Préparer ma participation aux Francophonies de l’Innovation Touristique sur ”les transformations humaines dans le tourisme” ressemble depuis quelques jours à un schmilblick dans ma tête ! Trouver l’angle pertinent sur lequel agir est difficile car tout parait si important et si urgent.
C’est lors d’un rdv pour une coupe de cheveux que tout s’est éclairé 🙂 . Ma coiffeuse me fait entre deux coups de ciseaux une analyse percutante et fine de la situation actuelle sur la pénurie de coiffeurs. Pour elle, elle s’explique par d’un côté des jeunes de moins en moins nombreux à se former et de l’autre des jeunes qui quittent leur poste à peine arrivés. Elle en explique la cause par de mauvaises conditions de travail (bas salaires, horaires tardifs et travail le samedi, …) et par un manque de considération. Et à cela s’ajoutent des démissions de plus en plus nombreuses de salariés plus âgés. Ces salariés quittent un métier qu’ils aiment. Mais ils sont à bout de souffle et certains déclenchent même des problèmes de santé. Au milieu de tout cela, une coiffeuse qui tient bon, passionnée par son métier, qui se sent utile quand elle prend soin chaque jour de ces clients à la fois physiquement (avec une jolie coupe) mais aussi psychologiquement (avec les confidences).
Le constat est malheureusement sans grande surprise et porte quelques similitudes avec le domaine du tourisme. Les actions à engager paraissent assez claires, même si elles ne sont pas évidentes à mettre en place. Mais ce qui attire mon attention ici, c’est la démission de personnes qui aiment leur métier mais qui le quittent pour des raisons de santé (maladie, épuisement …). Alors dans ce contexte, comment s’assurer que chaque personne dispose de l’énergie suffisante pour continuer à bien faire son travail ? Comment s’assurer que la passion que l’on a pour notre métier dans le tourisme perdure encore ?
des poches d’AIR
C’est du côté de certains entrepreneurs, qui ont pris la liberté d’imaginer un quotidien différent au travail que l’on peut piocher quelques expériences concrètes.
Imaginez des journées où tout se déroule de façon fluide avec des temps de travail bien identifiés et où “sont insérées dans votre emploi du temps des poches d’air où vous pouvez accomplir des activités non professionnelles, qu’elles soient urgentes, nécessaires ou utiles à votre bonne concentration au travail et ce sans avoir ni à demander, ni à se justifier, ni à se culpabiliser”.
C’est ce que partage dans son livre “Merci mais non merci” Céline Alix. Elle a interviewé plusieurs entrepreneures qui après une expérience plus ou moins longue dans le salariat ont imaginé leur propre façon de travailler. Ces femmes (il s’agit ici de femmes mais des hommes aussi vivent ce type d’expérience) ont repensé leur façon de faire au quotidien pour “sortir de ce sentiment d’emprisonnement et d’étiolement, de frustration de ne pas pouvoir s’organiser librement ou encore de cette sensation de courir partout” comme le constate Céline Alix.
Concrètement, ces poches d’air ne sont donc pas des activités professionnelles. Ce sont des activités qui vont libérer et générer de l’espace dans notre cerveau pour améliorer notre concentration au travail. Ces activités peuvent être liées à l’organisation personnelle et familiale. Elles peuvent aussi être liées au prendre soin de soi (physique et émotionnel). C’est par exemple prendre un moment durant sa journée de travail pour sortir marcher juste parce qu’on en a besoin. C’est s’accorder un moment de calme pour ne rien faire parce qu’on sent qu’on est en surmenage. C’est pouvoir prendre un rdv médecin parce que c’est urgent . C’est partir un peu plus tôt parce qu’on a envie d’aller chercher exceptionnellement ces enfants. C’est commencer plus tard un matin parce qu’on est fatigué…. La liste n’est pas exhaustive car elle répond aux besoins de chacun, à tout ce qui permet de pouvoir améliorer sa concentration au travail et surtout d’être vraiment là quand on y est.
Disposer de ces poches d’air, c’est pouvoir le faire sans avoir ni à demander, ni à se justifier, ni à se culpabiliser. Ces trois verbes sont tout aussi importants que le type de ces poches d’air. Il s’agit en effet de ne pas avoir à demander l’autorisation, car on sait que c’est juste et utile pour nous. Il s’agit de ne pas avoir à se justifier car on sait que si on le fait cela passe dans notre emploi du temps. Il s’agit enfin de ne pas se culpabiliser car on sait que c’est possible pour nos collègues aussi et qu’ils ne nous jugeront pas.
