Les nouvelles narrations dans le tourisme

Publié le 24 juin 2024
5 min

Ces temps-ci, nous entendons de plus en plus parler de « récit de territoire » appliqué à des destinations touristiques.
Que met-on derrière ce terme de récit ? Qu’a-t-il de si essentiel dans nos communs ? Quels sont ses ressorts et quelles fins sert-il ?
Vous êtes vraiment chanceux.ses, je viens justement de sortir un ouvrage sur le sujet, et m’en vais de ce pas vous en livrer quelques extraits.

Les récits, fondements de nos civilisations et huile du vivre-ensemble

Depuis que l’humanité s’est emparée de formes de langages, que ce soit par le biais de peintures rupestres ou par la construction et l’usage de langues orales, le récit habite nos quotidiens. Dès la préhistoire, il sert à transmettre des enseignements et des pratiques ; il permet également de coopérer pour survivre et de se prémunir des dangers ; il est enfin le socle commun de nos systèmes de pensée collectifs.

« Il n’y a pas, il n’y a jamais eu nulle part aucun peuple sans récit », nous dit Roland Barthes* avec qui l’on comprend que le récit est essentiel à la stabilité des sociétés. D’une part, il rend possible la transmission au travers des époques les leçons du passé ; d’autre part, devenus mythes, ces récits nous permettent d’appréhender et d’apprivoiser les forces qui nous dépassent : la nuit, la mort, la maladie. Ces systèmes de croyances sont pluriels, on peut croire en une religion, en des forces naturelles, en des modèles économiques (la valeur de l’argent est en soi une fiction inventée par l’humain). Ils nous sont absolument nécessaires pour tenter de comprendre et accepter le réel.

De plus, les récits sont le rouage qui rend possible nos interactions sociales. A la machine à café, le soir à table en famille, à une terrasse avec nos amis, nous nous racontons des histoires. L’ensemble de ces micro-histoires sont bien des récits : elles comportent un début, un milieu, une chute ; elles ont vocation à rencontrer l’autre, à nous reconnaître voire à nous identifier en lui/elle, à valider nos communautés de pensée et à confirmer (ou infirmer) notre attachement. Ainsi Yuval Noah Harari expose t’il dans son ouvrage « Sapiens »**, que « la fonction primordiale des histoires humaines, c’est l’inclusion et l’exclusion. ». C’est la fabrication du « nous » et du « eux ».

Dans le cas qui nous concerne, où l’on se questionne sur les récits des territoires, (et pardonnez cette digression, en ces temps identitairement troublés), nous choisirons de favoriser la voie de l’inclusion.

Pourquoi le recours au récit sert-il le propos d’une destination ?

Tout d’abord, et je ne vous apprends rien, nous vivons dans une société de la vitesse et de la surinformation. Aujourd’hui, nous recevons en moyenne de 1200 messages publicitaires visuels par jour, et la mécanique des réseaux sociaux qui s’appuie sur la captivité des utilisateurs et l’addiction aux plateformes rend l’exercice de visibilité pour le moins hasardeux.

Ainsi dans un contexte d’« infobésité », raconter une bonne histoire est d’abord le gage d’attirer et de retenir l’attention d’un public volatile et sur-sollicité, en détachant votre message promotionnel du flux incessant d’informations non hiérarchisées. C’est ce que le marketing a appelé le storytelling, entrevoyant très vite l’impact émotionnel et marquant d’une histoire bien contée a contrario d’une publicité générique et sans relief.

On apprend en effet avec Hermann Ebbinghaus, un psychologue de la première moitié du XXème siècle, que l’on oublie la moitié de connaissances dès le jour suivant leur apprentissage. Ce dernier indique de plus que ces informations auront 20 fois plus de chances d’être retenues si elles sont transmises sous forme de récit. Dont acte.

