J’ai découvert par hasard le concept de messy middle lors d’une matinée d’échanges organisée par Atout France et Google France. Une approche qui peut sembler à première vue très théorique et un peu assommante mais qui se révèle finalement très éclairante à la lumière d’une expérience réalisée dans le tourisme. Le messy middle est un espace comportemental dans lequel une marque peut gagner ou perdre des clients en jouant sur les biais cognitifs. Un bon café et c’est parti !
De l’entonnoir suranné au “messy middle”
Dans tous les cours de marketing, on aborde le modèle de l’entonnoir d’achat (Découverte – Attention – Considération – Achat) qui permet de segmenter le parcours d’achat. Une représentation qui trouve ses limites par son approche trop linéaire dans un processus décisionnel en réalité bien plus complexe.
Une équipe Google chargée des tendances de consommation s’est entourée d’experts des sciences du comportement (The Behavioural Architects) pour mener une étude (hors contexte Covid-19) portant sur trois sources principales :
- L’analyse de 310 000 scénarios d’achat dans les secteurs des services financiers, des biens de consommation courante, du retail, des voyages et des services collectifs.
- Une revue littéraire sur des projets académiques traitant des biais cognitifs.
- Des simulations d’achats dans un environnement contrôlé.
Ils ont ainsi pu conceptualiser le messy middle comme un espace comportemental entre le facteur déclencheur et l’achat, dans lequel une marque peut jouer sur plusieurs leviers pour gagner des clients.
Spoiler : ce n’est pas la tête à Toto 🙂
L’exposition (exposure) est une toile de fond constante qui se veut plus large que la notoriété (associée généralement à la publicité). En résumé c’est entendre parler en bien ou en mal d’un produit que ce soit par la publicité, l’entourage ou tout autre canal.
Entre le déclencheur (trigger) et l’achat (purchase), le consommateur alterne des cycles répétés entre “exploration” (il étend mon champ de considération) et “évaluation” (il réduit progressivement les options). Les acheteurs suivent la boucle de ces deux modes d’exploration et d’évaluation, répétant le cycle autant de fois que nécessaire pour prendre leur décision d’achat.
Chacun des achats constitue une expérience qui va nourrir l’influence et l’exposition des prochains parcours d’achat.
L’influence des biais cognitifs
L’étude fait ressortir 6 biais cognitifs. Utilisés à bon escient, ils peuvent faciliter le choix de l’acheteur en lui fournissant les informations et le réconfort dont il a besoin pour prendre sa décision. Une marque va pouvoir ainsi jouer sur :
- L’heuristique catégorielle : ajouter une brève description des spécifications clés d’un produit peut simplifier la décision d’achat.
- Le pouvoir de l’instant : plus vous devez attendre longtemps un produit, plus la proposition s’affaiblit.
- La preuve sociale : les recommandations et les avis des autres consommateurs peuvent s’avérer très persuasifs.
- Le biais de rareté : plus le stock ou la disponibilité d’un produit s’amenuisent, plus il devient désirable.
- Le biais d’autorité : l’influence d’un expert ou d’une source fiable.
- Le pouvoir de la gratuité : offrir un cadeau avec le produit acheté (même sans rapport entre eux) peut constituer un puissant facteur de motivation.
Une expérience probante dans le tourisme
Un groupe de personnes a fait l’objet d’une expérience dans un environnement contrôlé.
Les consommateurs devaient choisir leur première et leur deuxième marque d’hôtel favorites. Ils ont ainsi répondu à deux questions :
- Quelle est votre première marque d’hôtel préférée ?
- Quelle est votre deuxième marque d’hôtel préférée ?
Puis une série de biais étaient appliqués pour déterminer si les consommateurs pouvaient changer leur ordre de préférence entre les deux marques.
On présente ainsi les deux marques d’hôtel en boostant la 2ème marque sur les biais cognitifs :
Afin de tester un scénario extrême, les tests incluaient également une troisième marque fictive à laquelle les consommateurs n’avaient jamais été exposés auparavant ! Une fausse marque “StayInn Hotels” était ainsi surboostée sur les 6 biais cognitifs par rapport à la première marque préférée.
Les résultats montrent bien comment une marque peut influer sur le processus décisionnel de l’acheteur et comment une marque challengeuse peut supplanter une marque préférée en jouant intelligemment sur les biais cognitifs.
Le simple fait d’exposer le client à une deuxième marque préférée peut déjà le faire basculer vers cette deuxième marque simplement parce qu’elle est citée. En ajoutant la couche des biais cognitifs, l’influence devient grandissante.
Indice de lecture du graphe ci-dessous :
- 32% des clients choisissent leur deuxième marque préférée dès lors qu’elle est présentée face à leur première marque préférée.
- 89% des clients choisissent leur deuxième marque préférée dès lors qu’elle est surchargée sur les biais cognitifs.
Les résultats avec la troisième marque fictive sont encore plus probants.
Indice de lecture du graphe suivant :
- 78% des clients choisissent une marque fictive ( au détriment de leur marque préférée) dès lors qu’elle est surchargée sur les biais cognitifs.
Quels enjeux marketing en déduire ?
- Assurer sa présence de marque est essentiel : sortir des radars c’est sortir de la tête des clients et du parcours d’achat.
- Savoir utiliser de manière intelligente et responsable les leviers d’influence en mettant en avant ces informations. Il ne s’agit pas de manipulation mentale !
- Apprendre à réduire les mouvements de balancier entre exploration et évaluation pour que les clients existants et potentiels soient exposés moins longtemps aux marques concurrentes.
- Le tourisme fait partie des secteurs où les biais cognitifs ont le plus d’influence contrairement aux amateurs de céréales qu’il est plus difficile de faire basculer.
Ressources :
- “Au revoir l’entonnoir”. Décoder la prise de décision d’achat. Alistair Rennie, Jonny Protheroe / juillet 2020
- Matinée d’échanges : Le numérique et les enjeux actuels du tourisme (Atout France / Google France) :