Il y a deux petits mois, vous avez pu trouver dans ces colonnes la première partie de cette réflexion sur la performance des sites web de destination. La question que je me posais était simple : les sites web de destination voient (souvent) leur fréquentation augmenter, mais celà est-il signe de performance ?
Pour répondre à cette vaste question, j’ai interrogé trois blogueurs : Mathieu Bruc est directeur marketing digital Clermont Auvergne Tourisme et gère donc tout l’écosystème digital de la destination. Sébastien Gonzalez est business développeur, consultant et expert des parcours clients à l’agence Raccourci. Il participe donc à la construction de sites pour les destinations. Et enfin Cédric Chabry est fondateur et co-dirigeant de ThinkMyWeb, une agence qui aide les destinations à révéler le réel potentiel de performance de leur écosystème numérique.
Dans le premier billet, nos trois experts attiraient fortement l’attention sur l’importance de la stratégie qui doit sous-tendre toute démarche de site web.
Ce sera donc le sujet de ce deuxième volet : Où faudrait-il mettre le curseur pour une destination pour accroître sa performance numérique? Quelles priorités ?
Le contenu, toujours roi ?
Pour Sébastien, « le seul vrai succès, c’est toujours le même : Content is king !
En 15 ans, le discours n’a pas changé, le contenu c’est le nerf de la guerre : sans contenu le site est nu… avec des contenus pourris, le site sent le roussi (pas facile la rime !).
Des contenus de qualité, qui donnent envie, de l’expérientiel, de beaux paysages, l’odeur des fleurs dans le jardin, le crépitement de la cheminée, la saveur d’un bon petit plat, l’ambiance d’un festival… c’est ce que le voyageur recherche, c’est ça que l’internaute doit trouver. Le web éditorial doit susciter de l’émotion et faire ressentir chaque sens (toucher, vue, ouïe, goût, odorat), ça passera bien sûr par les textes, les photos et vidéos. Je rêve d’une chose, c’est que l’on arrive à diffuser des odeurs à travers les sites internet : l’émotion sera alors à son paroxysme.
Quand on arrive à ça, dans le même temps c’est Google qu’on séduit, par la qualité éditoriale des contenus, par la richesse des pages élaborées, par les cocons sémantiques créés, etc. Et la boucle est bouclée !«
Mathieu va plus loin : pour lui, les OGD doivent pouvoir eux-mêmes produire le contenu : « Aujourd’hui, il faut de plus plus internaliser ces compétences pour limiter les investissement externes mais ce n’est pas la principale raison même si en ces temps de disettes budgétaires elle a son importance. L’internalisation dans la production de contenus permet d’être bien souvent plus réactifs, plus précis sur la connaissance, sans perdre en qualité, dès lors que les équipes sont formées et équipées en matériel, logiciel, etc.«
Accessibilité et référencement
Pour Mathieu toujours, deux autres points sont en prendre en compte pour améliorer la performance. Tour d’abord, l’accessibilité : « Si on en revient au site Web, la deuxième serait de rendre son site accessible à tous et notamment aux personnes ayant des déficiences visuelles ou rencontrant des difficultés motrices, cognitives, auditives. Je trouve personnellement inaudible de prêcher pour un tourisme responsable (par exemple sur le volet environnemental) sans un site Internet accessible RGAA qui exclut de fait une partie des publics. Le comble c’est de valoriser des offres accessibles sur un site Web sans que ce site ne soit lui-même accessible ! C’est comme être devant la vitrine d’une pâtisserie sans pouvoir y rentrer !«
Et évidemment, le référencement ! Démonstration : « Que font les internautes quand ils se posent une question ? Ils vont rarement sur Facebook ou Tiktok mais plutôt sur Google (voire sur Youtube). C’est primordial d’inclure une stratégie de référencement dans son écosystème digital. Alors certes il y a le socle technique du site qui joue ainsi que la réputation d’un nom de domaine (les backlinks). Mais c’est aussi la logique de production contenus (et on rejoint la première priorité) qui est indispensable. »
Vers une approche holistique
Pour Cédric, le fait de travailler sa performance de site web juste en cherchant à résoudre des points précis ne fonctionne pas. Il faut une vision globale : » l’erreur dans presque tous les cas, c’est de penser qu’on va pouvoir résoudre un problème de performance en agissant sur un point particulier qu’on aurait pré-identifié et de confier cela à un prestataire spécialisé : mon trafic chute, j’appelle une agence SEO; j’ai un taux de conversion à 0,07%, je demande à mon agence web de modifier le tunnel; je pense avoir besoin de nouveaux contenus, j’appelle un rédacteur… Notre conviction profonde est que la performance numérique des destinations, de leurs sites web en particulier, est une question d’une part très complexe mais surtout une question globale qui doit mobiliser une réflexion pluridisciplinaire. Dans le tourisme plus que dans n’importe quel autre secteur, l’alchimie est telle que seule une approche holistique peut faire la différence. Quand tu as un problème de trafic, certes tu peux avoir un « simple » problème SEO, mais dans la plupart des cas, tu as surtout un problème d’alignement, de cohérence, entre l’image de ta destination (qui conditionne ton potentiel), ton positionnement marketing et ta stratégie de contenus (qui peut aller jusqu’à l’UX/UI).«
J’ai donc demandé à Cédric de détailler son approche par rapport aux destinations, qu’il propose dans son agence.
