Entre l’urgence climatique, les attentes croissantes des voyageurs pour des solutions plus respectueuses de l’environnement et les défis économiques posés par l’inflation et les tensions géopolitiques, les Organismes de Gestion de Destination doivent repenser leurs approches. À l’occasion des 20èmes Rencontres Nationales du etourisme plusieurs interventions et ateliers ont abordé, comme depuis quelques années, la question des mobilités.
Au passage, vous aurez remarqué sur l’illustration du billet créé par IA que la ville de Pau a un peu changé, le funiculaire s’est modernisé et le Palais Beaumont s’est légèrement densifié 😉
Séjours sans voiture : révolution ou utopie ?
Depuis plusieurs années, l’idée de promouvoir un tourisme décarboné gagne en pertinence, portée par des initiatives innovantes comme celle évoquées par les intervenants de l’atelier “Séjours sans voiture”.
Grâce à son « Océan Pass », l’Office de Tourisme de La Rochelle ne se limite pas à offrir un city pass classique. Ce produit couvre deux régions, trois départements et inclut les transports en commun, TER compris. Son format dématérialisé et ses 50 activités incluses ont permis d’augmenter de 20 % les visites sur des sites voisins tels que Rochefort et de 57% sur les sites de la Saintonge. Cependant, le succès de ces initiatives repose sur des choix stratégiques : des prix accessibles, une simplicité d’utilisation et un maillage territorial pertinent. Nicolas Martin, qui dirige l’Office de Tourisme, nous a révélé avoir rencontré l’an dernier aux #ET19 Landry Barrand, Directeur Marketing, Commercial & Intermodalité de TER Nouvelle-Aquitaine, avec qui il a pu rapidement concevoir et finaliser le projet.
En Ardèche, où les infrastructures de transport public sont quasi inexistantes (seul département français sans trains de voyageurs !), une approche différente émerge. Tatiana Fouchard Chapon nous a présenté une brique technologique dénommé “Local Trip Planner” pour agréger les données locales. Ce territoire rural a ainsi pu rendre l’offre de transport lisible et facilement utilisable par les touristes, qui viennent nombreux des agglomérations lyonnaise et grenobloise. Ce module calcule des itinéraires combinant navettes, vélos et transports publics, favorisant ainsi des séjours intégralement bas carbone.
Grégory Delahaye a mis en lumière le programme « Normandie sans voiture », qui structure et promeut une gamme d’offres accessibles en train et vélo. Le CRT a créé un tarif « bas carbone » offrant des réductions pour récompenser les touristes utilisant des moyens de transport durables (train, bus, vélo). 90 partenaires sont aujourd’hui impliqués dans la démarche.
Enfin, Aurélie Loubès est revenue sur les séjours bas carbone, conçus en collaboration avec des agences de voyages, incluant des expériences locales immersives et accessibles en transport en commun, ainsi que sur la mise en oeuvre avec l’ADEME d’un calculateur GES pour évaluer et réduire l’empreinte carbone des séjours.
Tous les quatre ont insisté sur la nécessité et la difficulté de rassembler tous les acteurs de cet écosystème, à la fois touristique et liés à la mobilité, et notamment les collectivités et les transporteurs, acteurs majeurs qu’il convient de mobiliser.
Mobilité : une volonté politique ?
En fin d’après-midi, à l’occasion des 15mn chrono, Antoine Pin, Directeur de l’association Protect Our Winters France, a interrogé notre conception du progrès en matière de déplacements et nous a invité à repenser les modèles traditionnels de mobilité touristique.
Son message est clair : la transition vers des modes de transport plus durables, comme le train ou le covoiturage, n’est pas seulement une nécessité environnementale, mais aussi une opportunité pour transformer les pratiques des voyageurs. Les impacts directs des déplacements carbonés sur les écosystèmes de montagne, particulièrement vulnérables au changement climatique, devraient conduire à une mobilisation collective des passionnés de plein air, des institutions et des professionnels du tourisme.
Avec le concours de la société Antidots, POW France a mis en oeuvre en MaaS sans avion pour se rendre à la montagne, afin d’encourager des choix responsables. Il préconise également l’intégration d’indicateurs environnementaux concrets dans les stratégies touristiques, afin de mesurer les progrès réalisés et d’accélérer la transition vers une mobilité sobre et respectueuse des territoires naturels.
Repositionner les offices de tourisme comme catalyseurs de mobilité durable
L’atelier « Mobilité, le quiproquo du tourisme« a mis en lumière un rôle clé que les offices de tourisme doivent désormais jouer : celui de véritable hub d’information et de coordination pour les mobilités durables.
