Changer de modèle est devenu une évidence pour les uns, une urgence pour les autres, une idée pour certains, une fantaisie pour d’autres. En tout cas, les deux derniers articles de Jean-Luc et Guillaume sur le blog font plus que relancer les débats. En toile de fond, deux vérités : 1- les actions menées par un Organisme de Gestion des Destination (OGD) pour les entreprises touristiques locales sont quelque peu sous-exploitées alors que le champ des possibles est conséquent ; 2- Il faut se bouger, le temps nous est compté.
Il en découle alors une série de réflexions autour de la refondation du marketing de services. Jean-Luc nous détaillait d’ailleurs 5 grandes familles à forte valeur ajoutée pour se repositionner :
- La mise en réseau.
- L’action commerciale.
- L’intelligence économique.
- Les ressources humaines.
- La qualité de service.
Nous poursuivons donc le décortiquage de ce sujet. Pour ma part, je vous propose dans ce billet quelques éléments sur la partie Ressources Humaines, et plus particulièrement sur la brique professionnalisation au service des entreprises touristiques.
Quelle légitimité a un OGD pour traiter ce sujet ? Savons-nous identifier et reformuler le besoin exprimé par les entreprises touristiques ? Quels exemples inspirants ? Quel budget fléché sur ces actions ? Comment transformer le sujet de la professionnalisation en opportunité pour propulser et packager de nouveaux services ?
Trois typologies d’actions de professionnalisation pour y voir clair
Pour commencer, de quoi parlons-nous avec le jargon de professionnalisation ? En fait c’est assez simple et je reprends une définition très didactique que mon collègue Fabien aime à partager. Derrière la notion de professionnalisation se cachent trois typologies d’actions claires :
- Action de sensibilisation. Elle permet de s’éveiller à une thématique, une clientèle, de s’informer sur un sujet. Prendre conscience.
Exemples : Assises – Rencontres du tourisme / Forum – Soirée des acteurs du tourisme / Eductour / Voyage d’étude / Journées d’information / Petits déjeuners thématisés / Ateliers flash…
- Action d’accompagnement collectif. Elle permet de construire un projet, une méthode commune, une action collective. Construire, co-construire en apprenant aussi.
Exemples : Définition de la promesse client du territoire / Construction d’une gamme de produits / Elaboration d’une charte environnementale / Construction d’une démarche qualité / Etude sur les besoins emploi-professionnalisation des acteurs touristiques….
- Action de formation professionnelle. Elle permet le transfert de techniques, de savoir-faire par un organisme de formation agréé. Elle se définit par des objectifs pédagogiques et des compétences à atteindre, avec un système d’évaluation des acquis. Il s’agit d’acquérir des compétences
Exemples : Maîtriser l’anglais dans sa pratique professionnelle / Piloter la performance de son site internet / Encadrer une équipe de saisonniers / Mieux gérer son temps de travail…
En clarifiant ces trois typologies d’actions et leurs objectifs, l’OGD, en tant que tiers de confiance local, a donc toute sa place sur les différents niveaux. Soit en acteur direct de l’action, soit en intermédiaire, il doit alors mettre le curseur entre le faire et le faire-faire pour créer et revaloriser son marketing de service « professionnalisation » tourné vers le BtoB.
La mission de mise en réseau au service de la professionnalisation
Pour les actions de sensibilisation, la mission de mise en réseau des prestataires est une réelle aubaine. L’OGD s’appuie d’une part sur un réseau captif et d’autre part, il bénéficie de vrais moments privilégiés qui jalonnent (normalement) sa relation avec les partenaires. Assemblée générale, Eductour, journée des partenaires, soirée de lancement de saison et consorts sont autant de temps pour apporter à vos partenaires des briques de sensibilisation sur divers sujets.
En prenant le virage de la professionnalisation, il faut en revanche saisir ces opportunités de mobilisation de vos partenaires.
