Cap sur la Région Bretagne pour la suite de ce tour de veille, où l’on découvre que même les sentiers de randonnée sont des lieux d’innovation.
LE Ti HUB, UN LABORATOIRE D’INNOVATION DE LA REGION BRETAGNE
Créé en juillet 2020, le Ti HUB est « une cellule d’innovation touristique qui a pour objectif de connecter les acteurs pour libérer l’imaginaire collectif et la créativité afin de proposer des expériences touristiques en phase avec la raison d’être des territoires ».
Ça en jette, n’est-ce-pas ?
Et bien c’est vraiment ce qu’ils font.
« Ils », ce sont Stéphane Cevoz, anciennement en charge du pilotage de l’élaboration du Schéma Régional de Développement du Tourisme et des Loisirs et coordinateur du Contrat de Destination Bretagne ; Antoine Cariou-Laurent, consultant spécialisé en design de service, en facilitation et expérience client ; et Cécile Tijou, designer d’espace et d’expérience usager.
Leur terrain de jeu, le GR34, autrement appelé « sentier des douaniers », qui ceinture toute la Bretagne de cette fine langue de terre de pas moins de 2 000 kilomètres, qui croise 6 destinations touristiques.
LUTTER CONTRE LA STANDARDISATION DE L’ITINERANCE
On l’a dit, le GR34 déroule son itinéraire sur 2000 kms ; il traverse des territoires variés, singuliers, qui ont leur propre histoire mais aussi leurs propres stratégies opérationnelles qui ont été travaillées dans le cadre du Schéma de Développement 2020-2025. Parallèlement, l’engouement massif autour de l’itinérance, s’il ne peut qu’être encouragé, peut tendre vers une offre normative où la singularité des territoires vécus s’efface.
Face au constat d’une offre touristique peu structurée pour répondre à la demande de clientèles toujours plus nombreuses, les acteurs du tourisme public et privé ont plébiscité le GR34 comme projet à porter par la Région Bretagne, via sa cellule d’innovation.
La Région Bretagne a ainsi confié au Ti-Hub la (colossale) mission de mettre en place une sorte de « méta-méthode » propice à mettre le territoire littoral en mouvement, tous acteurs confondus, vers une dynamique d’innovation centrée usager. Face à un défi de cette ampleur, il en fallait, de la méthode, et le tandem constitué par le technico-curieux Stéphane et Antoine le rigoriste-créatif fait des merveilles.
C’est en effet à une transition méthodologique que l’on assiste, indispensable pour embarquer l’ensemble des protagonistes : habitants, socio-professionnels, techniciens du tourisme, élus, acteurs associatifs, privés, acteurs de l’innovation, universitaires sont de concert sollicités dans des moments d’écoute, de dialogue et de créativité.
de grandes etapes et beaucoup de livrables
L’objectif poursuivi par la mission est d’amener le territoire, par et pour lui-même, à créer une offre touristique, sous forme de produits, d’expériences, de services ou d’infrastructures. Le corollaire indispensable de ce développement touristique programmé, c’est l’acceptation, et même plutôt l’adhésion des populations locales ; c’est pourquoi l’équipe du Ti-Hub a fait un premier travail d’écoute auprès des habitants, en organisant une consultation citoyenne. L’enjeu était de recueillir des regards sensibles en les interrogeant à la fois sur leurs usages et leurs ressentis de leur territoire, mais aussi sur ce qu’ils aimeraient et détesteraient voir s’y développer.
Le fruit de cette consultation a été traduit sous forme de planches illustrées, le recours au design graphique sera très présent tout au long de la démarche, à des fins de documentation et de transmission.
Le Ti HUB, c’est aussi un collectif constitué d’un ensemble d’acteurs, interpellés régulièrement et sous différentes formes :
En janvier 2021, un UX Journey a été organisé pour confronter le fonctionnel et l’émotionnel pour faire émerger les composantes de cette expérience d’itinérance en devenir. « Ce qui importe, ce n’est pas l’itinéraire, c’est l’itinérance », véritable punchline du projet, a permis d’aller plus loin qu’une vision purement « infrastructurelle » de la création de l’offre pour poser la question des « moments de vérité », que sont les irritants émotionnels rencontrés par les usagers.
A l’issue de ce temps de co-création, une cartographie des besoins des usagers pratiquant l’itinérance pédestre s’est dégagée, devenant la matrice de la prochaine étape.
