Je devais me lancer dans un billet sur les quotas carbone, puis j’ai changé pour un article sur la sur-médiatisation du surtourisme. Et mon ami Barnabé Colo m’a dit que ça devenait un sujet lourd où tous donnaient un avis au doigt mouillé ou poussaient sa gueulante sur les réseaux sociaux. D’un côté un surtourisme (qui n’en est pas) relayé de partout, et à l’inverse, les conséquences de la crise écologique sur notre secteur touristique très peu abordé. On passe du déni climatique au déni de vulnérabilité et particulièrement dans le tourisme.
La Méditerranée, hot-spot et pas que touristique
Les images des incendies en Grèce sont effrayantes, avec ces milliers de touristes évacués en urgence face aux flammes. On se souvient de l’été 2022 en sud-Gironde et dans les Landes particulièrement violent et traumatisant pour les pros. Des pics à presque 50°C en Sardaigne, l’été sera chaud c’est le moins qu’on puisse dire !
Le bassin méditerranéen est le premier (et sûrement plus ancien) espace touristique mondial, recevant chaque année environ 200 millions de visiteurs internationaux et nationaux.
Il représente un quart de la capacité hôtelière mondiale, 30 % des recettes et des flux touristiques mondiaux et 40 % des arrivées internationales. La Méditerranée concentre 3 des 4 plus grands récepteurs de touristes au monde (France, Espagne, Italie). Hot-spot touristique donc.
Un « hot spot » climatique, également appelé « point chaud » climatique, fait référence à une zone spécifique de l’atmosphère située à une certaine altitude dans les tropiques, où le réchauffement est plus rapide que la moyenne mondiale. Plus précisément, il s’agit d’une région où les températures augmentent plus rapidement que dans les zones environnantes. Ce phénomène de hot spot est une conséquence attendue du réchauffement climatique dû aux activités humaines, en particulier les émissions de gaz à effet de serre, tels que le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4).
Paradoxe quand on sait que les transports (et notamment aériens) sont la principale source émettrice de GES et que les touristes accèdent à ces destinations par avion.
Pratiques récréatives à plus de 45°C
WWF a sorti une étude sur l’adaptation des pratiques sportives au changement climatique. Dépassé 32°C, le sport est déconseillé car dangereux. Comment vont faire certains pros du tourisme dépendant d’une belle météo et températures clémentes ? Même si nous pouvons ajuster les horaires de certaines pratiques pour éviter les pics de chaleur des 12h-16h, certains sites se visitent à la journée. Je pense notamment à l’itinérance qui sera particulièrement touchée pour l’augmentation des températures.
Certes, il faut appeler les visiteurs à se responsabiliser et être vigilants, ce n’est pas ça le « vrai smart tourisme » ? Mais… (toujours un mais quelque part…). On a déjà vu des comportements stupides finir en drame (je me souviens de 2 victimes dans mon village natal du nord Finistère qui étaient allés se balader sur la digue du port sous des rafales à 130 km/h).
Allons-nous vers une régulation ou interdiction d’accès à certains sites et activités pour cause de danger sur la santé des visiteurs ? Comment adapter les pratiques à certains publics vulnérables comme les enfants en bas âge ou les séniors ? Sinon, notre Gouvernement lors des dernières canicules nous invitait à fréquenter les espaces climatisés (cinémas, centres commerciaux, …). Les territoires de destination, notamment urbains, peuvent aussi valoriser des « parcours fraicheur », où les visites en extérieur sont réalisées au plus proche de lieux végétalisés, plus frais. La désaisonnalité parait être une bonne clef pour que le secteur ne subisse pas trop.
Pénurie d’or bleu
Sécheresse, épuisement des nappes phréatiques, pollution de l’eau, … Notre secteur est pleinement dépendant de cette ressource qui se raréfie et particulièrement l’été. Que vont faire les destinations misant sur la carte de l’eau synonyme de fraicheur ?
Avec plus de 5 500 km de côtes et 1 948 km de plages, le littoral métropolitain est la 1ère destination touristique française. Imaginez si la baignade interdite se généralise à cause de la prolifération de certaines bactéries ou présence d’espèces invasives (ex : méduses) dues au changement climatique ?
