Un tourisme compétitif ou sous-évalué ?

Publié le 16 décembre 2024
6 min

La dépense moyenne journalière des touristes est souvent mise en avant comme un indicateur clé pour évaluer les retombées économiques du tourisme. Certes, ce n’est qu’un élément parmi d’autres, comme l’ont montré Clément Simonneau et Caroline Le Roy avec leurs travaux sur la pluri-hospitalité et les indicateurs narratifs. Cependant, pour convaincre les élus, les professionnels du secteur, les habitants ou pour simplement mesurer l’impact économique du tourisme, cet indicateur reste essentiel. Mais un problème persiste : les chiffres rapportés en France me paraissent anormalement faibles. Les dépenses journalières annoncées par les institutions touristiques ne semblent pas refléter la réalité des coûts pour les visiteurs. Elles comprennent les postes de transport, de logement marchand et non marchand, de restauration, d’activités. Et quand on entre dans le détail des chiffres énoncés par différentes destinations françaises on se demande ce qu’il reste pour acheter des chocolatines, des bêtises de Cambrai, pour manger une mouclade ou une anchoaïde.

Prenons quelques exemples :

  • La stratégie de marketing durable de la région Nouvelle Aquitaine, 2023-2028 indique ainsi que la clientèle française réalise en moyenne des séjours de 5,9 nuits et dépense 65 euros par jour et par personnes, les Néo-Aquitains dépensant 62 euros pour une DMS de 4,9 nuits et les étrangers s’autorisant une dépense de 84 euros par jour et par personne pour une DMS de 8,3 nuits.
  • Dans document général, l’ADT Béarn-Pays Basque retient une dépense moyenne de 105,7 euros en nuitées marchandes et de 48,9 euros en nuitées non marchandes, sans distinguer à ce stade les dépenses entre Français et étrangers.
  • Pour sa part, Auvergne Rhône-Alpes indique dans son Mémento du tourisme, une dépense moyenne par personne et par jours de 61 euros pour un client français. Une dimension intéressante est apportée pour indiquer que selon les espaces et les saisons cette moyenne peut variée sensiblement. L’hébergement étant la variable la plus déterminante : 38 euros par personne et par jour en hébergement non marchand, dit affinitaire, contre 95 euros en hébergement marchand. L’écart varie ainsi de 31 euros en résidence secondaire à 136 euros en établissement hôtelier.
  • Formulée en comparaison nationale (source Kantar), la dépense moyenne par jour et en moyenne annuelle en 2018 s’affichait à 61 euros en Auvergne Rhône Alpes et à 56 euros en France métropolitaine. En une ventilation temporelle révèle une dépense supérieure en hiver qu’en été.
  • Le CRT Ile de France indique de son côté une dépense quotidienne de 114 euros à Paris-Ile de France en 2022.
  • Et pour le CRT de la Région Sud en 2023 la dépense quotidienne est affichée à 70,80 euros.
  • Et en Bretagne, on note une dépense moyenne de 53,5 euros (Tourisme Bretagne 2023).

Environ 60 euros par jour et par personne

Sans aller plus loin, on comprend que plus le territoire est urbain et coté, touristiquement actif sur une longue période, plus la dépense moyenne quotidienne par personne est élevée. A l’inverse plus le territoire est rural, moins elle l’est. Autre aspect, plus la durée de séjour est longue, plus la moyenne est basse. Mais tout de même il y a de quoi s’étonner et se demander s’il est bien utile de continuer à investir dans le tourisme : de 50 à 70 euros par jour et par personne en moyenne ça laisse peu de moyens pour consommer sur place une fois que la part du logement est enlevée.

Le niveau de dépenses du public français (et étranger dépensant en France) paraît anormalement faible dans ces mesures touristiques quand on regarde les prix des prestations touristiques : l’emplacement de camping nu revient à 50 euros pour une famille de 3 personnes, la moindre chambre d’hôtel dépasse les 100 euros pour deux personnes et la moindre sortie au restaurant tourne à 20/25 euros minimum par personne. A 38 euros en résidence secondaire en Auvergne Rhône Alpes, on a de quoi partager un fond d’essence ou de batterie pour se rendre sur place, se partager une truffade ou une raclette en rêvassant à des jours plus opulents. A 53,5 euros en Bretagne, on peut manger deux galettes et se partager un abri sous un ciré alors qu’à Paris, avec 114 euros on séjournera chez l’habitant au Blanc-Mesnil mais on pourra acheter plusieurs boules à neige Tour Eiffel à la boutique officielle.

