Dans les médias, le tourisme régénératif est souvent présenté du point de vue du visiteur, dans le sens où celui-ci est invité à « laisser la destination dans un meilleur état qu’à son arrivée ». Mais est-ce uniquement de sa responsabilité de revitaliser nos territoires? Comment les acteurs locaux peuvent agir et adopter une approche régénératrice? Quel est le rôle à jouer par les OGD et que doivent-elles changer dans leurs façons de « gérer » la destination ?
J’avais ce questionnement en tête lorsque ma partenaire d’affaires m’a parlé de l’événement de Destination Canada auquel elle a assisté en octobre dernier, le Symposium international sur l’intendance des destinations. L’intendance des destinations, stewardship en anglais, est un terme utilisé dans le Canada anglophone, mais encore absent au Québec. En m’intéressant à ce sujet, je réalise qu’il y a un lien direct avec le tourisme régénératif. Et justement, Destination Canada a sorti une étude sur Une approche régénératrice pour le tourisme au Canada. Cette lecture m’a permis de saisir enfin l’essence de cette approche et surtout de réaliser que c’est la voie la plus évidente à prendre pour pérenniser nos destinations touristiques. Je vous offre donc ces quelques éléments de réflexion tirés de mes lectures !
Prendre soin du vivant de façon holistique
L’étude de Destination Canada campe tout d’abord le concept de régénération qui « découle d’une vision du monde axée sur les systèmes vivants, puisque tout système vivant se régénère ». C’est un synonyme de vitalité renouvelée et d’autoguérison. Les modes d’existence régénérateurs sont ainsi, de par leur nature, plus holistiques, intégrés et respectueux de toute forme de vie. Ils s’inspirent de la sagesse qui est au cœur des nombreuses visions du monde des peuples autochtones.
Les auteurs de l’étude résument donc que « Dans cette optique, le but de nos activités est de prendre part à la revitalisation et à la guérison des écosystèmes et des relations humaines dont dépendent la communauté, l’économie et notre bien-être collectif ».
Cette approche oppose le monde en tant que « machine » de celui en tant que « système vivant ». Cette dichotomie de vision, schématisée ci-dessous, présente bien la création de valeur que génère l’approche régénératrice. Le développement durable, qui tend vers l’absence de dommage (« Zéro net »), est malheureusement un objectif irréaliste selon les auteurs.
Que veut dire l’approche régénératrice en tourisme ?
Nombreuses sont les communautés d’accueil à critiquer l’approche extractive et dégénérative du tourisme qui a, dans certains cas, pour effet de réduire la qualité de vie des résidents, de diminuer la vitalité culturelle et d’impacter les écosystèmes. À l’inverse, l’approche régénératrice signifie de prendre soin de la destination en posant des actions qui permettront de régénérer la vitalité des lieux, des populations, des entreprises, des communautés, des systèmes écologiques et d’enrichir les visiteurs.
Cela vient alors à l’encontre de la pensée traditionnelle de développement centré sur le touriste, puisque la priorité est donnée ici au respect des besoins de la communauté, et non du visiteur de l’extérieur. Il faut donc se questionner sur le « bénéfice net » pour le territoire dans son ensemble. Et bonne nouvelle (mais on le savait déjà!), le tourisme peut contribuer à ce qu’un territoire s’inscrive dans une trajectoire plus durable, inclusive et prospère de plusieurs façons :
- En renouant les liens entre les gens, à travers les géographies, les industries et les cultures ;
- En rapprochant les gens de la nature, en nous sensibilisant à notre interdépendance au sein d’un vaste système vivant de manière à générer une richesse sans extraction ;
- En renforçant le rôle des communautés de toutes les tailles, en découvrant leur potentiel inhérent de façon à conjuguer de nouveau les différents intérêts, les lieux, les populations et les profits.
Selon Destination Canada, une approche régénératrice en tourisme se base sur trois éléments :
1. La création d’un lien délibéré et significatif entre les gens et les lieux ;
2. La mise en action de cette volonté partagée par le développement d’expériences d’accueil et d’infrastructures qui prennent vie grâce aux histoires, aux savoirs et aux attentions d’ordre local ;
3. La réalisation de ces actions de manière à favoriser les capacités d’épanouissement et la résilience des populations, des entreprises, des communautés et des systèmes écologiques.
J’aime également les cinq engagements et les dix piliers de l’approche régénératrice du Tourism CoLab en Australie :
Comment adopter une approche régénératrice ?
Prendre soin d’une destination dans son ensemble ne semble pas être un rôle clairement identifié par les OGD. C’est pourquoi il est peut-être nécessaire d’adopter de nouvelles façons de faire. Destination Canada a remplacé le terme de « gestion » de la destination par l’« intendance » (stewardship). Il s’agit d’une approche holistique adoptée collectivement pour prendre soin de l’ensemble du système vivant d’un lieu, donc de la communauté d’accueil. Cela implique non seulement un changement de la raison d’être de l’organisation, mais également de son style de leadership et de gouvernance.
De ma compréhension, l’organisation doit donc viser à développer un engagement collectif autour de la destination et de son potentiel, en incluant la population locale, les institutions, les entreprises, les visiteurs, etc. Dans son étude, Destination Canada propose un cadre de pratique de base avec des principes et une structure. Les principes identifiés reposent sur l’importance de se concerter pour découvrir l’essence et le potentiel uniques de nos lieux et de nos communautés. Développer l’engagement collectif permet ensuite de prendre soin mutuellement des gens et des lieux.
Pour ce qui est de la structure, elle se base sur la coopération, en partant d’un cercle d’intendance composé de divers membres de la communauté. Chacun d’eux appartient à un « groupe de passion » qui a une spécialisation ou un domaine d’intérêt (changements climatiques, santé des milieux de vie, mobilité, tourisme culinaire, agrotourisme, renforcement de la main-d’œuvre, justice sociale, etc.). Enfin, chacune des personnes de ces groupes représente une équipe d’accueil, formée de personnes ou d’entreprises. C’est là que les nouveaux produits, services et contributions se développent (voir schéma ci-dessous).
Le Conseil mondial du tourisme durable (GSTC en anglais) vient également de sortir un document de référence qui présente les dix étapes de base pour adopter une approche d’intendance de la destination, le Destination Stewardship Starter Kit.
Le tourisme régénératif et l’intendance semblent être les mots de l’heure. Mais au-delà de ces termes, il faut surtout y voir un changement de paradigme dans l’approche de développement et de gestion de nos destinations touristiques. Le résultat visé est plus qu’enthousiasmant, puisqu’il véhicule la promesse d’un meilleur tourisme, qui se met au service d’une communauté pour l’aider à s’épanouir, maintenant et dans le temps.
Un grand merci à Véronique Lévy de la firme Ellio à Montréal pour sa mise en lumière de cette approche 🙂
Autres ressources sur le sujet :
Études de cas de destinations qui ont adopté cette approche :
- Thompson Okanagan Tourism Association (Colombie-Britannique)
- Crown of the continent (Alberta, Colombie-Britannique et Montana)
Image à la une: Squamish Lil’wat Cultural Centre, Whistler, British Columbia / Tourisme autochtone Canada. L’approche régénératrice est utilisée depuis des millénaires par les peuples autochtones, dont ceux du Canada.