Set-jetting, CNC, Atout France et Netflix

Publié le 11 mars 2024
9 min

LE Set-Jetting, LA tendance à la mode

Connaissez-vous cette nouvelle tendance appelé le set-jetting ? Les set-jetters sont ces individus qui planifieraient leurs vacances, séjours, week-ends pour aller voir en vrai les paysages, monuments, villes ou lieux qui ont servi pour tourner un film ou une série. Provenant de l’anglicisme Jet Set et Setting (dans le sens de décors de cinéma, mise en scène), on le traduit parfois en « ciné tourisme« , ce qui a le mérite de la clarté !

On trouve ses premières occurrences au début du siècle, et un net regain d’intérêt lorsqu’Expedia l’identifie fin 2022 comme une des tendances fortes qui vont guider le tourisme en 2023. Ouest France reprend les mêmes infos (plaçant au passage le ciné tourisme comme une tendance au même niveau que le dark tourisme ou le tourisme vert…) et interroge Guy Raffour et Didier Arino, qui comme nombre d’experts, n’y voient qu’une niche intéressante à exploiter, jugeant excessif de qualifier de tendance une pratique qui touche essentiellement les jeunes et les cinéphiles (ce qui peut malgré tout commencer à faire du monde !). Leur scepticisme peut de plus être alimenté par cette affirmation du communiqué de presse reprise dans tous les articles sans aucun questionnement : « Plus d’un tiers des Français interrogés (61 %) ont envisagé de visiter une destination après l’avoir vue dans une série télé ou un film en streaming, et 40 % d’entre eux ont même été jusqu’à réserver un séjour ». Oui, on me confirme que 61%, c’est plus d’un tiers… beaucoup plus même !?

La même enquête révèle d’ailleurs que les documentaires, films et séries en streaming sont désormais la deuxième plus grande source d’inspiration pour partir en voyage (20 %), dépassant désormais les réseaux sociaux (13 %), loin derrière les recommandations d’amis ou de la famille (42%).

Dans le même temps, le très sérieux Amadeus sortait un communiqué du même acabit, révélant les cinq grandes tendances, dont la plus importante était le Metaverse, 40% des voyageurs du monde entier « déclarant » qu’ils se tourneront vers la réalité virtuelle pour choisir leurs vacances, et 35% « déclarant » toujours vouloir s’embarquer dans une expérience de voyage de plusieurs jours en réalité virtuelle ou augmentée. On imagine qu’il s’agit d’un panel représentatif des voyageurs salariés chez Meta et Apple, dont les trois quart ont oublié de prendre des congés…

Bref, on n’allait pas jeter la pierre à Guy et Didier, d’autant que l’on prend plaisir ici à moquer le marronnier des tendances (comme Jean-Luc en 2022) et les enquêtes aux panels et questions biaisés.

Mais sur le ciné tourisme, Expedia persiste et signe cette année comme l’atteste cet article dans son magazine en novembre 2023. Il s’agit donc d’une des rares tendances de 2023 à survivre au passage de 2024.

Le cnc valide cette tendance

Il aura donc fallu attendre le 7 février 2024 pour que l’Ifop, mandaté par le Centre National du Cinéma, nous confirme cet intérêt marqué des français comme des étrangers visitant Paris et la France pour le ciné tourisme ! Cela paraît beaucoup plus sérieux tout de même et nous permet d’affirmer tranquillement que désormais, c’est plus qu’une niche ! L’enquête (qui en fait vient mettre à jour la précédente qui datait de 2018) comporte trois volets distincts, concernant tout d’abord les touristes étrangers à Paris, puis les touristes français, et enfin les touristes étrangers et français par rapport aux fictions tournées en région.

En synthèse, pour les touristes étrangers interrogés à Paris :

  • 86% des touristes étrangers se rappellent avoir vu au moins un film ou série français
  • 80% des touristes exposés à ces fictions déclarent qu’elles leur ont donné envie de visiter la France
  • 92% des touristes étrangers se souviennent avoir vu au moins une fiction étrangère tournée en France et celles-ci ont incité 78% des touristes qui en ont déjà regardé à venir en France

Le CNC et l’Ifop en déduisent « un pouvoir incitatif qui réside dans la capacité des fictions à véhiculer une image très positive de la France et la présenter comme un pays intéressant à visiter, mais aussi un effet déclencheur : un touriste sur 10 a franchi le pas et décidé de venir en France suite au visionnage d’un film ou d’une série en particulier ».

