Aujourd’hui c’est la fin de la saison 1 de Lapensiondesfuites. 10 épisodes lancés pendant le confinement du Covid19 à raison d’un tous les samedis, jour sans publication historique dans le blog. Monsieur Sauternes a vécu seul au fond des bois, peu occupé par un hypothétique travail touristique sans touristes, en tentative d’activation d’activités nouvelles, sensible au repli de la timidité de la faune forestière qui l’entoure. Que va-t-il se passer maintenant ? Tu le sauras en lisant l’épisode 10 qui suit. Il y aura-t-il une saison 2 ? Cela dépend du beau temps, de l’arrivée des touristes, de achats et reventes de matos réalisés par Sauternes, de son goût pour des relations vineuses et de ton intérêt cher lecteur.
Episode 10
Un ciel pur comme une nuit sans lune baignait les astres et révélait la faiblesse des hommes à Bernis Pinot.
-« Tiens toi à la fenêtre ce soir »
Muscadelle avait vu juste.
La nuit promettait une mélancolie illuminée des meilleurs feux disponibles sur la place d’armes.
C’est ainsi par la lucarne et dans le cliquetis nocturne des messages sans traces ni mémoires que Sauternes commença (et ratura) son histoire.
La nuit était froide à faire geler toute sécrétion et à transformer en bâtonnet de glace les doigts de Bernis Pinot. Pourtant il allait assister au spectacle à venir. Il fallait se mettre à couvert.
Monsieur Sauternes écrivait des phrases de mirliton comme un soutier charge du charbon. Rien de tel que ses aventures passées, tressées sans fleurs ni couronnes. Les souvenirs et les descriptions s’enchainaient jusqu’à constituer des briques dépareillées sans liaison de mortier. Sa petite musique égrenait des notes mais ne passait pas la chatière de la partition alors que la solitude printanière confinait au mitard de plein air.
La piste Ho Chi Minh déroulait son ruban dans la nuit forestière. Tels de rapides vers luisants, des vélos avançaient, éclairant faiblement la voie. La faune se réfugiait toujours près de la villa. Mais une nuit, Sauternes avait quitté sa table et sa machine. Muni de grenades à plâtre X F1 et de pétards de perturbation il avait décidé de passer à l’action. Car aucune contrainte ne devait jamais perturber l’esprit de la forêt. Il fallait que cesse cette gêne à la beauté des lieux.
Chablis l’observait à distance depuis qu’il avait reçu dans l’après-midi son sibyllin message par téléphone : Tiens toi à la fenêtre ce soir. Se plaçant hors service, il avait tenu à occuper le terrain tant il connaissait la motivation de Sauternes pour semer la pagaille. Il le suivît et se cacha dans les bois. Sauternes devinait sa présence alors que son guet était bien engagé dans le silence de la nuit rythmé par le chant d’un couple de chouettes hulottes.
Alors qu’un flux de vélos s’approchait, diffusant son sifflement désagréable qui précédait un faible halo avançant, des gerbes d’étincelles scintillantes et propulsées à l’horizontale surgirent à flanc de dune dans les houppiers des pins. Tout en courant, Sauternes tirait des pétards à la fronde sur la colonne cycliste qu’il remontait à flanc de dune. Une magnifique frondaison sonore et mobile se répandait latéralement à la piste. Depuis son poste d’observation Chablis reconnaissait son Sauternes à l’oeuvre. L’affaire devint plus sérieuse avec le lancer de grenades sonores à panache blanc. De noir vêtu et cagoulé, Sauternes bondissait parmi les arbousiers vidant son arsenal. Les rombiers avaient mis pied à terre et s’échappaient en tous sens poussant leur vélo. L’un d’eux avait décampé sans sa monture qui gisait au sol sacoches au flanc. Sangliers, cervidés, lapins et oiseaux de tous bords n’avaient rien manqué du spectacle. Le chien Médoc aboyait au loin. Le calme revenu, Chablis avait rejoint Sauternes autour du fat bike gisant.
Sauternes accroupi avait ouvert les sacoches dont il retirait des boîtes de médicaments et de masques chirurgicaux ainsi que des paquets d’herbes séchées finement conditionnés. Un ruban serpentine mauve fermait chaque sachet.
HydroxyChlorophylla de la Sierra Nevada.
Tel était le nom de ces petits emballages dont l’un, éventré, sentait la garrigue, la lavande et thym.
« – On se risque sur le bizarre ? » déclara Sauternes en goûtant aux brindilles.
« – On aurait pas dû arrêter la fabrication de l’herbe de jardin, ça réduisait le taux de connerie » ajouta Chablis.
« – Sûr, les analyses de sang étaient imparables sur le sujet : les neurones brillants, jamais ne revenaient avec la prise d’herbe à lapin ».
Les deux compères remontaient vers la villa alors qu’en sens inverse par des chemins éloignés la faune refluait vers ses repaires. Une nuit d’ivresse porta dans la forêt des tirades d’histoires brisées d’amoureux mélancoliques d’oeuvres de jeunesse à jamais enfuies. Chablis et Sauternes avaient convoqué muscadet et meursault à une aimable dinguerie sur la terrasse de la villa en bois. Les bouteilles vides roulaient et fuyaient vers le sable qu’un prompt soleil de printemps faisait miroiter à l’aurore frémissante d’un enfermement des libertés alors que les deux compères assignés à canapé gisaient.
Fin de la Pension des Fuites (saison 1).