Alors que Caroline se présente aujourd’hui comme « Apicultrice de projets touristiques en transition », je me suis dit que c’était le moment de lui proposer une carte blanche sur le blog. Vous avez de la chance, c’est aujourd’hui!
Caroline, comment es-tu tombée dans la grande marmite du tourisme ? On a l’impression que tu as commencé toute petite ?
J’ai de la chance d’avoir grandi dans une commune balnéaire magnifique – Plouescat dans le Finistère. La nature, l’architecture, les gens, le festif, le beurre (salé), voilà ce qui caractérise ma région #BZHForever ! ça a commencé quand j’avais 7 ans, mon père nous a mis avec ma sœur jumelle au défi d’aller alpaguer les touristes en leur racontant les légendes de la forêt d’Huelgoat (petite Brocéliande du Finistère dans les Monts d’Arrée). ça ne nous a pas traumatisé, au contraire, je me suis plutôt découverte un sens commercial (le nombre de bonbons qu’on avait pu acheter !) Et après, j’ai toujours été curieuse et un brin cavalière. Je devais pour ma licence passer 3 mois à l’étranger et je n’avais pas vraiment d’expérience ni le réseau pro derrière. Je suis allée au culot à l’OT : bonjour, vous prenez des stagiaires volontaires? Euh, ça ne nous ait jamais arrivé ! J’ai passé les vacances de Noël à l’OT et ils m’ont proposé de faire la saison estivale. J’ai pris des cours de breton et civilisation celte et j’ai adoré faire du conseil (éclairé) durant l’été. Quel plaisir de valoriser ma région, donner mes pépites aux touristes sympas, je me souviens d’aller en sautillant au boulot !
Puis je l’ai eu mon super stage dans un CRT en Angleterre. Je voulais déjà travailler sur le marketing durable des destinations touristiques. Jackpot sur ce projet de coopération sur la valorisation du cyclotourisme. Puis j’ai enchainé avec un master en management touristique – option développement durable à l’université de Perpignan. J’ai eu la chance d’évoluer professionnellement et personnellement dans le tourisme institutionnel et particulièrement dans la belle famille des Parcs naturels régionaux. Travailler sur le développement local et durable d’un territoire, accompagner les gens que le façonnent, être à la veille des innovations pour les adapter au contexte rural et garder l’humain au cœur de mes actions… J’avais trouvé ma voie. 7 ans, 3 PNR, 2 réseaux de socio-pro et de centaines de belles rencontrées !
Une thèse sur les OGD
Après un dernier poste intéressant en diable au Parc Naturel des Landes de Gascogne, tu as décidé de faire un break pour faire de la recherche. Alors, que cherches-tu, et surtout qu’espères-tu trouver?
On ne peut pas vraiment parler d’un « break » car la recherche, il faut la faire à fond ou s’abstenir !! J’ai eu la chance de collaborer avec différents labo de recherche et j’ai toujours été intéressée par cette sphère scientifique. J’avais d’ailleurs hésité après mon master à faire de la recherche mais je voulais être sur le terrain (c’était avant de découvrir la recherche-action). J’ai pu constater sur le terrain des innovations et dispositifs vertueux mais peu généralisables (chacun construit son truc dans son coin). Le déclic m’est venu avec les histoires d’OT du futur : top ces histoires mais comment le mettre en place dans son OT ? Jean-Luc tu es d’ailleurs la 1ère personne à qui j’ai parlé de mon projet de thèse !
J’ai vu qu’il y avait des attentes tant sur le terrain qu’auprès de la communauté scientifique. Je me suis donc inscrite dans une formation de recherche en science de gestion pour m’aider à préparer la thèse. Pas facile après ces années, de reprendre les bancs de l’école ! Mais je ne regrette rien, c’était le moment. Cette année je travaille sur l’intégration de l’impact environnemental dans la mesure de la performance touristique. J’ai de la chance d’être encadrée par une pointure du sujet, Benjamin Dreveton, directeur du CEREGE (laboratoire en science de gestion à l’université de Poitiers).
Mon sujet de thèse portera sur le management de la performance globale des OGD. La finalité de ces projets est de prendre en compte l’ensemble des composantes du développement durable dans le pilotage des destinations. Ce que nous proposons avec Laurent Botti, monsieur indicateurs de performance dans les OGD (chercheur HDR à l’université de Perpignan qui coordonne entre autre le projet PilOT) qui a accepté de m’encadrer, c’est coconstruire ce futur outil de contrôle de la performance avec les parties prenantes, ce qui permettrait d’intégrer les habitants dans la gouvernance, donner un avis aux touristes sur la politique touristique d’un territoire, mobiliser et fédérer les équipes et les socio-pro autour d’un projet commun vertueux tourné vers l’apprentissage organisationnel et l’innovation de gouvernance. Je ne sais pas ce que je vais trouver (mais je cherche ).
Ce projet me tient vraiment à cœur car il concilie tout ce qui fait que j’aime mon métier : la stratégie, la qualification, l’humain, le développement durable et le tourisme institutionnel. Raconter la performance sous toutes ces formes et créer un tourisme à impact positif, voilà notre maigre ambition !
écolo tendance optimiste!
Tu es très engagée dans le durable, autant d’un point de vue personnel que professionnel. Explique-nous pourquoi.