Par exemple, je vous avoue être parfois atterré quand je vois passer des invitations à l’inauguration d’un site internet d’une destination. Nous sommes en 2019 et je n’ose pas imaginer l’impact que cela peut avoir auprès d’un chef d’entreprise qui reçoit l’invitation. « Après la demande de cotisation, puis l’invitation aux vœux de l’office, on m’invite maintenant à la soirée inaugurale du site internet de la destination ». Qu’a-t-il à gagner à venir participer à un tel événement. Et vous, au final, vous y gagnez quoi ?
L’idée d’intégrer la professionnalisation à ses services, c’est donc d’ajouter un peu de matière et de sens à certains de ces faux événements, parfois commandités nous le savons bien. Il s’agit par exemple d’y faire venir un intervenant qui ouvre les chacras aux participants ou y sème une graine supplémentaire pour nourrir votre stratégie.
Et pour le financer ?
Quelques euros fléchés dès le début du projet « site web de la destination », permet alors de monter un format simple de sensibilisation avec l’appui d’un professionnel et sans coût supplémentaire. Puis en réalité, basculer une partie du budget promotion vers l’accompagnement des prestataires qui font eux-mêmes la promotion de la destination, ça ne ferait vraiment pas de mal.
Par ailleurs, en musclant les ambitions sur la professionnalisation des entreprises, les opérateurs peuvent aussi être demandeurs d’actions plus spécifiques, concrètes, avec des résultats applicables directement dans leur activité. Il est alors important de structurer son action comme un vrai programme avec de vrais services
Un plan local de professionnalisation pour les entreprises
Dis comme ça, ça met les pétoches. Cependant, la mise en place d’un programme d’actions de professionnalisation répond à un mécanisme simple :
- Écouter et récolter les besoins des futurs bénéficiaires
- Reformuler pour trouver le vrai fond du besoin exprimé
- Transformer les besoins en actions de professionnalisation
- S’appuyer sur les compétences nécessaires à la mise en oeuvre
- Piloter cette action dans la durée (oui, la pédagogie de la répétition est un art)
- Évaluer et donner une suite à cette action
A ce petit jeu, direction Médoc Atlantique en Gironde pour un retour d’expérience.
Depuis sa création, l’Office de Tourisme Médoc Atlantique propose aux professionnels du tourisme de la destination des sessions de formations des personnels saisonniers. En complément des ateliers ont été également organisés pour permettre aux acteurs du tourisme de développer leur communication, notamment digitale. Nous retrouvons ici, les initiatives de nombreuses destinations impulsées par l’animation numérique de territoire.
A partir de 2019, l’Office de tourisme complète cette action de professionnalisation par un programme d’ateliers. Les thématiques d’ateliers ont été sourcées auprès des entreprises avec un questionnaire envoyé aux 750 entreprises partenaires. Des rencontres terrain ont permis de préciser et reformuler des besoins encore peu identifiés. Ainsi, aux côtés de Facebook, Instagram ou encore l’e-réputation dans ma relation client, on retrouve des sujets sur la RGPD, Les clientèles familiales, Les clientèles MICE, la distribution en ligne…
L’équipe a alors choisi de valoriser ce programme global sur un support unique pour présenter ce nouveau marketing de service tourné sur la professionnalisation. Une stratégie de diffusion et de déploiement est mise en œuvre avec mailing, recrutement, relances diverses et surtout l’implication des collègues selon les portefeuilles prestataires ciblés. Les collègues sont prescripteurs du programme et ont toujours de dernier avec eux lors des visites partenaires.
Il n’est pas encore question de parler de bilan mais il est intéressant de voir comment cette action est entrée dans le processus interne de relation avec les partenaires. De plus, il y a une réelle répartition des rôles et des compétences de chacun.
