Les Communs du (e)tourisme : et si on construisait ensemble ?

Publié le 25 octobre 2024
8 min
À l’heure où les miracles (et mirages) technologiques promettent des révolutions à un rythme effréné, où le flux informationnel nous submerge au risque d’y laisser notre santé mentale, il n’a jamais été aussi important de pouvoir compter sur le partage des savoirs au sein des communautés. Dans le même temps, les coupes budgétaires s’amplifient et contraignent les OGDs à faire moins, sous peine de faire moins bien, à faire ensemble, pour faire mieux. Paradoxalement, ce contexte anxiogène cache une bonne nouvelle : c’est le cadre idéal pour penser et construire ensemble “Les Communs” du (e)tourisme.

La semaine dernière, les #ET (Rencontres du eTourisme) fêtaient leurs 20 ans à Pau. Quelques mois plus tôt, les contributeurs du Campus, ce moment où chaque édition se prépare dans une grande séquence d’intelligence collective, ont eu l’envie de challenger la raison d’être des #ET. Il nous a semblé évident que les #ET devaient ouvrir un nouveau chapitre, vers quelque chose de plus grand, plus utile, plus impactant. Devenir plus que “simplement” 3 jours de rencontres par an. Capitaliser beaucoup plus sur nos savoirs partagés, mais aussi sur nos avoirs numériques.

Notre communauté, en manque de capitalisation

Du haut de ses 20 ans, la communauté des #ET peut clairement revendiquer la production et la promotion de connaissance en eTourisme (et plus globalement dans le tourisme), ce qui fait d’elle une communauté épistémique*. Une communauté qui, depuis 20 ans, vient se rencontrer avec le même enthousiasme, s’inspirer mutuellement, partager, échanger.

* une communauté épistémique est une communauté qui a vocation à produire et promouvoir de la connaissance dans un domaine donné.

Chaque année les participants viennent découvrir des initiatives de pionniers qui innovent, prennent des risques, investissent du temps et de l’argent, puis partagent leurs retours d’expérience, témoignent de leurs réussites (et parfois de leurs échecs). Et chaque année, les participants repartent avec des idées, des exemples, des bonnes pratiques…

C’est la manière collective de cette communauté de produire et de promouvoir de la connaissance. Mais au final, est-ce qu’on peut vraiment parler de capitalisation ? Comme l’évoquait Jean Luc lundi : “Mais finalement, à quoi ça sert ?”

Car quand les OGDs répliquent sur leurs territoires les bonnes idées glanées aux #ET, ils doivent refinancer peu ou prou la même chose, fournir le même effort que ceux qui ont ouvert la voie, le risque en moins.

Dans un climat de coupes budgétaires chroniques, est-ce qu’on ne pourrait pas imaginer mieux ? Est-ce qu’on ne pourrait pas capitaliser plus, répliquer moins, construire ensemble des Communs utiles à la communauté ?

La communauté de l’eTourisme produit de la connaissance et la partage, saurait-elle produire des Communs ?

Les communs, kesako ?

Attention, on ne parle pas ici simplement de « mettre des choses en commun » comme on le ferait dans une coloc’ ! Ce n’est pas simplement partager des savoirs comme on le fait à Pau ou dans les colonnes de ce blog. Ce n’est pas simplement mettre à disposition de ses OTs un outil construit pour l’ADT ou le CRT, ni même faire un site commun en se regroupant à plusieurs OGDs. Non, “Les Communs”, c’est bien plus que ça !

D’une manière générique, Un Commun, c’est une ressource partagée, gérée collectivement, qui n’appartient ni au public, ni au privé. C’est une alternative à la propriété traditionnelle, centrée sur l’usage et l’intérêt collectif. Mais surtout, un Commun implique une gouvernance partagée et des règles définies collectivement.

Ce qui fait un Commun :

  • Une ressource (matérielle ou immatérielle)
  • Une communauté qui gère cette ressource
  • Des règles de gouvernance définies par cette communauté
  • Un objectif d’intérêt collectif

Ce qui n’est PAS un Commun :

  • Une simple mise en commun de ressources sans gouvernance partagée
  • Une propriété publique gérée par un organisme territorial
  • Une ressource en libre accès sans règles de gestion

La différence clé entre « mettre en commun » et « produire Un Commun » réside dans la gouvernance et l’engagement collectif. Quand on produit un Commun, on ne se contente pas de partager une ressource, on s’engage dans un processus de co-création et de gestion collective, avec des règles définies ensemble.

