Il y a quelques jours, plusieurs organisations du tourisme ont lancé, avec le Secrétariat d’Etat au Tourisme, une consultation citoyenne sur le tourisme responsable afin d’interpeller l’ensemble des citoyens ainsi que les voyageurs sur ce sujet dont tout le monde s’accorde désormais à dire que c’est la priorité de cette relance. Au-delà de cet appel au peuple, je vois apparaître de plus en plus d’initiatives afin d’interroger le grand public, les voyageurs, les clients autour de cette question du tourisme responsable. Alors, vrai bon mouvement ou fausse bonne idée ?
Rappelez-vous l’Islande et son serment
C’était avant l’été 2017. Une éternité quand on regarde juste les 15 derniers mois… C’est bien l’Islande qui avait innové en son temps pour impliquer les voyageurs afin de trouver un remède (marketing) au surtourisme qui commençait à pointer son nez dans les paysages préservés de l’île. Un texte, bien écrit, compilé à des vidéos humoristiques, poussait ainsi le visiteur à signer ce « Serment islandais », une sorte d’engagement, de charte pour respecter le patrimoine naturel et les paysages islandais une fois arrivée sur place. Ça avait fait du bruit à l’époque car nous n’en étions qu’au début des débats autour du surtourisme (Les Calanques ne réfléchissaient pas encore au démarketing) et tout le monde, dans l’industrie du tourisme, n’était pas encore convaincu des bienfaits du tourisme responsable.
4 ans plus tard, ce texte sonne toujours aussi juste et de nombreuses destinations ont pris une direction similaire que ce soit la Finlande dernièrement mais aussi la région Auvergne Rhône-Alpes pour aller moins loin avec sa vidéo et son manifeste autour d’un tourisme bienveillant.
Or, on a le droit de se poser la question si ces textes cherchent véritablement à modifier les comportements des visiteurs ou plutôt à caractériser le positionnement éco-responsable d’une destination à travers une campagne de communication et ainsi répondre aux nouvelles consciences des voyageurs.
Jeu concours et mini-charte pour l’Île de Ré
Dans la même lignée, les jeux concours ont toujours été de très bons outils pour faire connaître une offre ou une destination en particulier depuis l’avènement des réseaux sociaux. Avant l’été, c’est un bon moyen de renouer le contact avec les visiteurs. Étant donné le succès de cet outil, pourquoi ne pas en faire un outil au service du tourisme responsable en permettant de sensibilisant tous les joueurs aux bienfaits de la mobilité douce ou bas carbone, des circuits courts et autres expériences en milieu naturel. C’est le pari pris cette année par la Destination Île de Ré qui a lancé dernièrement une opération combinant influenceur engagé (Clo et Clem), jeu concours et « mini charte » d’engagement pour les participants. Avec plus de 16 500 répondants, c’est un vrai succès pour l’office de tourisme qui a pu sensibiliser un public large aux enjeux du tourisme responsable à travers cette opération. A voir désormais l’efficacité de ce dispositif cet été en particulier sur la question de la mobilité qui est souvent un enjeu crucial sur l’île durant la haute saison.
Consultations citoyennes et validation des actions
Dans la foulée de la gabegie finale autour de la Convention Citoyenne pour le Climat, on voit apparaître de nouvelles consultations citoyennes autour du tourisme responsable. Plusieurs partenaires nationaux du tourisme (ADN, ATD, FNHPA, Atout France, la Banque des Territoires, Ministère des Affaires Étrangères) ont lancé une consultation sur Make.org, la plateforme de référence sur ces sujets. La question posée : Comment agir pour un tourisme plus responsable en France ? Derrière cette question, la volonté du gouvernement de peaufiner sa feuille de route sur le tourisme durable qu’elle tente de construire depuis plus d’un an avec ses partenaires en allant interrogeant le grand public. A ce jour, plus de 12 500 participants et 85 000 votes sur les contributions (de tout niveau) alors qu’il reste encore un peu moins d’un mois. L’objectif affiché : 450 000 votes sur les contributions.
Les villes aussi se sont lancées dans la quête d’informations auprès du grand public. L’Office de Tourisme et des Congrès de Paris, alors même qu’il est en train de préparer ses Assises du Tourisme Durable prévues pour les 1er et 2 juillet prochain, souhaite mettre à contribution ses habitants et ses visiteurs pour valider les réflexions et propositions en matière de tourisme durable à Paris. Un peu avant, c’était l’Office de tourisme de Bordeaux qui innovait en proposant aussi un dispositif participatif et citoyen pour co-construire les actions en faveur d’un tourisme responsable dans la capitale girondine.
Le numérique permet désormais de toucher largement le grand public et de les impliquer dans les solutions, dans les préconisations afin de développer un tourisme plus responsable que ce soit en France ou dans les destinations. D’un côté, je trouve que c’est louable et plutôt positif d’utiliser ces dispositifs pour toucher du monde et ainsi sensibiliser au maximum le grand public face à la nécessité de réinventer ses vacances, sa consommation de loisirs et ses déplacements. De l’autre, j’ai envie de dire attention aux décideurs locaux. Faire des consultations citoyennes et demander l’avis de Madame Michu ne doit pas vous dédouaner de ne pas prendre des décisions courageuses en écoutant en priorité les scientifiques et non pas les voyageurs et clients.
Limites, courage et perspectives d’avenir
Et oui ! La grande différence entre la Convention Citoyenne pour le Climat et ces consultations citoyennes en ligne, c’est que les 150 participations de la fameuse CCC ont été sensibilisés, formés aux enjeux climatiques par des scientifiques et experts (voici la liste complète). Ici, il n’y a pas de sensibilisation et d’information scientifique sur les différentes problématiques (la question de l’impact du tourisme sur le climat, les limites de l’absorption carbone, le surtourisme dans les espaces sensibles, la qualité des emplois dans l’hôtellerie, etc.). Le grand public arrive simplement sur une plateforme, propose des solutions et/ou les vote. C’est pour cette raison que vous retrouvez à boire et à manger sur ces consultations et que ce n’est pas concerté avec des scientifiques et autres experts du sujet. Ainsi, je vois vraiment les limites de ces outils s’ils ne sont pas confrontés au final par la science et surtout pour permettre aux décideurs de prendre des décisions courageuses.
Souvent, je m’insurge contre des propositions de professionnels du tourisme qui sont complètement hors de propos face à l’urgence écologique que nous vivons actuellement (des tours du monde en 15 jours par exemple, les vols low cost, etc.). Et là, je reçois des réponses laconiques comme : « Mais il y a des clients qui le demandent… ». Je vous le répète ici haut et fort. Nous n’arriverons jamais à ne pas dépasser les 1.5° d’ici à la fin du siècle en écoutant simplement les attentes des gens, du marché (d’ailleurs, on en prend pas du tout le chemin!) Il nous faudra des décisions courageuses des décideurs pour changer les règles et faire évoluer l’architecture de la société. C’est uniquement de cette manière que les voyageurs évolueront dans leur manière de consommation, pas en leur demandant ce qu’il souhaiterait bien faire. De cette façon, il faudrait que les positions et les choix de chacun sont libres. Or, ce n’est bien entendu pas le cas et ça c’est toute l’histoire des biais cognitifs.