En ce qui concerne les touristes français, les chiffres sont également éloquents :

  • La quasi-totalité des Français (96%) déclarent avoir vu au moins une création parmi une liste de 12 films et 12 séries françaises tournés dans des régions françaises 
  •  L’exposition à ces fictions éveille toujours l’intérêt des Français pour les régions dans lesquelles elles ont été tournées : 66% des Français ayant vu l’une de ces créations indiquent qu’elles leur ont donné envie de visiter les lieux de tournage. 
  •  Un Français interrogé sur quatre a franchi le pas et décidé de visiter un lieu de tournage suite au visionnage d’un film ou d’une série en particulier

Enfin, les fictions tournées en région constituent également un levier de valorisation des territoires pour les touristes français, et un potentiel important pour les étrangers selon l’enquête réalisée à Marseille, Sète, Nice, Tours et Amboise.

  • 65% des touristes français déclarent que les films ou les séries qu’ils ont vus leur ont donné envie de visiter la région dont seulement 19% très envie
  • Une consommation assez faible des productions régionales, des leviers pourtant efficaces pour promouvoir l’image des régions et y attirer les touristes : seuls 37% se souviennent d’avoir vu au moins un film ou une série tournés dans la région de visite.
  • Dès lors qu’ils sont visionnés, les films et séries tournés en région ont un meilleur impact auprès des touristes étrangers qu’auprès des Français, tant en termes d’image véhiculée que d’incitation à visiter la région.

On n’est donc pas forcément sur une clientèle 100% motivée pour découvrir une destination à travers le prisme unique d’un film ou d’une série (les Da Vinci Code Tours ont vécu !), mais qui se laissent gentiment influencer par les images découvertes sur l’écran.

Mais là encore, on prendra ces chiffres avec des pincettes après examen de la méthodologie, l’échantillon de touristes étrangers se limitant à 503 personnes pour le volet 1 (81 Américains, 84 Anglais, 87 Allemands, 84 Belges, 84 Chinois, 83 Espagnols), recrutés aléatoirement sur six sites touristiques majeurs, et pour le volet 3 en région, à 516 personnes (260 français et 256 étrangers), soit à peu près 130 seulement sur chacun des quatre sites. Le volet 2 quant à lui a été réalisé en ligne auprès de 1004 français.

Les bureaux de tournages ont le vent en poupe

Les collectivités n’ont pas attendu Expedia pour comprendre l’intérêt d’accueillir des tournages de films et séries sur leurs territoires. L’idée d’une mise en valeur, d’un publicité gratuite était déjà bien présente dans l’esprit de nos édiles, ainsi que de nombreuses études attestant grosso modo qu’un euro investi dans un tournage génère 6,60 euros de retombées directes (rémunération, dépenses techniques et tournage) et 1 euro de tourisme (hébergement, restauration, loisirs, transport) : soit un total de 7,60 euros », selon le même CNC.

D’où la « prolifération » de bureaux des tournages ou commissions de films un peu partout en région et dans les grandes métropoles (Cf. la carte sur le site de Film France),

À Dunkerque, après la sortie du film éponyme de Christopher Nolan, en 2017, un sondage réalisé par l’office du tourisme de la ville révélait que 32 % des touristes de l’été 2017 avaient vu le film. 28 % sont directement venus grâce à celui-ci et 24 % ont souhaité découvrir les lieux de tournage (sorties en mer pour voir les épaves, Dynamo Tour en minibus…). La fréquentation de la ville a nettement augmenté et s’est internationalisée : +176% de touristes anglais en juillet, +536% en août, ainsi qu’une progression des touristes allemands, belges et néerlandais. Encore aujourd’hui, on peut visiter l’exposition « L’envers du décor », qui invite à passer derrière l’écran pour découvrir l’envers du décor du film Dunkerque de Christopher Nolan, dans l’ambiance d’une courtine du Fort des Dunes.

Quelques années avant la crise sanitaire, le Domaine de Chantilly, dans l’Oise, à quelques pas de Paris, a accueilli plusieurs tournages chinois (film avec Jacky Chan, séries télévisées) permettant d’en faire l’un des lieux de passage de nombreux TO, avec le soutien de l’ancien CRT de Picardie qui avait recruté une commerciale chinoise. Pas moins de 15 000 chinois découvraient alors chaque année le château et ses environs.