D’autre part, le récit génère de l’empathie, il facilite donc l’attention et la mémorisation. C’est ce que Nicolas Barret, directeur du Mémorial de Verdun, décrit comme le fait de « raconter l’Histoire à hauteur d’homme ». Ainsi, le choix a-t-il été fait depuis deux ans de s’intéresser aux « Destins de Verdun », aux « petites » histoires d’hommes et de femmes dont la vie a été à jamais bouleversée en percutant le sens de la grande Histoire, et qui ont chacun et chacune été les artisan.es de cet épisode historique.

Sous forme de posts sur les réseaux sociaux, de portraits écrits, de podcasts, d’installation audiovisuelle mêlant forêt d’aujourd’hui et images des combattants du champ de bataille d’hier, l’humain est partout dans la transmission de cette mémoire, de cette histoire.

Exposition « Destins de Verdun » – Crédit photo Nicolas Barret

Ainsi, le récit documentaire donne lieu à une forme de projection, d’identification ; c’est aussi une formidable opportunité pour mener des projets participatifs auprès des populations locales qui peuvent dès lors contribuer, à leur manière, à l’élaboration du récit collectif. Dans le cas de Verdun, les descendant.es ont été contacté.es et ont pu apporter leur part du récit familial à la constitution de ces différentes interventions.

On l’a vu dans l’exemple précédent, le récit peut irriguer l’ensemble des prises de parole d’une structure/d’une destination. Véritable socle narratif, il est le vaisseau amiral de l’histoire que vous souhaitez raconter à vos publics, dont la boussole sera le ton éditorial, qui viendra teinter tous les médias déployés par la destination : magazine, site web, réseaux sociaux… dans une logique transmédia.

le récit déployé à l’échelle d’un territoire

Une fois ce récit installé dans votre vocabulaire courant, il conviendra d’embarquer les parties prenantes du territoire avec vous : saisonniers, socio-professionnels à qui l’on pourra fournir éléments de langage et kit de communication, partenaires institutionnels, habitants.

Citons ici un exemple de récit de territoire ambitieux, celui du Pays de Saint Omer, qui a imaginé la destination comme « un territoire à l’image d’un parc d’attraction où vous pouvez profiter de toutes les activités grâce à un pass. »

Bien plus qu’un énième city/country pass, le concept repose avant tout sur une connaissance approfondie du territoire, de ses histoires réelles ou légendaires, qui ont amené à une sectorialisation éditoriale du Pays de Saint Omer, comme le montre la carte ci-dessous.

Crédit Office de Tourisme du Pays de Saint Omer

Julien Duquenne, le directeur de l’Office de Tourisme, explique comment cette logique de récit a irrigué l’ensemble des activités de la structure, tant vers les publics qu’en interne, induisant également de nouvelles manières de collaborer avec les partenaires socio-professionnels qui adhèrent progressivement au concept et se mettent au diapason d’Omerveilleux.

S’il n’est pas possible de décrire ici l’ensemble de la démarche d’un récit de territoire, il convient de garder à l’esprit qu’il s’agit ici de projets au temps long et à la logique nécessairement participative, pour trouver comment révéler au mieux la singularité d’une histoire commune.

Et si le coeur vous dit de poursuivre cette découverte à mes côtés, vous pouvez vous procurer « Les nouvelles narrations dans le tourisme et la culture » sous ce lien.

*BARTHES Roland, « Introduction à l’analyse structurale des récits », Communications n° 8, 1966, Persée (https://www.persee.fr/doc/comm_0588- 8018_1966_num_8_1_1113) 
** HARARI Yuval Noah, Sapiens, une brève histoire de l’humanité, Albin Michel, 2015 

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Laurence Giuliani dirige Akken, agence de production sonore pour les destinations touristiques et les lieux de culture. Anciennement responsable d'un Office de Tourisme en milieu néo-rural (ou péri-urbain, comme vous voulez), manager d'artistes, productrice en label indépendant, Laurence cultive la curiosité comme carburant du quotidien. Ses marottes : le son, le tourisme culturel et le "komorebi", cette lumière qui filtre entre les arbres, comme des fêlures de timidité entre les [...]
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