L’éco-conception : bullshit, greenwashing ou réel engagement ?

Publié le 2 août 2021
7 min

Durant le mois d’août, la rédaction du blog Etourisme.info a le plaisir de vous proposer une sélection d’articles écrits ces derniers mois. Ce billet a été publié en février 2021.

Fervent promoteur de l’éco-conception digitale et plus globalement de la logique de numérique responsable, je commence à m’interroger sur le potentiel effet de mode qui risque de menacer ce sujet aussi essentiel que mal maitrisé par bon nombre d’acteurs de notre écosystème. Je vous propose de nous interroger sur les vraies bonnes raisons d’adopter cette démarche, histoire de mieux en accepter les contraintes (ou d’y renoncer).

J’ai commencé à évoquer le sujet de l’éco-conception web dans ces colonnes en 2019, dans une démarche globale de recherche de performance et d’efficience, une démarche éthique, durable et responsable. Près de 18 mois plus tard, je me rends compte que mon propos de l’époque était probablement bien trop circonscrit à la dimension techno du sujet.

La plupart des destinations que j’accompagne sont activement engagées dans des démarches de tourisme responsable. L’éco-conception s’impose donc très naturellement, telle une évidence, dans la définition des stratégies digitales, elle se met au service d’une démarche plus globale et vertueuse. La question du « pourquoi » ne se pose presque pas, toutes les composantes de la stratégie touristique et digitale s’alignent dans une démarche responsable.

Pour autant, en prenant un peu de recul, je me dit que la question du « pourquoi l’éco-conception » mériterait parfois d’être posée

ALORS, « POURQUOI L’ÉCO-CONCEPTION » ?

PARCE QUE C’EST BON (DISONS CARRÉMENT NÉCESSAIRE) POUR LA PLANÈTE !  Le numérique pollue, plus que le papier nous dit-on, donc chercher à réduire cette pollution, c’est bien, non ? Évidemment, c’est même indispensable ! Sauf qu’un site « vert » éco-conçu ne fait pas une destination durable. Dans le bilan carbone d’une destination touristique, la contribution du site web reste très (très) marginale dans la (très) grande majorité des cas, bien loin derrière les transports, la consommation, l’usage des terminaux mobiles avant/pendant/après le séjour (dont les partages sur les réseaux), etc. Bien loin de moi l’idée de minorer l’importance de l’éco-conception des sites web, mais si dans le même temps la destination base toute sa stratégie touristique sur les clientèles lointaines et ne valorise que des incontournables déjà saturés, ça ne fait en réalité pas le moindre sens. Pas plus que de faire pipi sous la douche tout en y restant 25 minutes ! Si la stratégie touristique n’est pas réellement engagée dans le durable, un site éco-conçu ne répond au mieux qu’à un effet de mode, au pire qu’à du greeen-washing ! 

L’éco-conception, une démarche globale et nécessairement sincère

La question environnementale est donc en effet la seule vraie bonne raison de s’engager (vraiment) dans une démarche d’éco-conception, et il est essentiel d’être très à l’aise avec ça, car pour avoir du sens, cette démarche va nécessairement devoir s’accompagner de choix complémentaires, parfois radicaux, parfois difficiles à assumer, et bien au-delà des aspects techniques. 

Prenons quelques exemples simples pour illustrer…

Une stratégie de contenus éco-conçue

Commençons déjà par réaffirmer qu’un site web n’est rien d’autre qu’un ensemble de contenus mis en scène dans un contenant. A partir de là, il semble évident que l’éco-conception doit nécessairement impacter la stratégie de contenus, tant sur le fond (privilégier les sujets porteurs de valeurs durables, renoncer à la facilité des incontournables, mettre en avant des acteurs engagés…) que sur la forme (cartographier & scénariser les contenus pour que chacun un atteigne un objectif précis, par exemple).

Des parcours clients éco-conçus

En éco-conception, un des enjeux est de limiter les volumes de données transférées. Il faut donc être prêt à accepter l’idée que moins vos visiteurs verront de pages sur votre site pour atteindre leur objectif, mieux ce sera. Jusqu’à potentiellement se contenter d’apporter la réponse directement dans les résultats enrichis de Google, sans visite sur votre site ! Êtes-vous prêt.e à assumer une chute du nombre de pages vues dans vos statistiques ? à renoncer à toutes vos visites inutiles qui gonflent aujourd’hui artificiellement vos stats ? Ici plus que jamais, le moins mais mieux prend tout son sens 😉

Un écosystème digital éco-conçu

Le site web n’est qu’une composante de l’écosystème digital. Dès lors, à quoi bon s’imposer une éco-conception si dans le même temps on arrose chaque jour ses communautés de vidéos, en prenant bien soin de sponsoriser chacun de ses posts pour démultiplier la visibilité ? Tout comme pour le site web, si c’est pour promouvoir un site touristique ou un sociopro responsable, voire s’engager dans des actions de démarketing comme le Parc National des calanques de Marseille, ça peut se justifier, mais si c’est pour « bêtement » générer de l’engagement bullshit sur un incontournable en pleine saison, on devrait clairement y renoncer !