À Toulouse, le Bureau des Tournages est l’une des quatre entités de l’Agence d’Attractivité, aux côtés de Toulouse Invest, du Convention Bureau et de l’Office de Tourisme. En facilitant l’accueil des équipes et leur vie avant et pendant le tournage, et en promouvant l’image de la ville pour en accueillir encore davantage, le Bureau des Tournages ambitionne la génération de retombées sur l’emploi local (recrutement de techniciens intermittents / de figurants, débouchés professionnels aux jeunes des écoles), économiques (prestataires de services, nuitées d’hôtel, restauration), touristiques (valorisation du patrimoine, rayonnement de la ville), et culturelles (mise en valeur des talents et artistes locaux).

Atout France et Netflix s’associe

Si Pagnol et ses multiples adaptations cinématographiques ont fait beaucoup pour la Provence, Amélie Poulain pour Montmartre, ou le Seigneur des Anneaux pour la Nouvelle-Zélande, c’est aujourd’hui de plus en plus à travers les productions Netflix que s’étend la pratique du ciné tourisme.

C’est d’ailleurs l’un des enseignements de l’enquête de l’Ifop pour le CNC, la SVoD (Subscription Video On Demand), dont Netflix est l’étendard, a largement progressé comme moyen d’accès par rapport à la précédente enquête de 2018 (68% en 2023 vs 24% en 2018), et
ce, quelle que soit la nationalité. Suivent de loin les chaînes de télévision (35%) et le cinéma (32%). Sur les 503 visiteurs étrangers questionnés, 11% (soit 56 personnes) ont déclaré avoir décidé de venir en France après avoir visionné un film ou une série, 38% (soit 21 personnes) après avoir vu Emily in Paris sur Netflix (puis 11% pour Lupin, 7% pour Amélie Poulain et Da Vinci Code, …).

Des arguments forts qui ont conduit Atout France à s’associer à la plate-forme pour générer une campagne « On n’a pas fin d’imaginer la France » ainsi qu’un guide de voyage en ligne, netflix-en-france.fr, qui propose une douzaine de parcours thématiques, un générateur de guides personnalisés et une sélection de plus de 70 lieux liés à des films et des séries iconiques à l’aide d’une carte interactive.

Bon, le générateur laisse clairement à désirer, ne permettant guère que l’association successive d’un centre d’intérêt, d’un spot via une photo sans autre précision, puis d’une ambiance sonore pour aboutir à une proposition, de trois lieux, sans queue ni tête.

Alors bien sûr, vous êtes sûrement quelques-uns à considérer que les écrans, Playstation et Netflix en tête, sont déjà l’ennemi du tourisme et des loisirs, au vu du temps qu’ils occupent dans une journée type (5h26mn pour un français, assez loin derrière les 9h38mn d’un africain du sud, devant les 3h45 d’un japonais selon Smartick et Datareportal).

Mais tout comme on a fait de la publicité dans les journaux, à la radio, puis à la TV ou au cinéma, tout comme on est allé promouvoir nos territoires et nos offres sur les réseaux sociaux, les acteurs majeurs de la SVoD deviennent clairement un acteur majoritaire de la promotion de nos destinations.

Et si vous ne savez pas si des films ou séquences de films ont été tournés chez vous (ou si vous voulez vous mettre au Jet-Setting), voilà un site assez incroyable, à l’ergonomie vieillissante, mais qu’importe tant il condense une base de données collaborative phénoménale sur les lieux de tournage, avec une recherche par pays, ville, titre, réalisateur ou acteur.

Petit exemple avec une recherche sur le film 37°2 le matin qui continue de faire venir en toute saison quelques ciné-touristes sur la Plage des Chalets à Gruissan (spéciale dédicace à Vincent Garnier).

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Ludovic a démarré sa carrière en Auvergne, à l’Agence Régionale de Développement, puis dans un cabinet conseil sur les stratégies TIC des collectivités locales. Il a rejoint en 2002 l’Ardesi Midi-Pyrénées (Agence du Numérique) et a plus particulièrement en charge le tourisme et la culture. C'est dans ce cadre qu'il lance les Rencontres Nationales du etourisme institutionnel dont il organisera les six premières éditions à Toulouse. À son compte depuis [...]
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