de la destination « accueillante ». En témoignent les démarches engagées pour mobiliser les acteurs et les habitants d’une destination comme par exemple les Secrets Normands (site ou appli pour découvrir les bons plans des habitants de la destination) ou #AvizersAlsace (mise en relation des visiteurs avec des habitants via Messenger).
Pour finir, je montrais dans cet article que l’animation de la communauté d’accueillants (habitants et prestataires) serait sans doute une des 3 missions essentielles ou raisons d’être des offices de tourisme dans un proche avenir. Alors pourquoi pas imaginer un office de tourisme qui outillerait et formerait les prestataires pour délivrer une qualité de service comparable à l’exemple d’Emmanuelle, qui mobiliserait ses habitants pour participer activement à l’accueil, qui « designerait » l’expérience de visite…
Un mix public-privé-habitants coordonné et optimisé au service de la satisfaction client ! Une utopie déjà partiellement engagée dans de nombreuses structures. Mais doit-on encore les nommer Office de tourisme ? Personnellement je ne le pense pas, mais c’est un autre débat…