Imaginez un monde où la performance touristique ne se mesure plus au simple décompte des visiteurs, mais à la qualité des histoires que nous racontons sur nos territoires. Pourquoi continuer à empiler des chiffres quand ils ne suffisent plus à répondre aux défis de l’Anthropocène ? Et si nous commencions à réinventer nos indicateurs, en mettant au cœur de la gestion touristique le narratif et la singularité des territoires ? Bienvenue dans cette réflexion provocatrice, où l’on abandonne le tableur pour embrasser une vision plus holistique et durable de la performance touristique.
Les KPIs traditionnels, c’est fini : cap sur le narratif !
Pendant longtemps, les OGD ont dansé au rythme de la formule magique : nombre de visiteurs, taux d’occupation, chiffre d’affaires, … Ces indicateurs rassurent, car ils parlent d’expansion et de succès économique. Mais dans un monde aux ressources limitées, où la crise climatique redéfinit nos priorités, ces chiffres sonnent comme une vieille rengaine.
Prenons l’exemple de la théorie du Donut de Kate Raworth. Elle nous rappelle que notre obsession pour une croissance infinie dans un monde fini est une impasse. Nos indicateurs actuels se contentent de mesurer la croissance brute, sans regarder ce qu’elle coûte à l’environnement et aux communautés locales. Un territoire peut attirer 2 millions de visiteurs par an, mais à quel prix ? Pollution des eaux, dégradation des écosystèmes, pic de fréquentation asphyxiant les habitants, pression sur l’accès au foncier, … Cela vaut-il encore la peine d’être « fier » de tels chiffres ?
Changer de grille de lecture, c’est créer du lien
Un territoire ne se résume pas à des chiffres. C’est une mosaïque d’histoires humaines, naturelles et culturelles. Alors pourquoi ne pas créer des indicateurs narratifs, qui traduisent la manière dont un territoire répond aux enjeux du présent tout en construisant son avenir ?
Pour sortir de la logique des chiffres « bruts », adoptons une nouvelle grille : celle de la valeur écologique et sociale (valeur de l’existence comme l’évoque le chercheur en compta écologique, Alexandre Rambaud). Posons-nous quelques questions ( non exhaustives) :
- Empreinte carbone par visiteur : Réduit-elle au fil des années ?
- Impact sur les ressources en eau : Le tourisme tient-il compte la disponibilité de cet or bleu ?
- Qualité de vie locale : Les habitants perçoivent-ils le tourisme comme un enrichissement ou un fardeau ?
- Sols : Les infrastructures touristiques respectent-elles les dynamiques naturelles (érosion, perméabilité, biodiversité) ?
- Déchets : Les dispositifs de gestion des déchets (tri, sensibilisation) sont-ils accessibles, compris / connus et efficaces sur tout le territoire ?
- Main-d’œuvre : Les conditions de travail des saisonniers permettent-elles une insertion pérenne et valorisante ?
- Handicap : Les adaptations pour l’accessibilité sont-elles suffisantes pour les publics dits « empêchés » et génèrent-elles des effets positifs pour d’autres publics fragiles temporaires ou invisibles (parents avec poussettes, seniors, …) ?
Ces questions ne « comptent » pas, ils « pèsent ». Elles permettent d’ajuster les stratégies en fonction des impacts réels sur le territoire.
Alors pourquoi adopter de nouveaux indicateurs ? Parce que continuer à ignorer les limites de la planète, c’est planter le tourisme. Les défis de l’Anthropocène sont immenses : réchauffement climatique, raréfaction des ressources, tensions sur les usages des sols. Et le secteur touristique dont les OGD ont un rôle immense dans cette bifurcation.
Bien sûr, vous vous dites : « Et l’économie dans tout ça ? » Les nouveaux indicateurs ne visent pas à tuer le tourisme, mais à le rendre compatible avec un futur vivable. Car réconcilier l’économie et l’environnement : c’est possible !!
Indicateurs pour demain : quelques idées
Je me suis « amusée » (hey, on s’amuse comme on peut) à créer des indicateurs de suivi possibles pour les schémas de développement touristique (pas trop orientés observatoire mais davantage plan d’action opérationnel) :
SEF = Soutenabilité Écologique de la Fréquentation
- Pression écologique totale des touristes / Ressources naturelles disponibles.