En explorant le concept de parcours de mobilité, les intervenants ont démontré comment chaque étape, de la planification initiale à l’expérience sur place, peut influencer la satisfaction des visiteurs. L’importance de l’information en temps réel, de la signalétique adaptée et des outils numériques a été soulignée pour faciliter l’accès à des solutions de transport durables et intuitives. Le rôle de connecteur des offices de tourisme a également été mis en avant, ces derniers étant souvent le dernier point d’interaction humaine dans un écosystème de transport de plus en plus digitalisé.
Enfin, l’accent a été mis sur la nécessité de développer des solutions innovantes, allant des services simples comme des cadenas pour vélos aux offres plus élaborées de mobilité douce. Les défis sont multiples :
- Avant le voyage : proposer une information claire sur les modes d’accès durables, via des plateformes numériques et des guides intégrés comme Rome2Rio ou Trainline.
- Pendant le séjour : fournir des recommandations personnalisées pour faciliter les déplacements locaux, comme des itinéraires combinant transports publics, marche et vélo.
- En matière de gouvernance locale : devenir des acteurs influents des débats sur la mobilité, notamment pour prioriser des marchés accessibles en mode décarboné.
Un exemple inspirant vient de Cluny, où l’Office de Tourisme oriente activement ses efforts de communication vers les clientèles utilisant déjà des modes de transport écologiques, en arrêtant toute promotion vers des marchés inaccessibles sans voiture ou avion.
Cet atelier a rappelé que la mobilité touristique ne se résume pas à des infrastructures mais nécessite une approche systémique et humaine pour répondre aux attentes croissantes des voyageurs tout en favorisant des pratiques durables.
Marche et vélo : La montée en puissance des mobilités actives
La crise sanitaire a transformé les habitudes de déplacement des Français, accélérant l’adoption des mobilités actives. En 2019, 24 % des déplacements locaux étaient réalisés à pied, et 2,6 % à vélo, une proportion stable mais en croissance qualitative grâce aux infrastructures cyclables. Avec la montée en puissance des vélos à assistance électrique (+28 % de ventes en 2021), ces pratiques s’ouvrent à de nouveaux publics
L’atelier “Marche, piéton et mobilité touristique” a permis de replacer au cœur de la mobilité touristique ce mode de déplacement fondamental mais trop souvent négligé dans les politiques publiques.Cet atelier a mis en lumière son rôle crucial pour relier les différents moyens de transport, explorer un territoire ou simplement découvrir une ville à son rythme. Pourtant, elle reste sous-financée et peu valorisée, en dépit de ses nombreux atouts : impact écologique nul, accessibilité universelle et polyvalence.
Des outils concrets comme le Gouvernail, un dispositif mécanique innovant d’orientation, et des initiatives comme le baromètre des villes marchables ou les données de marchabilité, illustrent comment rendre la marche plus intuitive et attractive. L’intégration de solutions numériques, à l’image de l’application SwissMobile ou des cartes interactives, montre également qu’il est possible de conjuguer technologie et simplicité pour améliorer l’expérience piétonne.
En redonnant sa juste place à la marche, notamment dans la mobilité touristique, on soutient un mode inclusif, durable et essentiel, capable de répondre aux besoins des visiteurs comme des habitants tout en valorisant les territoires.
Voyager bas carbone : un impératif stratégique
Le BEGES du tourisme calculé par l’ADEME (Cf. cet article) nous enjoint à travailler sur le mode de transport utilisé par nos visiteurs et à mettre en oeuvre les préconisations élaborées dans le cadre du Plan de Transformation de l’Économie Française de The Shift Project. Béatrice Jarrige nous avait présenté en 2022 lors des #ET18 le rapport “Voyager Bas carbone”. Ce plan propose des solutions concrètes, que l’on peut synthétiser en trois rands axes :
- Une réduction des voyages en avion grâce à des alternatives ferroviaires compétitives.
- La généralisation du train pour les longues distances et l’amélioration de l’intermodalité.
- Une stabilisation des kilomètres parcourus par habitant, accompagnée d’un effort global de sobriété énergétique.
Ces mesures, bien que nécessaires, posent des défis opérationnels pour les acteurs touristiques, notamment en termes de coordination entre territoires et d’acceptabilité sociale de la part des voyageurs..
La mobilité touristique est à un tournant. Les divers ateliers des Rencontres Nationales du etourisme montrent que des solutions existent, mais leur mise en œuvre demande une collaboration renforcée entre les collectivités, les opérateurs de transport, les offices de tourisme et les voyageurs eux-mêmes, au-delà d’investissements massifs dans les infrastructures, alors que le Plan National Vélo avait vu son budget supprimé dans le projet de budget.
Les institutions doivent s’emparer de ces enjeux et jouer un rôle moteur dans cette transition, en promouvant des initiatives locales exemplaires, en soutenant les innovations technologiques et en sensibilisant les publics à l’urgence climatique.
Ensemble, ces actions peuvent permettre de bâtir un tourisme à la fois attractif, durable et résilient.