Les Communs et le tourisme

Dans le tourisme, on peut identifier trois types de Communs particulièrement intéressants.

Les Communs territoriaux 

Les territoires, c’est la matière première du tourisme, et ils ont leurs propres Communs. On parle de Communs Territoriaux, et on y retrouve le patrimoine naturel, le patrimoine matériel, le patrimoine humain, et surtout le patrimoine immatériel, avec la Culture, si déterminante dans la résilience des territoires.

Les Communs numériques

Le numérique produit naturellement des Communs grâce au modèle de l’open source et aux licences type Creative Commons. Wikipedia est le Commun numérique le plus connu, dans le tourisme OpenStreetMap se développe fort depuis quelques années (attention, ici, la ressource du Commun c’est l’ensemble des points d’intérêts référencés et documentés, pas le système cartographique). On peut également citer Opquast, un Commun numérique qui référence 240 règles au service de l’assurance qualité pour le web, et dont nous avons largement évoqué les bénéfices lors de l’atelier sur la qualité web.

Les Communs du savoir

Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, a défini les “Communs du savoir” comme étant des « biens non-rivaux », c’est à dire que leur utilisation n’en n’appauvrit pas le stock commun mais au contraire l’enrichit. On pourrait considérer que France Tourisme Durable, France Tourisme Observation, Datatourisme, les bonnes pratiques partagées de la commununauté des Acteurs du Tourisme Durable (ATD)… sont des Communs du savoir, même si les modèles de gouvernance ne sont peut-être pas strictement ceux d’un Commun.

Dans le domaine, je vous invite tout particulièrement à vous intéresser à l’initiative La Tribu des Savoirs, amorcée par la Mona sur un modèle totalement ouvert. L’objectif de cette plateforme est d’être un lieu de transmission des savoirs, co-construit PAR et POUR les OGDs, et bien au-delà de la Nouvelle Aquitaine. 

Sans oublier que depuis quelques années, l’ETstore rassemble lui aussi de nombreuses ressources : les supports d’ateliers, les replays, etc.

Et si on construisait les communs des #ET ?

Rendez-vous compte de la valeur cumulée de nos connaissances à tous, OGDs, consultants, experts, prestataires techniques…

Imaginez un peu…

Un Commun numérique

Et si on mettait en commun ne serait-ce que 1 à 2% du budget des refontes web ? On aurait largement de quoi créer un “starter kit” WordPress, un kit de démarrage nativement conforme aux référentiels d’écoconception et d’accessibilité, directement connecté aux SIT et autres services tiers du tourisme. De quoi faire sauter la barrière à l’entrée pour les agences web non spécialisées, et permettre à toutes les agences, y compris les plus expertes du tourisme, d’innover sur des services à bien meilleure valeur ajoutée. C’est possible, des démarches similaires existent dans d’autres secteurs d’activité, et ça a été bénéfique pour tout le secteur, une fois passées les (légitimes ?) résistances au changement.

Un Commun du savoir sur l’IA

Avec les pionniers qui expérimentent et les experts engagés, ceux qui explorent en profondeur les voies d’une IA responsable, éthique et sobre, qui prennent le temps de l’analyse et militent pour une IA utile, au service de l’humain, on pourrait construire une ressource partagée qui permettrait à toute la communauté d’y voir plus clair et de se lancer dans le bon sens, en apportant un service utile et singulier. Mon petit doigt me dit qu’on en reparlera prochainement dans ces colonnes, stay tuned…

