Réflexions pandémiques en vrac (et mur Facebook revisité)!

Publié le 7 avril 2021
12 min

J’ai choisi, pour ce billet, de remonter le fil du temps de la dernière année. C’est donc un petit échantillon des réflexions qui m’ont habitées depuis mars 2020, date où le premier confinement a été promulgué ici au Québec. Partant de mon mur Facebook, j’ai choisi quelques extraits qui offrent des résonances numériques à cette année pandémique qui se poursuit.

Mars 2020 – Calmons-nous les amis!

À la mi-mars, les premiers échos des impacts de la COVID sur nos vies et sur le tourisme se rendent au Québec. Nous avons tous tendance depuis le début du mois de mars à blaguer entre nous sur le sujet, et à nous moquer de ceux qui paniquent à l’idée d’attraper cette vilaine grippe. Il faut savoir que la crise de la COVID a ici un retard de trois semaines sur l’Europe. C’est pourquoi quand on me demande de commenter l’étude de l’IATA, qui annonce alors des pertes à prévoir de 63 à 113 milliards de dollars pour l’industrie aérienne mondiale, je suis plutôt sarcastique. Et lorsque le gouvernement français invite sa population à différer tous les déplacements à l’étranger, je suis de ceux qui crient à la paranoïa!

Sur mon mur Facebook, j’écris le 2 mars : « Sans rire, le ministère des Affaires étrangères de la France recommande sans nuance de ne plus voyager à l’étranger… Juste ça! On est au tout début d’une psychose collective mondiale. »

Puis le 16 mars l’urgence sanitaire est décrétée. Et le 22 mars c’est l’annonce du premier confinement total au Québec… Oups!

Avril 2020 – Nous essayons de prédire l’avenir de gens qui ne peuvent se projeter dans l’avenir, et nous découvrons la Zoom fatigue

Les médias nord-américains publient presque chaque jour des enquêtes menées auprès des touristes, pour sonder leur humeur et leurs appréhensions. Ces sondages donnent la mesure et confirment la crainte réelle que suscite désormais la COVID sur les potentiels voyageurs. Depuis quelques semaines déjà moult études sont menées et tentent (en vain) de sonder les comportements de loisir et de voyage futurs des Canadiens et des Américains. Or, ce n’est que de la pure spéculation : comment un quidam pourrait-il envisager et deviner ses comportements de futurs de consommation touristique alors qu’il ne peut faire aucune de ses activités de loisir habituelles et qu’il ne connait pas celles qui seront (ou non) permises. Les sondages en ligne montrent ici toutes leurs limites quand il s’agit de deviner de quoi sera fait le futur en période de grande incertitude.

Chapeau à l’ami Ludo qui avait vu tout juste dans son billet Mon sondage à moi sur l’après (https://www.etourisme.info/mon-sondage-a-moi-sur-lapres) et qui résume bien le côté absurde de telles démarches d’enquêtes.

Nous étions (si naïvement) un état d’esprit d’accepter la gravité de la situation, passage obligé vers la reprise, à nouveau mobilisés et engagés dans une relance imminente.  Comment imaginer alors que nous serions encore, plus d’un an plus tard, en train de nager dans cette gadoue covidienne!

Pour ma part, à l’aide du schéma de l’acceptation du deuil, je prônais la résilience, et l’acceptation. Le 7 avril j’écris : « Nous passerons inévitablement par ces étapes! Soyons solidaires et résilients! »

Processus du deuil

Nous avons également découvert en avril le phénomène de la Zoom Fatigue. Ce terme décrit la fatigue, l’inquiétude ou l’épuisement associé à la surutilisation des plates-formes virtuelles de communication. Comme d’autres expériences associées à la pandémie de coronavirus (COVID-19), la fatigue Zoom est largement répandue, intense et complètement nouvelle.

Mai 2020 – Faire ce que je ne fais jamais, fric et fatigue

Mon premier billet Facebook sur la COVID en mai se lit : « D’une crise mondiale de santé publique (qui est loin d’être résolue), nous entrons désormais dans une crise économique et une crise sociale sans précédent… Nous n’avons rien vu encore… ». Si j’avais su!