C’est une question d’éducation. J’ai toujours été sensibilisée à la nature et à la lutte contre le gaspillage des ressources. Mes parents sont tous deux bénévoles associatifs et engagés dans des causes humaines. Grâce à mes études et mes expériences pro, j’ai affirmé cet engagement. Clin d’œil à Muriel Joly, directrice militante de l’OT de Plouescat, qui par ses convictions a réussi à ne pas mettre le wifi dans l’OT mais a proposé l’alternative Ethernet pour lutter contre les ondes wifi. Et ils ont eu la marque Qualité tourisme malgré ça ! Et une autre femme inspirante qui m’a orienté vers le tourisme durable, ma prof de master Marylène Pin, anciennement Parc des Cévennes puis consultant écotourisme.
Après, quand tu travailles dans un parc naturel à accompagner des acteurs touristiques, tu découvres des initiatives incroyables en faveur du développement durable : monnaie locale, éco construction, biodiversité, écogestes, …Rapidement je suis passée de sensible, à engagée puis militante. Je fais partie de plusieurs réseaux pro et perso autour de la transition et ça m’apporte énormément. Et je lis beaucoup de revues spécialisées, j’adore ça. Enfin, je teste mes idées de sensibilisation auprès de mes colocataires, ils ont été les cobayes d’une adaptation du jeu « blanc manger coco » version Caro – écolo. Je fais partie des optimistes, prendre conscience pour agir et je m’inspire énormément des initiatives individuelles qui font bouger les choses. Je fais des chroniques pour la plateforme Voyageons Autrement autour de la mobilisation des particulier face au dérèglement climatique. Ça m’aide à me réveiller boostée le matin.Penser global et agir local, voilà ma devise et j’ai d’ailleurs créé GLOCAL tourisme, agence de conseils pour une transition environnementale et organisationnelle du tourisme.
Peux-tu revenir sur deux ou très belles expériences professionnelles. Que t’ont-elles appris ?
Dans le Parc naturel régional Livradois-Forez, j’ai participé à la création du réseau Coccinelles du Livradois, réseau de 60 acteurs. C’était mon bébé ! Le partage, l’humain, l’expérimentation et la valorisation étant au centre de mes missions. Et ce que j’aimais le plus, c’était de créer ce lien entre elles . On avait notamment fait en 2017 (année internationale du tourisme durable par l’ONU) le bilan carbone de la mission puis une compensation participative. Des réunions sans PowerPoint avec toujours quelque chose à manger et à boire !
Puis quand je suis arrivée dans les Landes de Gascogne, Béatrice Renaud, la responsable tourisme du Parc m’a fait le plus beau cadeau d’arrivée : elle m’a donné carte blanche sur beaucoup d’actions. Nous avons travaillé sur la création du Cercle des Imaginaterres, le réseau éco-positif des acteurs touristiques du territoire. On a collaboré avec Joël Henry sur l’introduction du jeu pour valoriser nos pépites, monté un partenariat avec l’université de Poitiers sur les nudges et la monnaie locale, proposé des formats décalés (grand débat des élus, sophrologie en ice breaker, éco-défis pour les OT, … ) Ce que j’ai particulièrement apprécié dans les Landes de Gascogne, c’est la conciliation entre transition environnementale et culture marketing client. Ce n’est pas parce qu’on prône un développement vertueux du tourisme qu’il faut être déconnectée de l’usager.
Enfin j’ai fait partie du réseau NOTT (nouvelle organisation touristique des territoires) et pouvoir partager avec mes paires et leur donner des tuyaux, c’est a été très gratifiant !
le travail des OT est d’utilité publique
Comment vois-tu se dessiner l’avenir touristique des destinations françaises, à l’issue de cette crise ? Quels sont tes plus grandes craintes, mais aussi tes plus grands espoirs?
Mes craintes seraient de voir grandir la compétition entre territoires proches. Tout le monde veut être une destination mais peu le sont ! Chacun veut sa marque territoriale sans animer ni fédérer les valeurs du territoire. On dépense des budgets monstres pour la communication sans stratégie de qualification des offres derrière. A trop s’inspirer des GAFA et OTA, on en perd notre utilité. Je rappelle que le travail des OT est d’utilité publique. Beaucoup de dérives à éviter, en espérant que la crise sanitaire aura fait prendre conscience qu’il (presque) encore le temps !
Mais je reste positive et je vous invite à revoir l’intervention de Barnabé Collot au ET15 pour les OT de demain dans les tiers-lieux. C’est assez proche de ce que je vois pour demain. Revoir les gouvernances pour une meilleure organisation touristique, faire participer l’ensemble des parties prenantes et créer des nouveaux modèles de démocratie citoyenne, créer un tourisme à impacts positif. Moins de politique, plus de participatif.
Faut pas trop me lancer sur le sujet, je peux en parler pendant des heures !! Mon rêve serait de promouvoir la véritable valeur d’un séjour touristique : en euro mais en monnaie locale, en litre d’eau généré ou kilowatt, en nombre de kilomètre parcourt pour atteindre la destination et leur équivalent en côte de bœuf, le nombre de personnes qui ont contribué à la création du séjour, le nombre de sourire inclus, … Et si le tourisme de demain devenait l’hospitalité chère à nos copains Les oiseaux de passage. Nous ne travaillerons que 21h /semaine pour prendre soin de soi, de ses proches, partir en escapades plus souvent … Verrais-je ça de mon vivant ? On croise les doigts mais on y travaille déjà
Merci Caroline pour cet échange, à bientôt sur le blog!