Un Commun du savoir sur le numérique responsable

On évoque régulièrement ici ce sujet avec Sébastien Repeto : l’enjeu de transition vers un numérique pleinement et réellement responsable reste essentiel. L’essor incontrôlé de l’IA, la course effrénée à la technologie, la bataille de l’audience et de l’attention sur les réseaux, l’obésité croissante des sites web, la démultiplication des terminaux et objets connectés… tout ça se déroule sous nos yeux, sans réelle prise en compte des conséquences environnementales et sociales, dans un mélange de déni et de mauvaise foi, de méconnaissance et de contrevérités, le tout sur fond d’aberrations véhiculées sur LinkedIn…

Pourtant les études sont là, les chiffres sont connus, on connaît notamment l’impact (positif) de l’écoconception des sites web (et ses limites), on connaît l’impact (positif) d’un site web accessible au plus grand nombre, bien au-delà des personnes en situation de handicap (limitations visuelles, illectronisme, sous-équipement matériel et réseau…) , on connaît les bonnes pratiques éthique pour respecter le bien être numérique des utilisateurs… Bref, globalement, on sait ce qu’il faudrait faire pour faire vraiment plus responsable, mais, disons-le sans détours, comme ça entre en conflit avec certains intérêts, c’est plus simple d’attirer l’attention ailleurs (Don’t look up !).

On devrait pouvoir collectivement construire un Commun des savoirs en matière de numérique responsable dans le tourisme. Il y a un peu plus d’1 an, nous avions pris le temps de produire un livre blanc sur le sujet, dans le cadre de la mission de Kairn. Il pourrait constituer un point de départ pour une production plus collective.

Et tellement plus…

Je crois particulièrement à l’utilité de ces 3 idées, mais elles ne sont là que pour illustrer le propos et permettre de se projeter. Nul doute que la communauté saura très largement enrichir les réflexions…

Alors, on s’y met ?

Pour se lancer dans cette aventure des Communs du (e)Tourisme, il nous faudra :

  • Une communauté (celle des #ET semble un point de départ naturel et légitime)
  • Des règles de gouvernance partagées et collaboratives (là, ça se corse, il va falloir aligner les intérêts de différents types et tailles d’OGD, de consultants et experts, de prestataires techniques… mais avec de la volonté, aucune raison de ne pas y arriver !)
  • Des moyens, humains et/ou financiers, car oui, les Communs reposent naturellement sur un modèle économique à construire, ça fait partir des règles de gouvernance, mais ça mérite d’être précisé ici
  • Des ressources à produire en commun (là, ça devient cool, il suffit de laisser l’envie et la créativité parler !)

En portant le sujet aux #ET20, notre idée était de lancer une démarche de fond sur le long terme. Nous avons constaté dans les échanges qui ont suivi à quel point l’idée en séduisait plus d’un·e, quitte à parfois faire un raccourci entre “mettre en commun” et “produire des Communs”. Mais qu’importe, le mouvement est lancée, chacun·e est désormais invité·e à poursuivre son chemin de réflexion, que ce soit pour développer l’idée dans ses communautés locales ou venir contribuer aux Communs des #ET.

Nous aurons donc l’occasion de revenir vous parler de ce sujet ici-même, et/ou sur les canaux de communication des #ET, et nul doute que nous ouvrirons très prochainement des canaux collaboratifs.

Seul on peut être le premier, ensemble on va plus loin, avec des Communs on peut tracer un bien meilleur chemin !

Et vous, ça vous parle cette idée de Communs ? Vous avez des idées de ressources, de Communs à produire ? Des idées, des expérimentations à partager ? Go dans les commentaires !


Pour poursuivre la réflexion :

Un bon point de départ pour poser les bases des Communs : https://lescommuns.org/

Le replay de l’atelier des #ET20 pour comprendre le fonctionnement des Communs Numériques (entres autres)

Le prototype de La Tribu des Savoirs

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Fondateur @ThinMyWeb / Co-Fondateur @Kairn [MISSION] Conseil éthique et engagé en stratégie digitale dans le tourisme [GENESE] "Early adopter" de l'internet à titre professionnel dès 1995, j'ai forgé l'essentiel de mon expertise en agence web, en tant que directeur conseil associé et expert en eTourisme. [THINKMYWEB] En fondant ThinkMyWeb en 2016, j’ai voulu mettre mon expérience digitale au service d’une proposition de valeur distinctive, centrée sur un conseil éthique, sincère [...]
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