Commencer à voir apparaître des bouilles, des tronches, des gueules, plutôt que de verdoyants paysages bordés de vignes luxuriantes et arpentés par de sympathiques combis WV, c’est clairement une bonne nouvelle. C’est peut-être le début de la fin d’un standard marketing qui a savamment lissé l’image des destinations au profit d’une instagrammisation généralisée.
Ceci étant, comment révéler l’ADN de votre territoire au travers d’interviews de locaux ?
Comment distinguer une « bouille » d’une autre ?
Comment différencier Jean-Michel le potier du village, de Jean-Pierre le propriétaire de chambres d’hôtes du Parc naturel régional ?
Il y a trois grandes étapes dans un processus d’interview :
- La préparation
- L’interview en elle-même
- Le dérushage
de quoi parlons-nous ?
Préparer une interview nous amène à nous poser dès l’amont du projet beaucoup de questions :
Il convient tout d’abord de définir le thème qui sera abordé dans cet entretien, qui fera probablement partie d’une série au long de laquelle vous délayerez la thématique en question.
En effet, vos territoires sont dotés de tant d’atouts qu’il sera préférable d’éditorialiser le propos de votre collection d’interviews autour d’un sujet et/ou d’un angle. Cela peut être un aspect factuel qui servira de fil rouge (la présence de l’eau, les histoires locales, la gastronomie…) ou une valeur que vous souhaitez mettre en avant parce qu’elle incarne particulièrement ce qui vous semble être constitutif de l’identité de votre territoire. Inutile de préciser pour votre futur brainsto que les valeurs « authenticité », « partage » et « convivialité » sont l’apanage quasi commun des destinations françaises, il conviendra de creuser un peu plus le sujet pour comprendre quelles sont les valeurs qui vous ressemblent.
Vous pouvez (devez) naturellement croiser sujet et angle, ce qui reviendrait à passer de « j’interviewe un surfeur de la Rochelle » à « j’interviewe un surfeur de La Rochelle qui est engagé dans des opérations en faveur de la préservation des océans », parce que cette notion d’engagement a du sens pour votre territoire, et c’est ce que vous souhaitez que vos futurs visiteurs retiennent.
Cette étape identifiée, vous pourrez passer au « casting ».
Vous le voudrez divers, inclusif et surprenant.
Ne cherchez pas nécessairement des personnes qui soient à l’aise à l’oral, qui aient l’habitude de parler, ce ne sont pas forcément elles qui vous emmèneront sur des chemins inattendus. Au contraire, celles et ceux qu’on appelle les « bons clients » dans le milieu journalistique ont souvent tendance à rester dans leurs rails, tant ils maîtrisent l’exercice.
Vous serez attentif à la diversité des générations (mélangez Gérard et Matéo), des genres (faites se côtoyer Julie et Julien), des provenances. Sur ce dernier point, même lorsque l’on parle d’histoire locale, les nouveaux habitants ont des choses à dire, à vous qui connaissez bien votre territoire et que vous ne voyez souvent plus. Offrez-vous cet œil neuf, ça fait du bien.
A fortiori, si vous utilisez un média visuel (photo ou vidéo), ne vous privez pas d’amener un peu de couleurs à vos clichés ; et sur ce point, je vous renvoie à l’atelier « Sincérité, transparence et inclusivité » proposé par My Destination lors des dernières Rencontres du e-tourisme.
Rentrons dans le vif de l’interview.
Où doit se tenir l’entrevue ?
Je cite un peu trop Pierre Eloy dans cet article, mais franchement, fuyez les plafonds moches et évitez la salle de réunion de la communauté d’agglo qui fige tout dans un ton institutionnel. Soyez disponible pour vous rendre au domicile de votre interlocuteur s’il le souhaite, ou sur son lieu de travail. Vous pouvez aussi lui demander de vous emmener dans un endroit qu’il affectionne. Et le mieux du mieux, si je peux vous donner mon meilleur conseil, c’est de faire une balade. Parce que quand on marche, d’une part ça libère l’esprit, et d’autre part ça évite le face-à-face qui peut intimider.
Convient-il de préparer les questions à l’avance ?
Si vous cherchez un descriptif de la technique du soufflage de verre ou une explication par le menu des strates géologiques de votre territoire, la réponse est oui.
Si vous sentez intuitivement que cette rencontre peut aboutir sur une vision sensible de ce que vous avez à raconter ensemble, en tant que destination, la réponse est oui mais pas trop.
Préparer des questions, cela sert à rassurer l’interlocuteur (et parfois nous-mêmes, il faut bien l’avouer). Cela permet de donner un cadre à l’échange, mais très vite nous vous recommandons de vous laisser aller au jeu de la sérendipité et de faire confiance à la science de l’instant.
Mettez-vous réellement à l’écoute de votre interlocuteur.
Acceptez les silences.
Rebondissez quand vous sentez que c’est le moment, que la confiance s’est installée.
Faites des blagues (au début).
Notez sur un coin de cahier une idée sur laquelle vous souhaitez revenir, tout en laissant dérouler le moment présent.
Ne coupez pas votre interlocuteur.
Acceptez de prendre le temps, c’est rarement dans les vingt premières minutes que vous irez au cœur du sujet.
Ne regardez jamais l’heure. Cela signe la fin de l’entrevue.
Et maintenant, dérushons.
C’est un terme propre à l’audiovisuel mais qui finalement s’adapte à tous les médias. Dans tous les cas, vous ne ferez pas « subir » à vos lecteurs l’entièreté de l’interview ; considérez la matière dont vous disposez comme un caillou qu’il convient de polir pour en faire surgir le diamant.
L’étape de tri, c’est celle du renoncement, mais si vous avez pleinement vécu l’interview vous devriez effectuer vos choix éditoriaux en toute conscience. Remémorez-vous bien les intentions initiales de votre projet, écrivez-les quelque part près de vous. Vous pouvez prendre des notes, utiliser des couleurs pour réunir les sous-thématiques, cela vous aidera au montage. Là aussi, même s’il s’agit d’un texte écrit, l’exercice de montage aidera à la compréhension du propos et permettra à vos lecteurs d’embarquer avec vous dans cette conversation.
Cette étape est un moment où vous devrez être très vigilant sur le fait de bien respecter les propos tenus par votre interlocuteur, un raccourci ou une approximation sont vite arrivés : vous anéantiriez la relation de confiance que vous avez réussi à créer lors de l’interview. C’est pourtant cette chose précieuse qui vous aura permis de faire émerger un propos sensible, affectif, singulier ; et qui, peut-être, ouvrira de nouvelles perspectives à l’avenir.