L’IA générative envahit nos usages, promettant efficacité et instantanéité. Mais à quel prix ? Face à une uniformisation grandissante de la pensée et des contenus, que devient la diversité linguistique et culturelle? Entre fascination et vigilance, explorons les enjeux d’un monde façonné par quelques langues dominantes.
Avec l’IA, penser le monde dans une seule langue…
Nous sommes depuis quelques mois littéralement encerclés par l’IA générative, que l’on met à toutes les sauces, parfois délicieuses mais le plus souvent indigestes. Pas un jour sans que l’on ne nous propose de nouvelles formations sur le sujet, pour faire de nous des experts du prompts. Et il est vrai que les résultats sont bluffants, si l’on met de côté bien entendu l’empreinte environnementale des outils utilisés. Mais l’objet de ce billet est tout autre : je m’interroge aujourd’hui sur l’appauvrissement de la pensée humaine et plus prosaïquement de nos métiers que va entrainer cette vague vers Chat GPT & co.
En effet, une langue c’est une façon de voir et de penser le monde, et les milliers d’idiomes répandus sur notre Planète, dont beaucoup sont hélas en voie de disparition, ont beaucoup contribué à façonner des systèmes de pensées très différents d’un territoire à un autre.
J’écrivais à cet effet il y a quelques années, quand j’étais dans le Pays basque : « Découvrir le Pays Basque avec une seule langue c’est comme voir la vie d’un seul œil, il manque le relief ».
Or ce qui est en jeu aujourd’hui c’est un monde pensé dans un nombre très réduit de langues, l’anglais très majoritairement, mais aussi le chinois notamment, langues dans lesquelles sont conçues et « pensées » les IA génératives, sans oublier le langage mathématique bien entendu. Le phénomène n’est pas nouveau, les GAFAM ont largement contribué à impulser ce mouvement ces dernières années.

Aujourd’hui questionner chat GPT c’est avoir, quelle que soit la qualité du prompt utilisé, une restitution qui dans sa structure même est anglo-saxonne, c’est-à-dire efficace et « corporate », ce qui contribue encore un peu plus à l’uniformisation du monde et de nos pratiques.
Écrire, c’est prendre position
Au-delà de l’appauvrissement de la pensée dû au recul des langues « non dominantes » la généralisation de l’usage de l’IA générative va assez rapidement entrainer un nivellement « par le milieu » des contenus produits, qui, si le prompt est bien réalisé, seront certes pertinents mais fondamentalement stéréotypés, car basés sur la digestion puis la réutilisation de manière adaptée de textes, données, styles et concepts déjà existants.
Le fait est que dans nos métiers nous avons déjà tendance à utiliser le même type de verbatims et le même type de photos, avec des brochures ou des sites internet qui se ressemblent tous, et la tendance va encore s’accélérer. Je ne doute pas que d’ici peu et notamment pour des raisons de gain de temps et de budget nous verrons bientôt, sans le savoir, des sites webs ou des brochures de destination réalisés à 80% par l’IA.
Or, comme l’écrivait notre Prix Nobel de littérature Annie Ernaux « Ecrire est un acte politique » au sens noble du terme, prendre une photo également bien entendu. Aussi, je pense que nous devons être d’une grande vigilance, notamment dans nos stratégies et actions de marketing/communication, afin de ne pas « sous-traiter » notre plume, mais la conserver, avec ses imperfections certes,mais qui contribuent à en façonner le relief.

Au train ou vont les choses, les textes rédigés « à l’ancienne » avec du « jus de cerveau » vont rapidement être en voie de disparition, et même si tous les rédacteurs ne sont pas Chateaubriand nous allons perdre beaucoup en diversité de style, et aussi en prises de position assumées. J’avoue pour la part être toujours séduit par la newsletter du Seignanx rédigée chaque trimestre par le talentueux Jérome Lay, une merveille de poésie, d’idées « différentes », le tout constellé de mots en gascon.
Un insensé peut fermer la bouche de 10 savants
Langues, je vous aime
Il existe aujourd’hui près de 7000 langues sur la planète, dont la moitié sont en voie d’extinction. 70% des terriens utilisent une des treize langues dominantes (dont le français fait partie), l’anglais et le mandarin étant la langue usuelle de 30% des humains. Il reste donc 6987 langues moins parlées, certaines ne l’étant plus que par quelques dizaines de locuteurs. (source wikipedia)
Au sein de l’Europe même, quelques langues « autochtones » ont survécu aux idiomes dominants : le sami (lapon) dans le nord de la Scandinavie, le gaélique dans les Iles britanniques ou encore le breton et le basque chez nous. Elles sont toutes en forte régression, même si depuis quelques années une prise de conscience et des initiatives locales ont permit d’enrayer la baisse de locuteurs, voire d’inverser la courbe.
Il va de soi que même si google traduction intègre ces langues dans son éventail, les modes de pensées qui y sont associés ne sont pas pris en compte, et des siècles voire des millénaires de visions originales du monde sont en train de s’éteindre sous nos yeux, une composante finalement de cette « biodiversité » si menacée.
L’IA générative n’a selon toutes vraisemblance absolument pas intégré cette diversité de structures grammaticales, de vocabulaire dans ses algorithmes, et je serai même curieux de savoir si notre IA « française » Mistral AI (Le Chat) est développée en français ou en anglais, je suis preneur de la réponse si un « sachant » lit ces lignes.
Pour conclure, je dirai qu’il est de notre devoir de continuer à écrire les textes de référence qui présentent nos destinations, nos actions, et de n’utiliser l’IA que pour nous « soulager » de la rédaction de textes sans grande valeur ajoutée, que personne ne lis la plupart du temps. Ce constat est le même pour la photographie bien entendu, je crois que si nous pouvons tous être « bluffés » par la qualité du rendu des visuels obtenus avec l’IA nous ne ferons pas rêver nos visiteurs avec des photos artificielles et encore moins avec des « fakes ».