Nicolas de Davydoff, qui pilote le projet, a sourcé les besoins et finaliser le programme. En revanche, ce sont les collègues en charge des portefeuilles prestataires qui sont à la manœuvre pour remplir les ateliers et proposer ce nouveau service. Enfin, l’intervention est laissée à des consultants et intervenants compétents en leur domaine. L’Office de tourisme peut valoriser sereinement ce nouveau service #océanesque qui englobe grosso modo 100h de travail, soit une douzaine de jours de travail.
En cours de réalisation, ce sont 12 ateliers sur 22 demi-journées, 8 intervenants différents, 95 participants déjà inscrit représentant 40 structure et un prix de 40 à 80 € TTC par session et par personne.
Pour compléter, vous pouvez aussi trouver de quoi s’inspirer sur le Programme d’accompagnement collectif mutualisé sur le territoire Adour Landes Océanes. L’équipe d’Aunis Marais Poitevin, investi de longue date auprès des partenaires propose ses services ICI. En début d’année, les collègues de la MONA tombés sur le programme de l’office de tourisme de Thonon Les Bains et de l’équipe de Julie Legros. Plusieurs thématiques sont alors abordées : taxe de séjour, famille plus, fiscalité, handicap, développement de réseau, e-tourisme. A retrouver sur ce lien : https://www.espace-partenaire-thonon.com/vos-contacts
Quand on place le prestataire comme client majeur de l’office, les perspectives sont nombreuses pour mener des actions autour de la professionnalisation. Cependant, je suis souvent confronté à deux arguments. « Les partenaires ne le demandent pas » et « je ne me sens pas légitime ». Le premier argument ne tient pas à mon sens. Tout simplement parce que le prestataire exprime généralement ce que nous lui projetons. Demandez-lui de quoi il a besoin ? Il vous parlera de visibilité. A nous de semer les graines de nouveaux services pour lesquels nous sommes légitimes.
Légitimité sur les sujets de professionnalisation ou légitimité sur le service apporté par l’OGD ?
Pour de nombreuses entreprises, l’office de tourisme et les ADT-CDT apparaissent comme légitimes pour apporter leur expertise sur des thématiques bien précises. On peut citer les sujets de l’accueil, de la connaissance du territoire, des labélisations, des contenus ou encore des thèmes dits « numériques ». Repensons à l’article de Guillaume sur le tabou AirBnb pour identifier le champ des possibles.
L’OGD, seul ou associé, est donc aussi légitime pour parler durable et éco-geste ? Pour animer directement la formation des saisonniers des campings ? Pour former les réceptionnistes d’hôtels ? Pour parler marketing avec les chefs d’entreprise ? Pour optimiser la commercialisation d’un hébergeur ou d’une activité de loisirs ? Pour donner les clés du home-staging à une chambre d’hôte ? Pour causer fiscalité ? L’office de tourisme est légitime pour accompagner les porteurs de projets ?
Sur ce dernier point, en se mettant encore une fois à la place du client / porteur de projet, nous sommes amenés à décortiquer son parcours et les besoins correspondants. On peut dire que ce n’est pas linéaire et que les interactions sont nombreuses avec une OGD. Ces derniers mois, un groupe de travail, piloté par chez nous par ma collègue Charlotte, a mené une réflexion sur le sujet de l’accompagnement aux porteurs de projets. Pas moins de 23 besoins ont été identifiés. Je vous laisse brainstormer sur tous les services imaginables dès que nous nous recentrons sur le prestataire et un peu moins sur le touriste.
Plaçons-nous du côté de l’employeur à présent. Il doit former cycliquement ses employés, dont les saisonniers, sur ses process et ses logiciels internes. Il doit aussi amener des bases sur les notions d’accueil et de relation client. Enfin, les équipes doivent en connaître un minimum sur la destination pour pouvoir bien conseiller les clients de l’établissement. Pour l’employeur, ce ne sera pas la priorité pour rendre le salarié opérationnel en un temps record.