En mai, Édouard Philippe énonce : « Le sauvetage du secteur du tourisme est une priorité nationale. L’essence même des métiers du tourisme : accueillir et rassembler dans un même lieu des gens, des familles, des amis… se trouve contrarié par le confinement d’abord et le déconfinement progressif. » Cette annonce est couplée d’une enveloppe de 18 milliards € d’investissement pour soutenir le tourisme mis à mal par la COVID-19. Je peux vous dire que du côté canadien, nous vous enviions beaucoup à ce chapitre! Il faudra cependant voir, dans quelques années, si ces investissements massifs dans les entreprises auront soutenu durablement la filière touristique et permis une relance solide et durable.

Au même moment, les Québécois prennent conscience que les vacances estivales seront compromises ou fort contraignantes. Des sondages indiquent de plus que les habitants de la région montréalaise – Montréal étant l’épicentre canadien de la crise sanitaire – ne seront pas les bienvenus dans les régions québécoises. On voit le même phénomène aux États-Unis où les résidents de la région métropolitaine de New York, elle aussi particulièrement touchée, sont conspués hors de leur État.

Des listes sont publiées dans les médias pour indiquer aux vacanciers quelles activités extérieures sont les plus et les moins risquées. On est loin des recommandations des dix meilleures destinations voyage pour 2020! Pour ma part, l’idée de ne pas pouvoir voyager hors des frontières québécoises me pousse vers l’impensable :  l’exercice physique… Devant l’évidence d’un tourisme de proximité, fiston, chérie et moi nous dotons de vélos électriques. Qui ont (très) peu servi, pour être honnête…

Juin 2020 – Choc brutal, mais première sortie avec des amis

L’arrivée de l’été nous donne une pause salutaire. Malgré tout, l’organisation mondiale du tourisme (OMT) publie une estimation (que je juge désormais réaliste!) des pertes monumentales de l’industrie touristique mondiale estimées pour 2020 : 1 000 milliards de dollars de pertes et de 100 à 120 millions d’emplois à risque. Les prestataires et les institutionnels du tourisme prennent la mesure d’une saison touristique estivale 2020 qui sera au mieux calamiteuse, à tout le moins en milieux urbanisés.

Le 25 juin, le Québec est enfin déconfiné. Les statistiques de la COVID sont à la baisse et un vent d’optimisme (ou d’inconscience!?) souffle enfin sur la Belle Province. Pour ma part, je peux retrouver les amis Pierre Bellerose, Cécile Martin (ben oui, on vous l’a volé les cousins!) et Benoit Peugeot dans une première sortie (distanciée) dans un parc! C’est excellent pour le moral!

Septembre – Rentrée universitaire à distance

Il est entendu depuis plusieurs semaines que la session universitaire de l’automne 2020 se fera entièrement à distance. Le tout m’angoisse un peu (beaucoup). C’est pour moi un tout nouveau métier : « professeur à distance ». Bien que la session précédente se fût terminée en ligne, c’est la première fois que je donnerai 100% de mes contenus via Zoom, avec des étudiants qui m’écoutent (ou non?) depuis Montréal, l’Ontario, la France, la Tunisie, la Chine, la Réunion et la Martinique. Bien que j’enseigne depuis plus de 20 ans à la fac, je dois maitriser en urgence de nouveaux outils numériques dans un contexte où le droit à l’erreur est moins grand, et où toutes mes prestations sont enregistrées et rendues disponibles de manière asynchrone aux étudiants de ma classe.  C’est aussi un nouveau rôle pour les étudiants, souvent seuls dans leur petit logis ou dans une chambre.

Octobre 2020 – La fois où je n’étais pas là et l’autre où j’en ai eu ras-le-bol des attentistes

J’ai loupé pour la première fois les Rencontres du etourisme de Pau. J’ai dû faire le choix de ne pas y aller, bien que j’avais acheté mon billet d’avion. Pris entre les obligations professionnelles (interdiction par mon employeur de voyager à l’étranger) et familiales (ma chérie venait de débuter un nouveau boulot dans un hôpital pédiatrique), enjeux des assurances, mon cœur balance. La raison gagne la partie… Et par miracle Air France me rembourse la totalité du prix du billet en quelques jours!