Dans une récente étude TCI Research pour Atout France (Baromètre du suivi de la demande des voyageurs des principaux marchés internationaux émetteurs de touristes en France, juin 2023), sur les intentions des voyageurs internationaux vers la France, un budget moyen est donné à 158 euros. Avec des nuances fortes : 175 euros pour les marchés émetteurs d’Europe du Sud, 148 euros pour les marchés d’Europe de l’Ouest et 192 euros pour les marchés lointains. Les Américains disposant de l’intention la plus forte à 208 euros, les Japonais la moins élevée à 131 euros, les Belges étant prêts à dépenser 132 euros par jour et par personne.

158 EUROS PAR TOURISTE ETRANGER

La même étude fait le point sur les intentions de dépenses pour un voyage en Europe : 156 euros en moyenne (263 par Américain, 205 par Espagnol, les Néerlandais, Allemands et Belges étant aux environs de 130 euros). Dans les deux cas, il s’agit de budget pour des séjours de loisirs et non d’affaires, incluant le voyage, l’hébergement, la restauration, les activités, les achats et transports sur place. Les coûts pour rejoindre la destination sur place sont exclus. Le plus étonnant étant une intention de dépenses supérieures au profit de la France (158 euros) pour 156 euros pour une autre destination européenne. Alors qu’à l’arrivée, on se retrouve avec les moyennes précitées, certes différentes du fait de la mixité entre Français, plus nombreux et moins dépensiers dans leur propre pays, et étrangers.

Une autre étude d’Atout France, s’appuyant sur des données CBS 2023 De VakantieDiscounter 2024, pour le marché néerlandais émetteur vers la France, que l’on sait très orienté vers les séjours en camping, souligne que les Néerlandais dépensent en moyenne 660 euros par personne et par séjour en France, dont 70% pour le transport et pour l’hébergement. Sachant que 86% des Néerlandais restent plus de 5 jours en France (29% plus de 16 jours, 27% entre 9 et 16 jours, 25% entre 5 et 9 jours).

Pour comparaison, en Espagne, championne de la régularité et de la clarté en matière de statistiques touristiques depuis des années, la dépense moyenne est désormais affichée à 190,73 euros par jour et par personne en cumul sur l’année 2024. Ce qui signifie bien évidemment que certaines périodes et zones sont bien plus chères que d’autres. Dans ce pays, la part du transport aérien compte évidemment plus qu’en France : force du réseau des aéroports et 80% des arrivées internationales y sont aériennes. Mais si l’Espagne est le pays étranger le plus fréquenté par les Français ce n’est pas seulement parce que la sangria et la paella y sont meilleures, c’est qu’elles y sont aussi un peu moins chères. Le tout mis bout à bout, l’Espagne génère bien plus de retombées économiques per capita que la France. Et en Suisse, l’OFS (Office Fédéral des statistiques) révèle qu’en 2023, les dépenses moyennes par personne et par jour pour les voyages privés avec nuitées, ont été de 143 francs suisses (152 euros) pour des dépenses dans le pays et de 212 francs suisses à l’étranger.

Comment expliquer de tels écarts entre les études portant sur des marchés émetteurs, qui dépassent les 150 euros à 200 euros de dépense par jour et par personne et cette moyenne fébrile comprise entre 50 et 70 euros dans nos territoires ? Soit un écart de 3 ! On m’indique souvent le poids des résidences secondaires, dont la France est championne d’Europe avec plus de 3 millions d’unités, pour expliquer cela. Je lis que par endroits, les statistiques territoriales incluent les investissements de remise en état de ces logements pour évaluer la dépense touristique moyenne per capita. Ce qui l’augmenterait de fait. Ah bon et dans ce cas pourquoi ne pas faire la même chose avec les investissements des hôteliers, des exploitants de campings ou de meublés ?

A la lecture de ces éléments, la France, dont l’offre touristique est atomisée apparaît plus que compétitive, voire sous performante. Cela interroge pour signifier le poids du tourisme et continuer à convaincre de la solidité du tourisme français qui repose en grande partie sur une animation publique et des financements publics (OT, ADT, CRT). Tout cela dans une période d’incertitude budgétaire et de renouvellement des engagements locaux à l’égard du développement du tourisme.

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François Perroy est aujourd’hui cofondateur d'Agitateurs de Destinations Numériques et directeur de l’agence Emotio Tourisme, spécialisée en marketing et en éditorial touristiques. Il a créé et animé de 1999 à 2005 l’agence un Air de Vacances.  Précédemment, il a occupé des fonctions de directeur marketing au sein de l’agence Haute Saison (DDB) et de journaliste en presse professionnelle du tourisme à L’Officiel des Terrains de Camping et pour l'Echo Touristique. Il [...]
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