Et l’imagination, dans tout ça ?!

Publié le 20 août 2021
5 min

Durant le mois d’août, la rédaction du blog Etourisme.info a le plaisir de vous proposer une sélection d’articles écrits ces derniers mois. Ce billet a été publié en mai 2021.

Ce matin, bien décidée à vous parler de design fiction, j’ai appelé Géraldine Huet, sachant que nous affectionnons toutes deux cette pratique.
Je trouvai mon interlocutrice réunionnaise en prise à la réalité, toute universelle, de la maîtrise d’un temps compressé. En ce “monde d’après” où le slow se veut le maître mot d’un marketing triomphant, Géraldine s’accorde quelques jours de prise de recul salvatrice et me parle, à bâtons rompus et en des termes que je n’attendais pas, d’innovation et de design fiction.


le contexte

Géraldine Huet est responsable de la veille, de l’innovation et de la prospective pour la Fédération Réunionnaise de Tourisme. Elle siège par ailleurs à la commission Prospective d’ADN Tourisme, autant dire que l’innovation est un élément central de sa pratique professionnelle. Elle dit, et c’est très beau, que “l’innovation, c’est le propre du vivant”. Loin des discours en vogue…

Géraldine a créé, notamment avec Catherine Dostes d’Île de La Réunion Tourisme, un objet passionnant qui s’appelle P.I.T. ; Brad pour les intimes, mais restons-en à P.I.T, pour Plateforme d’Innovation Touristique 🙂

Cette plateforme, toute jeune, a vu ses prémices germer lors des Francophonies de l’Innovation touristique de Montréal en 2019, où la question de la gestion de crise avait déjà fait l’objet de nombreuses attentions. En effet, un territoire qui affronte cyclones, moustiques porteurs du chikungunya et requins peu nombreux mais néanmoins effrayants, a depuis bien longtemps intégré le principe de résilience. Les premières pierres et intentions de la plateforme ont été posées dès février 2020. Après une ellipse temporelle subie (vous voyez de quoi je veux parler), les travaux ont repris, pour aboutir assez rapidement à des résultats concrets, embarquant les acteurs locaux.
Les méthodes du design thinking ont permis d’approprier très vite les socio-professionnels, principaux publics qu’adresse la Plateforme d’innovation. 

Au-delà de l’acculturation au sujet-même de l’innovation, la Plateforme a vocation à agir comme un connecteur, un “hub” pourrions-nous dire, qui met en lumière l’évidence de la transversalité du tourisme, qui interagit naturellement avec la culture, l’environnement, le monde économique.

C’est ainsi que la plateforme accompagne des projets divers, tels que “De l’Art dans nos jardins”, un road trip culinaire (encore dans les cartons, un peu de patience) ou l’accompagnement du futur Wood Hôtel, établissement totalement tourné autour du design expérientiel.

Ainsi, si la Plateforme n’a pas pris la forme à ce stade d’un lieu physique, il se fait le véhicule et le réceptacle de projets transversaux, qui visent avant tout à un bénéfice réel (je veux dire : dans une économie réelle) pour le territoire et ses parties prenantes : acteurs économiques, populations locales, clientèles en séjour. La Plateforme est aussi le lieu, l’espace de la prise de recul et du questionnement. Il fait la part belle au récit, à l’histoire que l’on raconte et aux valeurs que l’on défend en portant un projet, avant de parler de “storytelling” et de “fit market”. C’est l’endroit des possibles, des “futurs souhaitables” ou des “futurs proches” pour reprendre les noms de structures qui inspirent les pratiques de Géraldine.

PROSPECTIVE & DESIGN FICTION

La prospective est aujourd’hui devenue un outil stratégique largement approprié par les instances décisionnelles, comme en témoigne le récurrent rapport prospectif de la CIA, publié tous les quatre ans à destination du président américain entrant, “pour l’aider à lever le nez”, et qui vient poser des scénarios d’anticipation comme autant de pistes à explorer. Le rapport d’avril 2021 montre notamment une réelle accélération du temps liée aux progrès technologiques, et pointe deux notions clefs qui seront nos meilleurs atouts d’ici 2040 : l’adaptation et l’innovation.

Nous y voilà.

Et si nous ajoutions à ces deux notions, toutes théoriques, une capacité que nous possédons tous, à condition de la cultiver, l’imagination ?

C’est tout l’enjeu du design fiction, qui utilise notre propension à rêver, à visualiser, à étendre le champ des possibles et transcender celui des impossibles pour faire le récit de nos futurs désirables et supportables.

Une démarche prospective et critique visant à inspirer de nouveaux imaginaires liés au futur d’une manière non-prédictive (« Le futur sera ainsi »), d’une manière non-prescriptive (« Le futur doit être ainsi »), mais qui cherche au contraire à ouvrir des perspectives et à les mettre en débat pour questionner les directions que nous prenons aujourd’hui.

expliqué en clair par géraldine

Géraldine participe à ses « heures perdues » aux séances de design fiction de Futurs Proches : elles durent 3 heures, en petits groupes de 4 à 5 personnes.

Il s’agit :

  • d’écrire un récit (en jargon de designer un prototype diégétique) sur une thématique donnée (l’environnement, vivre en ville, la santé, les sujets sont infinis)
  • de planter un personnage
  • de coudre une intrigue “croyable”
  • de questionner le dit personnage pour l’amener à prendre des décisions, opter pour un chemin plutôt qu’un autre
  • et d’enfin observer comment il s’en sort au bout de son aventure.

Un bel exemple de design fiction dans vos boîtes mails, la Mutante, une newsletter de design fiction.

La Mutante, une design fiction imaginée par Noémie Aubron

oui mais, pourquoi faire au juste ?

Tout d’abord, cette technique permet de mettre à distance, de “dédramatiser” pour reprendre l’expression de Géraldine. Il s’agit de fiction, pour le moment ça n’est pas réellement arrivé, on peut encore changer le cours des événements.

Et dans le même mouvement, parce que l’on a créé ces personnages, ce « nouveau » monde, nous nous y sommes attachés, nous y avons dépassé nos peurs et projeté nos espoirs pour demain, nous sommes plein d’empathie pour ces trajectoires, et donc hyper impliqués.
Comme le souligne Géraldine, cet exercice de design critique permet également de s’affranchir de nos croyances souvent limitantes pour transcender des interdits que l’on s’impose souvent à soi-même ou que l’on considère comme acquises de fait ou induites par la situation.

C’est à ce prix que la créativité fonctionne à plein et nous permet “d’inventer des solutions qui n’existaient pas avant, plutôt que d’éprouver toutes celles qui étaient disponibles”, et qu’elle nous offre des alternatives en matière de choix d’usages, de consommation, de société.

Alors, partants pour remplacer la prochaine réunion “plan d’actions” par une séance de design fiction ?

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Laurence Giuliani dirige Akken, agence de production sonore pour les destinations touristiques et les lieux de culture. Anciennement responsable d'un Office de Tourisme en milieu néo-rural (ou péri-urbain, comme vous voulez), manager d'artistes, productrice en label indépendant, Laurence cultive la curiosité comme carburant du quotidien. Ses marottes : le son, le tourisme culturel et le "komorebi", cette lumière qui filtre entre les arbres, comme des fêlures de timidité entre les [...]
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