MOINS D’ÉMISSIONS, PLUS DE DÉPRESSIONS

Publié le 6 mars 2025
5 min

Voyager pour aller mieux… et si c’était ça, la vraie transition ?

Réalisé par Dall-e

Alors que l’urgence climatique domine les débats et que le secteur touristique est sans cesse scruté sous l’angle de son empreinte carbone, une autre question émerge : et si la priorité était ailleurs ?

Les organismes de gestion de destination œuvrent au quotidien pour embarquer opérateurs touristiques, collectivités, clientèles touristiques et habitants dans la voie de cette inéluctable transition…

…mais dans un contexte économique morose, de conflits mondiaux, ne devrions-nous pas prioriser avant tout la santé mentale des individus pour leur permettre de faire face aux défis de notre époque ?

Qu’en est est-il de la réceptivité à nos messages ?

Bilan carbone, Bilan social : opposition ou complémentarité ?

C’est grave docteur !

Les récentes études de l’ObSoCo, d’Odoxa pour GAE Conseil, et de la DREES révèlent une dégradation alarmante de la santé mentale en France, touchant toutes les générations et mettant en évidence une crise profonde.

  • Prévalence des troubles mentaux : 62 % des Français déclarent avoir vécu un trouble mental au cours de leur vie​.
  • Jeunes en détresse : 41 % des étudiants présentent des signes dépressifs, soit une augmentation de +16 points depuis la pandémie​.
  • Suicides chez les jeunes femmes : Le taux de suicide chez les jeunes femmes a augmenté de près de 40 % entre 2020 et 2022, passant de 1,15 à 1,60 pour 100 000​.
  • Dépendance croissante : 60 % des personnes ayant souffert de troubles mentaux récents se déclarent dépendantes d’au moins une pratique addictive, notamment aux réseaux sociaux (25 %), à l’alcool (10 %), ou aux médicaments psychotropes (14 %)​.
  • Monde du travail : 49 % des actifs sont affectés par des troubles liés à leur emploi, et 36 % sont en situation de burn-out.

Face à cette détérioration, 79 % des Français dénoncent l’inaction des employeurs, et 73 % pointent le manque d’engagement des pouvoirs publics. Les études soulignent l’urgence d’intégrer la santé mentale dans les politiques publiques.

LE TOURISME COMME REMÈDE : UNE ÉVASION BÉNÉFIQUE !

Dans ce contexte alarmant, le tourisme se révèle être un levier efficace pour améliorer le bien-être psychologique, à condition naturellement qu’il soit pratiqué de manière consciente et responsable.

Des recherches ont effectivement démontré que le voyage peut agir comme un traitement non médicamenteux contre certains troubles mentaux. Une étude de l’Université Edith-Cowen en Australie a révélé que partir en voyage peut réduire le stress, améliorer l’humeur et favoriser le bien-être général​. La simple anticipation d’un voyage stimule le cerveau en activant le système de récompense, entraînant la libération de dopamine, l’hormone du plaisir​. Cette préparation est aussi bénéfique que le voyage lui-même, renforçant l’empathie et la concentration​.

Le tourisme de bien-être, incluant des activités centrées sur la détente et la reconnexion à soi, réduisent le taux de cortisol (hormone du stress) et améliorent la santé mentale​. Par exemple, le concept japonais du « Shinrin-yoku » ou bain de forêt, désormais populaire en Europe, est associé à une baisse de la pression artérielle et de l’anxiété. Ou encore, selon l’étude IFOP de 2023 sur les Français et leur bien être mental, 91 % des Français interrogés estiment d’ailleurs que les activités en pleine nature, comme la marche ou le vélo, est un élément essentiel à leur bien-être​.

On peut encore citer :

Le tourisme de proximité qui offre également une réponse durable et accessible, permettant de profiter des bienfaits de l’évasion sans générer un fort impact carbone et qui contribue à réduire la charge mentale tout en minimisant la fatigue liée aux longs trajets.

Ou encore, le tourisme solidaire et immersif qui favorise l’échange humain, le sentiment d’utilité et de partage. Ces voyages, combinant découverte culturelle et engagement local, sont particulièrement plébiscités par les jeunes en quête de sens et de lien social, dans un contexte où l’épidémie de solitude touche 31 % des 18-24 ans​.