UNE VITALITE NON NEGOCIABLE
S’autoriser ces poches d’air c’est favoriser sa concentration au travail mais c’est aussi s’assurer de conserver une vitalité toujours intacte. “La vitalité n’est pas plus une option, qu’un privilège. Elle est la condition de notre santé, de notre capacité d’action et de rebond” “ partage Marie-Pierre Dillenseger dans son livre le feu intérieur. C’est peut-être parce qu’on a considéré que la vitalité était évidente, que ce n’était même pas un sujet, que l’on se retrouve aujourd’hui face à des maux qui peuvent prendre la forme de stress, surmenage, d’épuisement, de douleurs physiques ou psychiques, voire même de burn out (même si on se doute que prendre soin de sa vitalité n’est pas l’unique réponse à tous ces maux). Ces entrepreneurs indépendants qui expérimentent ces façon de travailler savent que leur bien le plus précieux c’est eux. Ils savent que ne pas prendre soin de leur vitalité n’est pas une stratégie durable pour leur activité.
Il est en effet temps de regarder en face que c’est illusoire de croire qu’une séance de sport le vendredi va permettre d’évacuer tout le stress accumulé de la semaine. Il est illusoire de croire qu’on peut appuyer sur le bouton on à 9h et off à 18h et être efficace en continue pendant toutes ces heures. Il est illusoire de croire qu’on laisse nos problèmes personnels et notre organisation familiale à l’entrée du travail et qu’on les reprend à la sortie. Il est illusoire de croire qu’on peut rester concentré au travail alors qu’on sait qu’on serait mieux avec notre enfant malade. Il est illusoire de croire que notre état de fatigue du jour va pouvoir attendre le week-end pour qu’on daigne s’en préoccuper et la liste est encore bien longue… 🙂 .
OSONS PENSER AUTREMENT
Si nous continuons à penser le travail avec nos croyances habituelles, nous aurons des difficultés à bouger. Nous avons en effet besoin de programmer de nouvelles croyances.
Souhaiter plus de souplesse dans son agenda n’est pas synonyme de baisse de motivation ni de baisse de performance, bien au contraire. En étant honnête quand on commence un projet, on ne sait jamais combien de temps il va prendre. Sur un même dossier, une personne peut y passer six heures, pendant qu’une autre n’en passera que deux. La performance est difficilement quantifiable et on aura du mal à la calibrer comme sur une chaîne de production. Par contre s’assurer que quand je travaille sur ce dossier, j’ai l’esprit libre et pas encombré par cette to-do list interminable, alors il y a fort à parier que ma concentration soit meilleure et que le temps consacré soit plus court. La performance a besoin d’être redéfinie et ne doit plus être seulement reliée au nombre d’heures passées au travail.
Ces entrepreneurs commencent à écrire d’autres schémas parce qu’ils ont la liberté de pouvoir le faire mais cela ne signifie pas qu’il ne leur faut pas du courage pour oser. Cela nécessite en effet d’avoir le courage de défaire les moules dans lesquels ils ont été éduqués pendant de longues années.
Il n’y a aucune certitude que ce schéma soit le bon car il n’est peut-être pas adapté à tous, mais pas plus que le schéma actuel du travail ne l’est !
SE REGENERER PLUTOT QUE REPARER
Se régénérer plutôt que réparer serait avoir confiance dans la capacité de chacun à identifier ses besoins favorisant une bonne concentration et une bonne efficacité au travail. Il peut y avoir une crainte que certains abusent du système, mais si quelqu’un aime son travail, que celui-ci a du sens pour lui ou elle, ce qui est plutôt le cas dans le tourisme, on peut au moins essayer 🙂 .
Cette façon d’envisager les journées questionne fortement le service au client. C’est en effet un grand challenge à relever. Il n’y a pas de règles écrites qui soient vraies pour chacun, à chaque structure, d’inventer ce qui est juste pour eux.
Certains sont peut être à dix mille lieux de cette réalité quand pour d’autres, c’est peut-être déjà leur façon de faire au quotidien. Alors osons la dire et la décrire pour qu’elle devienne une possibilité pour tous.
Et pour conclure, cette phrase de Marie-Pierre Dillisenger « La vitalité se cache, se protège et disparait lorsque nous ignorons, nos besoins, nos envies et nos désirs ». Alors et vous qu’avez vous ignoré pendant toutes ces années ?