Le préalable : un diagnostic global : « Notre modèle repose sur un diagnostic complet de l’existant, qui nous permet ensuite d’imaginer le cocktail idéal pour atteindre le plus haut niveau de performance possible. Sans ce diagnostic, on est incapables de travailler sérieusement, même quand on a un problème apparent, car bien souvent il masque des problèmes sous-jacents, silencieux… Parfois, notre recommandation sera de passer par une incontournable refonte, mais bien souvent, les leviers sont ailleurs, y compris sur des sites tout fraichement livrés. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’on nous sollicite suite à la livraison d’un site, pour reprendre de la hauteur et mettre de l’ordre (et de la performance) dans ce qui n’a pas été suffisamment travaillé lors de la refonte (positionnement, stratégie de contenus et parcours client notamment). Il n’est jamais trop tard pour bien faire… »
Ce diagnostic prend en compte trois aspects du site : les aspects techniques, le contenu du site, et l’expérience utilisateur.
« La première étape de notre diagnostic repose sur l’idée qu’un site web performant, c’est avant tout un dispositif en bonne santé et conforme à l’état de l’art et aux règlementations. Nos méthodes et outils (notamment inspirés de l’approche Opquast) passent le site au crible d’une centaine de critères dont une partie spécifiques au eTourisme : éco-conception, temps de chargement, poids et pollution numérique de chaque page, erreurs techniques, qualité de l’indexation SEO et absence de facteurs bloquants, liens référents, équilibre du trafic entrant, tracking, RGPD, RGAA… Ça nous donne globalement une idée de la capacité du site à atteindre un bon niveau de performance et pointe un certain nombre de corrections à apporter, avec des niveaux de criticité variables. On a très régulièrement dès cette étape des axes absolument prioritaires à engager pour développer la performance.
Dans la seconde étape, on va chercher à évaluer dans quelle mesure le site réussit à capter son audience naturelle et légitime au regard de la stratégie. Comme tous les critères « techniques » ont été évalués à l’étape 1, c’est globalement l’efficacité de la stratégie de contenus dans toutes ses dimensions qui est évaluée ici. C’est traditionnellement à l’issue de cette étape qu’on planifie et engage les plus gros efforts, car la stratégie de contenus est encore trop souvent négligée dans les chantiers de refonte.
Enfin, la troisième et dernière étape se penche sur la capacité du site à transformer son audience grâce à l’UX (expérience utilisateur, au sens large) en fonction des objectifs. On va potentiellement mobiliser des outils d’observation comportementale voire de tests A/B pour améliorer les parcours, et l’enjeu est colossal dès lors qu’on parle eCommerce (billetterie visites guidées et produits, séjours…) »
Un site web performant, ce serait d’abord du marketing ?
La conclusion que je tire de ces entretiens, c’est qu’un site web de destination est avant tout un outil marketing au service d’une stratégie. Donc, encore une fois, s’il n’y a pas de stratégie pour la destination, ce sera compliqué d’être au top et surtout d’avoir un contenu adapté.
Deuxièmement, un site web est destiné à des utilisateurs, et comme le disent nos experts, l’approche client est essentielle pour améliorer sa performance. On bosse pour le client et non pour se faire plaisir.
Le reste, c’est une affaire de techniciens, qui seront d’autant plus performants si la ligne a été traçée…