Face à cette problématique, l’OGD amène bien souvent des solutions : un guide de bienvenue, une session express de 2h pour les saisonniers, une animation d’un groupe Facebook dédié, une diffusion judicieuse Des Incollables de la destination…
Ces solutions répondent en partie au besoin de l’employeur mais surtout au besoin de l’OGD lui-même : faire en sorte que les accueillants en connaissent suffisamment sur le territoire. Nous avons oublié au passage le besoin formulé par l’employeur (votre prestataire) : optimiser le temps de formation de ses équipes, créer une cohésion d’équipe et de limiter le turn-over en rendant le salarié performant et épanoui. Des formats hybrides peuvent alors être imaginés.
A cette occasion, nous reparlerons prochainement de l’expérimentation Bienvenue ici !
Un dispositif d’animation proposé aux offices de tourisme pour favoriser leur mission de conseil, d’animation et de professionnalisation auprès des entreprises touristiques. Basée sur le micro-learning et l’animation de communautés, l’expérimentation apporte une réponse au besoin des employeurs sur la montée en compétences des salariés permanents et saisonniers des entreprises.
Au final, l’OGD est légitime uniquement parce qu’il parle de sujets régaliens ou aussi parce qu’il apporte une nouvelle solution aux employeurs pour la formation de ses équipes ? Quelle réponse apporterons-nous dans 5 ans à cette question ?
Ca se finance comment ces histoires ?
Tout d’abord, on pourrait plonger dans la réforme de la formation professionnelle. Elle nous amène de vraies opportunités pour apporter des financements à des formats de professionnalisation variés.
A l’avenir, 2h de coaching + 2 h d’atelier collectif + 2h de mise en pratique à distance seront peut-être des modèles finançables par la formation professionnelle. On est loin des 7h obligatoires en présentiel dans une salle. Il y a là de vrais formats hybrides à inventer dans l’accompagnement proposé par un OGD ou par l’intermédiaire d’un OGD. Avec la réforme de la formation professionnelle, dès lors que l’entreprise souhaite activer ses fonds de formation, la donne est différente. Reste à comprendre les rouages de la professionnalisation et l’ingénierie financière. C’est une autre paire de manche.
Deuxièmement, prenons les opportunités de financement qui peuvent être proposées par les collectivités territoriales. L’exemple cité plus haut sur Médoc Atlantique s’appuie sur un appel à projet territorial poussé par la Région Nouvelle-Aquitaine. Cet appel à projet n’a pas vocation de financer un énième outil innovant. Il a parmi ses quatre piliers la professionnalisation des acteurs, dont les privés. Le territoire touristique en est le coordinateur. A lui de construire des programmes de professionnalisation en lien avec la stratégie locale, les entreprises et le marketing de services des Offices de tourisme locaux. Une autre façon d’innover, portée par le développement de compétences.
Enfin, troisième voie de financement, la réorientation des financements de l’OGD directement. Si vous proposez des actions de sensibilisation et des projets collectifs structurants et que vos partenaires y adhèrent ? Pourquoi s’arrêter ? Ce sont peut-être les derniers à défendre becs et ongles l’Office de tourisme. Pourquoi ne pas faire le pari d’investir sur la formation des prestataires qui font l’économie locale et la promotion sur les plateformes plutôt que sur le site web de la destination qui passe péniblement les 40000 visiteurs uniques ?
La professionnalisation est une histoire de culture interne et de culture de réseau. C’est une teinte que vous pouvez donner à la relation avec vos partenaires dans le but de rendre l’économie touristique locale plus compétitive, plus innovante, plus performante… Dans un contexte de nécessaire questionnement sur nos modèles d’Offices de tourisme, la professionnalisation apparaît comme une piste sérieuse à décortiquer. Un des préalables est d’accepter de voir la professionnalisation comme un investissement sur la durée. L’autre condition est d’accepter de déshabiller Pierre pour habiller Paul dans vos ressources allouées.
Vos principaux alliés que sont vos entreprises touristiques vous remercieront, soyez-en sûrs !