- Ce chiffre vous dira si votre destination tient encore debout écologiquement ou si elle craque sous la pression.
REN (sans oublier le « E ») = Résilience des Espaces Naturels (REN)
- Surface de zones protégées / Surface totale de zones touristiques.
- Une façon claire de vérifier si vous mettez vraiment la nature au centre de vos priorités.
QVT (l’autre, la vraie) = Qualité de Vie Touristique
- Satisfaction des habitants + Satisfaction des visiteurs / 2.
- Enfin, un indicateur qui valorise à la fois ceux qui vivent ici et ceux qui viennent en visite.
CET (sans épargne) = Conscience Environnementale du Touriste
- % de touristes ayant participé à une activité écoresponsable.
- Car sensibiliser, c’est aussi gérer.
Soyez les conteurs de la performance de demain
Chaque OGD, chaque territoire, a une histoire unique à raconter. À vous de la construire avec des indicateurs qui inspirent, mobilisent et engagent. Voici votre mission :
- Prenez vos indicateurs actuels, analysez-les.
- Posez-vous cette question : « Que raconte ce chiffre sur mon territoire ? »
- Et si la réponse est vide de sens, jetez-le et inventez-en un nouveau.
Je reviens de 2 semaines de déplacements et voici des propositions farfelues (j’ai pas dit que c’était des indicateurs SMART) sur 2 territoires, qui j’espère intègrent un nouveau récit :
Idées pour la région Bretagne : entre transitions multiples et singularités
- Indicateur de « temps de méditation des visiteurs » = (Temps total passé à observer la nature / Durée totale du séjour) x 100
- Combien de temps les touristes passent à observer et interagir avec l’environnement naturel breton (plages, forêts, marais) dans un but de ressourcement, d’observation, de reconnexion avec la nature.
- Indicateur de « vibration des vagues » = (Nombre d’activités maritimes respectueuses de l’environnement / Nombre total d’activités maritimes) x 100
- L’impact du tourisme maritime breton sur la préservation des espaces côtiers et marins, en incluant les pratiques de tourisme durable (voile, observation des baleines, plongée responsable, etc.).
- Indicateur de « partage des mégalithes » = (Nombre d’actions de préservation des sites patrimoniaux / Nombre total de sites patrimoniaux touristiques) x 100
- L’effort collectif pour la préservation des sites patrimoniaux et des singularités historiques de la Bretagne, comme les menhirs et dolmens, à travers des actions participatives.
- L’effort collectif pour la préservation des sites patrimoniaux et des singularités historiques de la Bretagne, comme les menhirs et dolmens, à travers des actions participatives.
Idées pour Namur : ville innovante et résilience
- Indicateur de « douceur de l’escargot » = (Nombre d’activités ou d’initiatives alignées avec les principes du slow tourisme / Nombre total d’activités proposées) x 100
- Quantifier la part des offres touristiques qui favorisent la détente, la découverte lente et l’appréciation de la culture et de la nature (balades en bateau, pique-niques au bord de la Meuse, découvertes culinaires locales).
- Indicateur de « techno-résilience« = (Nombre d’évènements innovants axés sur la résilience / Nombre total d’événements) x 100
- La proportion d’initiatives qui explorent l’innovation au service de la durabilité et de la résilience (coucou le TRAKK et le KIKK
- Indicateur de « saveurs namuroises partagées » = (Nombre de participants à des expériences culinaires locales (ateliers, dégustations, marchés) / Nombre total de visiteurs) x 100
- L’engagement des visiteurs dans la découverte et la valorisation des spécialités locales comme les escargots, les frites artisanales, le chocolat, ou les bières namuroises, en favorisant les circuits courts et les rencontres avec les producteurs.
Ici, l’histoire prime sur le chiffre brut. Ces marqueurs ne se contentent pas d’évaluer, ils inspirent et mobilisent. Le tourisme est un secteur vibrant et vivant. On entend qu’il faut rendre désirable le durable et l’avenir (anxiogène et incertain) notamment dans les expériences touristiques. Et bien on peut se challenger à rendre sexy ces indicateurs qui doivent l’être tout autant. C’est un sacré défi, mais aussi une opportunité extraordinaire. Allé, même pas peur ! Alors, prêts à raconter votre performance ?