J’écris sur mon mur le 14 octobre : « J’aurai au moins été (un peu) à Pau aux #et16 (virtuellement, mais sans masque)! Yé! »

Durant le mois d’octobre sont publiées en abondance des stratégies, des tactiques, et mille astuces qui pullulent en ligne pour expliquer aux acteurs du tourisme comment passer au travers de la crise. Les webinaires et les conférences en ligne se multiplient encore plus rapidement que la propagation du virus. Je crois que les initiatives heureuses en la matière sont beaucoup moins nombreuses que les moins réussies. L’accès à un médium gratuit ne crée pas par magie du bon contenu! De la Zoom fatigue nous passons à la fatigue du tout en ligne. Nos loisirs (Netflix et consorts) et notre boulot nous font passer plus de dix heures par jour devant divers écrans…

Beaucoup d’éditoriaux, de lettres d’opinion et de lettres ouvertes sont diffusés. Ces derniers alternent entre les discours positivistes pour motiver les troupes et ceux défaitistes qui cherchent les coupables des malheurs de l’industrie touristique. Fin octobre, je constate le caractère attentiste de bien des acteurs du tourisme. Je m’en désole dans un petit billet sur mon mur :

« Je suis encore étonné, voire déçu, de constater qu’après bientôt huit mois depuis l’annonce de l’urgence sanitaire au Québec (le 13 mars) on en soit encore à gérer en mode urgence (voire panique), et ce dans toutes les sphères de la vie civile et sociale ainsi que dans les différents pans de l’économie. Je suis attristé que le plan de match pour préparer l’avenir se limite à des incantations autour des thèmes de « achat local », « hybride », « résilience » ou « nouvelle normalité »… Il faut arrêter d’imaginer des solutions qui ne visent qu’à combler notre espoir (humain et compréhensible) d’un retour à notre vie d’avant, qu’on aimait et qu’on savait gérer. Ça ne sert à rien de jouer les cheerleaders alors qu’on ne sait pas de quoi sera fait l’avenir après cette crise longue, mondiale et sans précédent. Ce n’est plus le temps pour du wishful thinking ou pour le déni, on doit agir maintenant. Après huit mois de pandémie, on ne peut plus gérer au jour le jour et se limiter à envoyer des phrases-choc (« ça va bien aller ») …

Entrevoyons le pire et on sera heureux s’il ne se produit pas. Entrevoyons aussi le meilleur et réfléchissions aux leviers pour qu’il se matérialise, par nos efforts collectifs et par nos investissements en temps et en argent. Arrêtons d’espérer un miracle qui ne se produira pas, des solutions spontanées ou encore un(e) sauveur(euse). Les chances d’un retour à la normale ne sont assurément pas de 100%, puisque de nouvelles pratiques sociales, culturelles, de loisir et professionnelles se seront développées pendant plus d’un an. Nous devons envisager les scénarios pour un retour à 25%, 50% et 75%, en anticiper les impacts et proposer des réponses qui colleront à la réalité et aux besoins des individus, des organisations et de la société civile. Ces scénarios doivent répondre à ces nouveaux besoins, pas à nos angoisses ou à nos rêves – individuels ou ceux d’un secteur d’activité ou d’une industrie – d’un retour en arrière. »

Et nous poursuivons les semaines avec l’hiver qui s’installe et nous nous dirigeons – blasés et lassés – vers le Temps des Fêtes (confinés depuis le 14 décembre) et vers la fin de l’année.

Janvier 2021 – Le gouvernement canadien tente de trouver une solution aux voyages « non essentiels »

La période des Fêtes tout juste terminée, les médias s’emparent d’un nouveau « scandale ». De nombreux reportages font état des nombreux touristes canadiens qui ont choisi de se rendre pour la nouvelle année dans les destinations soleil (Cuba, Mexique, Floride, République dominicaine) pour fuir l’hiver et le deuxième confinement qui interdit les rassemblements familiaux. Le tourisme et les touristes apparaissent à ce moment comme les coupables des malheurs de leurs compatriotes et sont lapidés sur la place publique. Pour calmer la grogne populaire, le gouvernement canadien finira par interdire les vols vers les destinations soleil.