Etc…Etc…

« Et si, au lieu d’augmenter la consommation d’antidépresseurs, on prescrivait plus de voyages ? »

L’eudémonisme : pour un repositionnement nécessaire du discours touristique

À force de multiplier les discours et les injonctions contradictoires, le secteur du tourisme semble s’égarer dans une cacophonie écologique qui risque de perdre les voyageurs plus qu’elle ne les éclaire.

Il est peut-être temps d’en changer et de revenir à notre préoccupation première : le bien-être des individus. Mettons l’eudémonisme, la philosophie du bonheur et de l’épanouissement, au cœur de la réflexion touristique. Car un voyageur heureux, apaisé et inspiré sera plus enclin à adopter des pratiques responsables.

Dans cette logique, certaines destinations, comme le Pays basque et la Nouvelle-Aquitaine, ont réinventé leur récit touristique et ont choisi d’intégrer le bien-être et l’épanouissement personnel au cœur de l’expérience touristique. Inspirées par l’eudémonisme – qui place le bonheur durable et profond comme finalité de l’existence – ces nouvelles approches ne reposent pas sur la privation, mais sur une quête de sens, où plaisir et responsabilité s’entremêlent.

Le Pays basque s’appuie sur trois piliers majeurs : convivialité, authenticité et énergie. Plutôt que de consommer un territoire comme un simple produit touristique, les visiteurs sont invités à vivre pleinement l’instant, à partager des moments avec les habitants, à s’imprégner des traditions locales, et à explorer les paysages à pied ou à vélo. Ce n’est plus un tourisme de passage rapide, mais une immersion qui favorise l’émerveillement, la gratitude et la reconnexion à la nature, autant d’émotions considérées comme essentielles par l’eudémonisme.

De son côté, la Nouvelle-Aquitaine s’engage dans un réenchantement des récits touristiques, avec une approche qui stimule l’imaginaire et incite à la lenteur et à la contemplation. La région valorise des expériences sensorielles et immersives : flâner dans des villages paisibles, se ressourcer en pleine nature, découvrir des savoir-faire artisanaux. Ces propositions donnent du sens au voyage, permettant aux visiteurs de se sentir alignés avec leurs valeurs et d’en retirer un bien-être durable. Ce modèle replace le temps et la qualité de l’expérience au centre du tourisme, bien loin de l’accélération constante et de la surconsommation.

Ces nouvelles narrations touristiques répondent aussi à un besoin urgent de réinventer les imaginaires, face à des visions du futur où le voyage semble se déconnecter de la réalité physique et sensorielle. cf. l’excellent article de Guillaume

Et si nous réconcilions plaisir du voyage et conscience environnementale. Car voyager peut être un acte de bonheur profond, de reconnexion à soi, aux autres, et au vivant.

Conclusion : Le grand paradoxe, ou la grande hypocrisie ?

Et si l’on arrêtait les injonctions quasi inaudibles, les indicateurs carbones hors sol qui mesurent le bilan carbone d’un mojito en terrasse ou le bilan carbone du gif de la page d’accueil du site internet ? Et si nous érigions le tourisme comme le remède ultime, capable de soigner les maux de nos sociétés tout en servant in fine la cause du développement durable ?

Comment espérer une transition réussie avec des individus épuisés, anxieux et incapables de s’engager ? Un tourisme qui soigne, qui reconnecte, qui réenchante nos imaginaires, qui prône l’eudémonisme n’est pas un luxe. C’est une nécessité.

 Aggraver le bilan carbone pour mieux améliorer le bilan social pour améliorer le bilan carbone : tel est le paradoxe auquel nous sommes confrontés.

Voyager pour aller mieux aujourd’hui, c’est certainement préparer un monde qui ira mieux demain !

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Gallic GUYOT est Directeur exécutif de Charentes Tourisme. Titulaire d’une Maîtrise de mathématiques pures et ingénieur en technologie de l’information et de la communication, Gallic est passionné d’innovation, de nouveaux modèles, d’opérationnel, de projets plein de sens, d’approches collaboratives, d’efficience, d’agilité…. « Encouragez l'innovation. Le changement est notre force vitale, la stagnation notre glas. »
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