En mars 2021, un ID’ATHON a eu pour objectif d’inspirer le collectif, au travers de conférences en format TED pour évoquer le territoire du GR sous des perspectives sensibles, par des témoins aux profils variés. Les participants à cette journée ont ainsi pu écouter un auteur, un artiste peintre, un chef, une géographe spécialiste des fonds marins ou encore un archéologue qui voyage dans les temps immémoriaux des paysages bretons.
Le second enjeu de cet ID’ATHON a été de « détourer les objets matériels et immatériels qui font la singularité du littoral breton pour aboutir à un livret ADN intégrant une analyse des flux historiques. »
Un Design Sprint, début juin 2021, a réuni une cinquantaine d’acteurs du collectif, pour 2 jours de brainstorming intensif, axés sur la création d’offres et de services touristiques.
Des outils extrêmement fouillés et précis ont été une matière précieuse pour ce travail de co-construction, sous forme de cartes de besoins et de vecteurs d’expériences et d’un livret ADN du territoire. Cet ADN de la frange littorale émerge autour de trois espaces voisins, que sont la terre, l’interface et la mer. La mer, symbole d’aventure et d’exploration, agit comme un ailleurs, un infini. La terre, à l’arrière du sentier, est un territoire accessible, sécurisant, confortable, c’est l’espace du temps long et du voyage immobile. Entre les deux, l’interface est une dynamique de paysages, tout en variations : ce sont les baies, les estuaires, les rias, l’estran infranchissable pour l’itinérant pédestre à qui il convient de proposer des solutions de franchissement.
Ici on voit bien comment un besoin fonctionnel (couper l’estran pour éviter des kilomètres de marche superflus) peut croiser une proposition expérientielle (embarquer sur un canoë pour franchir l’obstacle aqueux et poursuivre son chemin).
ET LES PROJETS EMERGENT…
J’ai eu le plaisir de participer au design sprint du mois de juin, 2 jours ultra stimulants, qui se sont traduits par un foisonnement de belles idées et de projets de toutes sortes, ambitieux, un peu fous, mais toujours au plus près des besoins des usagers et à l’écoute de ceux des populations et acteurs locaux.
Quelques exemples :
– les Casiers du GR, (croquis ci-dessus), qui permettent de mixer les modalités d’itinérance,
– l’Auberge du voyageur, hébergement en mode tiers-lieu, qui permet d’y dormir à la nuitée, de s’y avitailler en circuit court et d’y croiser les pratiques culturelles locales portées par le tissu associatif résidant dans le lieu,
– la Bouée Dodo, recyclage d’anciennes bouées de chenal en hébergements flottants atypiques.
– la Voile coopérative, appli de mise en relation autour du nautisme :
… EN VOIE DE MATERIALISATION SUR LES TERRITOIRES
De ce design sprint sont ressortis plus de cent projets, qu’il a fallu recoller en opportunités (74 !). Après un long travail de synthèse et de traduction graphique des fiches projets accumulées, le Ti HUB est retourné auprès des destinations bretonnes, en 2 temps.
Une visio-conférence avec les développeurs touristiques a permis de présenter les fruits de la démarche, d’alimenter les stratégies de destination et pour certains les inciter à se positionner en tant que territoires d’expérimentation.
Dans la foulée, 6 réunions physiques se sont tenues avec les élus locaux. Chaque opportunité ayant été croquée, une exposition tangible a permis une transmission simple et rapide pour chaque protagoniste. Des pitchs de projets ont complété le « porter à connaissance » des élus, qui ont pu se projeter et imaginer des suites en local.
On le voit, la Région Bretagne via cet outil léger qu’est le Ti HUB a utilisé le levier de l’innovation à différentes fins :
– embarquer tous les publics (habitants et acteurs locaux) et tous les acteurs (institutionnels, privés, associatifs) dans une vision collective et partagée
– impulser une transition méthodologique et accompagner au changement organisationnel
– poser les bases d’un prototypage de projets au travers de partenariats locaux, où la collectivité ne fait (et ne finance) pas tout, toute seule
– positionner la transférabilité comme un critère opérant, propice à essaimer la démarche.
Le GR34 a été le premier terrain du Ti HUB, qui voguera à l’avenir vers d’autres contrées bretonnes, non sans avoir préalablement et généreusement publié l’intégralité de sa démarche sous la forme d’un livret numérique.
Bon vent au Ti HUB et un grand merci à l’intarissable Stéphane Cevoz pour le temps passé à débriefer au téléphone : j’ai mis du coeur à l’ouvrage pour synthétiser mes nombreuses pages de notes de ces échanges passionnants !