Sur Facebook, je cite le 26 janvier Paul Journet, journaliste à La Presse : « Je ne lance pas la pierre aux voyageurs. S’ils ont quitté le pays, c’est parce que la loi le leur permettait. Et aussi parce que les crédits des transporteurs les y incitaient – les vols annulés au printemps n’ont pas été remboursés. Parmi les cas dont l’origine est retraçable, environ 2 % proviennent des voyages. Ce n’est donc pas la source principale de contagion. […] Ce n’est pas un jugement moral contre les individus qui voyagent, c’est une évaluation des risques pour la collectivité. La pandémie se combat par une combinaison de mesures. C’est l’addition des gestes qui compte, et le contrôle des voyageurs fait partie de l’arsenal. »

Cela dit, les frontières canadiennes sont encore et toujours fermées aux voyageurs étrangers (incluant les Américains!) depuis mars 2020. Fin janvier, plusieurs pays procèdent également à la fermeture de leurs frontières, dont l’Allemagne et les États-Unis.

Mars 2021 – Rencontres du tourisme de Bretagne et Clubhouse

Je ne compte plus les voyages en France que je devais faire qui ont été annulés les uns après les autres (5 ou 6, je crois). En mars, ce sont les Rencontres du tourisme de Bretagne auxquelles je participerai depuis ma maison (en pleine nuit d’ailleurs, décalage horaire oblige). Je constate la qualité de l’organisation, avec une régie numérique de qualité (ce qui est nécessaire et la base aujourd’hui), et je sens aussi qu’une idée du tourisme post-COVID prend forme. À la fois dans le contenu que dans l’organisation des conférences, panels, tables-rondes et entrevues, le numérique est bien intégré et devient un facilitateur. J’entrevois l’avenir du tourisme d’affaire dans ces rencontres hybrides, qui ne seront pas un succédané des conférences traditionnelles.

Mars voit aussi l’arrivée d’un nouveau réseau social (comme si on en manquait…), Clubhouse gagne le tourisme francophone, des deux côtés de l’Atlantique. Très enthousiaste à ses débuts, je crois que je m’en suis déjà lassé (et que je ne suis pas le seul)… Mais pour en savoir plus, il faut (re)lire le papier de l’amie Laurence Giuliani ici : https://www.etourisme.info/clubhouse-quelles-applications-pour-le-marketing-touristique/; et celui du non moins ami Sébastien Répétop là : https://www.etourisme.info/avec-clubhouse-le-son-tient-enfin-sa-revanche/

En conclusion

Ce petit voyage dans Facebook m’a fait prendre conscience d’une alternance de certitudes vers de grandes incertitudes, d’épisodes d’allégresse vers d’autres de grands découragements. D’une journée à l’autre, d’une heure à l’autre! Mais je suis aujourd’hui convaincu d’une seule chose : je ne sais toujours pas!  Je ne sais rien de ce que sera l’avenir du tourisme, ni de l’échéancier ou de la vitesse de sa relance, encore moins du chemin qui sera emprunté et rien du tout sur ce que sera la nouvelle normalité. Et je me méfie systématiquement maintenant de ceux qui croient savoir!

Par contre, il m’est évident que le numérique s’est entretemps imposé dans toutes les sphères de nos vies personnelles et professionnelles. Jamais je n’aurais cru de mon vivant pouvoir faire une visite de routine avec mon médecin par visioconférence (sécurisée), l’achat en ligne est devenu ma nouvelle normalité, les divers services de livraison ont explosé, notamment pour la restauration (je n’ai jamais mangé d’autant de restaurants variés dans un seul mois!). Et je suis devenu, sans le vouloir, un réel nomade numérique. Et tout ça confirme l’arrivée concrète d’un nouveau segment de touristes : les télétravailleurs. Cadres et professionnels, ils peuvent et voudront travailler de partout, là où une connexion wifi de bonne qualité sera disponible (et quelques bières, bien sûr)!

Et je termine avec une petite dystopie : imaginons un instant que la COVID se soit présentée 20 ans plus tôt, en 2000, avant le wifi, la haute vitesse, les smartphones et les tablettes et les applications de visio (Zoom, Teams et autres)! Imaginons un instant combien aurait été source d’isolement absolu un confinement sans outils numériques et sans réseaux sociaux ou plateformes de diffusion (streaming). Les conséquences humaines et sociales auraient été mille fois plus grandes.

Nous aurons été chanceux dans notre malchance! Le numérique aura permis de garder un minimum de filet social et communautaire. C’est en soi le sujet d’un billet de blogue (à suivre)!

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Expert en tourisme, Paul Arseneault est également professeur au département de marketing de l’ESG UQAM ainsi que co-fondateur et administrateur de l’incubateur MT Lab.
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