Autre branche impactée, le tourisme thermal. Que vont faire ces stations (300 000 curistes / an en France) et équipements aqualudiques si les piscines ne peuvent être remplies faute de ressource disponible ? D’ailleurs, certains communes des Pyrénées Orientales ont inscrit dans leurs documents d’urbanisme, l’interdiction de construction neuve de piscine, le métier de pisciniste menacé par des restrictions réglementaires alors que la demande flambe (sans vouloir faire de jeu de mots). On sait que le critère « piscine » pour les locations est très demandé et quand on voit certaines vues aériennes de destination, comment vont être « rediriger » ces piscines si elles ne peuvent être remplies ? (les trentenaires auront la réf. des pistes de skate dans des anciennes bassins).
Idem pour le tourisme fluvial (2,2 millions de « journées-passagers » en plaisance privée pré COVID19) si les niveaux ne permettent pas de naviguer à cause des cours d’eau asséchés ? On se souvient des images de 2022 des Gorges du Verdon quasi-vides. Je pense aux professionnels du canoë-kayak (clin d’œil à mes anciens collègues du PNR des Landes de Gascogne et du réseau Leyre) Enfin, même si plus marginal, que deviendra le pescatourisme s’il manque des poissons (2 milliards d’€ de chiffre d’affaires en 2019) ? J’avais dressé les principaux enjeux, dépendances et opportunités pour le tourisme sur cette question de l’eau dans un article « Voyager au cœur de l’eau ».
Flygskam et trainbrag
Si on reprend les chiffres de l’ADEME sur les GES du tourisme, on sait que les transports touristiques pèsent 77% des GES dont 41% pour l’aérien. Décarboner les transports devrait donc être la priorité des pros du tourisme.
Guillaume Cromer avait dressé un chouette portrait du concept de flygskam, la honte de prendre l’avion, démocratisée par des personnalités comme Greta Thunberg. Malgré le débat sur l’interdiction des jets privés et la proposition de Janco sur les 4 vols aériens à vie, le constat est là : de plus en plus de gens limitent voire boycottent l’aérien. A côté de ça, beaucoup de destinations sont accessibles principalement par avion, je pense aux territoires insulaires. Des alternatives existent, comme le bateau, mais ça demeure compliqué (coût, temps, offre disponible). J’espère que le transport aérien sera davantage régulé (teaser prochain article de septembre) mais je pense que la baisse du trafic viendra plutôt de la demande (en attendant le saint Graal de l’avion vert).
En face, ce nouveau concept de « trainbrag », la fierté de prendre le train ! Plus positif pour créer de nouveaux imaginaires du voyage. Il s’agit néanmoins de travailler sur la chaine de mobilité des territoires touristiques, car même si certaines destinations sont très bien desservies en train, je ne sais pas trop comment vont faire certaines zones rurales plus isolées sans gare (je pense notamment à la diagonale du vide).
Et de manière générale, sans parler de honte ou de fierté de quelque chose, la tendance est à la dépossession de la voiture individuelle. On peut aussi citer l’émergence des voitures électriques, qui nécessitent l’installation de bornes de recharge (clin d’œil à la Bulle Verte qui propose de découvrir les richesses d’un territoire en attendant de recharger sa batterie auto, plus sympa que d’attendre sur une aire d’autoroute).
Posons-nous la question : Comment le voyageur va-t-il atteindre son lieu de séjour depuis son domicile ?
- Identifier les moyens de transports
- Repérer l’existence et les niveaux de desserte, l’intermodalité, la fréquence, les horaires, tarifs
- Parcourir les derniers kilomètres depuis l’infrastructure d’arrivée.
Donc au lieu de dérouler le tapis rouge à l’ouverture de nouvelles lignes aériennes low-cost comme le font certains OGD (dissonance quand tu tiens !!), misons sur le train. Le trajet doit faire partie du voyage d’où l’importance de créer de nouveaux récits.
J’aurai pu parler d’autres aspects comme l’inclusion, les migrations touristiques, la communication de crise par les OGD mais je me garde ces sujets sous le coude pour une prochaine.
Je vous mets le lien de mon article initiale « surtourisme, le marronnier des journalistes, ça suffit ».
Et je conclurai par un petit coup de projecteur du 1e festival sur la décroissance qui démarre aujourd’hui à Saint-Maixente-l’Ecole (Deux Sèvres). Une belle programmation qui annonce de riches échanges. Clin d’œil à l’asso Alter Kapitae qui m’a fait découvrir l’évènement et son fondateur Gabriel Malek, rebelle décroissant++ qui n’a pas sa langue dans sa poche et prend part aux débats de société avec beaucoup de recul et de nouveaux récits autour de l’univers mangas / Miyasaki !