Les conséquences de l’éco-conception

Un site plus performant ? 

Oui, c’est vrai que l’application des principes d’éco-conception réduit significativement le temps de chargement des pages (et donc améliore au passage le SEO), fluidifie la navigation et optimise globalement l’expérience utilisateur, en particulier sur mobile dans les contextes de faible débit. C’est une excellente nouvelle, mais il ne faut pas pour autant faire de raccourci : on peut très bien avoir un site ultra rapide en ne tenant absolument pas compte de l’éco-conception.

Un site moins séduisant ?

On a trop souvent tendance à faire rimer éco-conception avec dépouillement graphique, minimalisme, voire absence de design. Et il faut bien avouer que ça se traduit parfois (souvent) de la sorte sur des projets mal menés. Alors que non ! L’éco-conception ne doit pas nécessairement nous amener à des partis-pris radicaux, avec des sites qui ressembleraient à un service WAP (ouais, c’était quand même vachement mieux que le minitel). Oui, graphiquement, il y a quelques concessions à faire, mais finalement est-ce bien grave ? Sommes-nous encore vraiment convaincus que nos visiteurs apprécient nos sites pour leur « concepts » créatifs et leur accumulation d’artifices et animations énergivores qui plantent leur Chrome préféré ? En réalité, la séduction passe aujourd’hui essentiellement par la qualité des visuels et un subtil travail créatif tout en légèreté ! Il peut être assez judicieux de réinvestir le budget économisé grâce à la sobriété fonctionnelle dans l’acquisition de splendides visuels de pros (plutôt qu’envoyer un stagiaire sur le terrain avec son smartphone) pour contribuer à la séduction 😉 Le talent créatif de l’agence web devrait faire le reste. 

Un site moins « riche » ?

Saint-Exupéry avait déjà l’éco-conception dans le sang en affirmant que « la perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer ». La sobriété fonctionnelle s’impose, et c’est tant mieux si ça nous évite d’avoir des sites dopés aux gadgets inutiles et inutilisés. Plusieurs études (Cast Software et Standish Group, notamment) démontrent que 70 % des fonctionnalités demandées ne sont pas essentielles et que 45 % ne sont jamais utilisées ! Simplifier, alléger, rationaliser sont (presque) toujours des bonnes pratiques (quitte à enrichir si le besoin s’en fait sentir).

Alors, L’éco-conception s’impose-t-elle réellement ?

Rares sont les projets qui respectent réellement les principes d’éco-conception dans notre domaine d’activité. Manque de maturité ou de réelle expertise sur le sujet, difficulté à renoncer à des fonctionnalités qu’on nous a vendues comme incontournables pendant des années, difficultés à se projeter dans une séduction allégée… L’éco-conception est naturellement un sujet majeur qu’il faut considérer sérieusement, mais il ne faut pas en sous-estimer la complexité et accepter les contraintes tout autant que les bénéfices. Elle doit nécessairement être en cohérence avec des actions terrain concrètes, valoriser les propositions touristiques durables et servir de nouveaux pans de contenus, tels que la sensibilisation des visiteurs aux pratiques touristiques tout aussi durables (venir en train, respecter les lieux…)

Quitte à faire grincer des dents, je conclurai avec ce qui me semble une évidence, mais qu’il peut être bon de rappeler : s’il faut rogner un peu sur l’éco-conception pour promouvoir, grâce à un site séduisant et inspirant et de belles vidéos, un tourisme plus local, plus responsable et plus durable, ça restera toujours bien plus bénéfique qu’un site low-tech 100% éco-conçu destiné à promouvoir un tourisme incontrôlé de masse auprès de clientèles russes (par exemple) ! Et surtout, avant de se lancer dans le développement d’un site éphémère en russe pour accompagner une campagne de comm, n’oublions pas que le site Web le moins polluant, c’est celui qui n’existe pas !

Musclés, Ecolos, Bienveillants, et toujours aussi sexy !

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Fondateur @ThinMyWeb / Co-Fondateur @Kairn [MISSION] Conseil éthique et engagé en stratégie digitale dans le tourisme [GENESE] "Early adopter" de l'internet à titre professionnel dès 1995, j'ai forgé l'essentiel de mon expertise en agence web, en tant que directeur conseil associé et expert en eTourisme. [THINKMYWEB] En fondant ThinkMyWeb en 2016, j’ai voulu mettre mon expérience digitale au service d’une proposition de valeur distinctive, centrée sur un conseil éthique, sincère [...]
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