J’avais envie depuis quelque temps de regarder dans le rétroviseur, pour voir tout ce qui avait évolué ces dix dernières années en matière d’accueil touristique. Dix ans, nous étions en 2011-20122. Nous définissions alors une méthodologie pour réfléchir à l’organisation de l’accueil sur un territoire : ce serait le SADI (pour schéma d’accueil et de diffusion de l’information). Méthodologie présentée avec mon compère Jean-Baptiste Soubaigné d’abord aux Offices de Tourisme d’Aquitaine, et qui ensuite a essaimé un peu partout en France.
Une petite décennie plus tard, on peut vraiment observer l’évolution dont on gère l’accueil sur un territoire touristique : il y a d’abord la prise de conscience de tous (personnel de l’Office de Tourisme, élus, socioprofessionnels) que l’accueil ne se limite pas au local de l’Office. Et il y a ensuite la mise en place de nombreuses initiatives pour ré-enchanter l’accueil dans et hors les murs. Et sur de nombreuses destinations, les changements sont bien visibles.
Pour ce premier article sur le grand changement de l’accueil touristique, je me consacrerai aux changements « dans les murs », c’est à dire à l’intérieur même des Offices de Tourisme. Suffisant pour un premier papier, tellement il y a déjà à dire…
1. Des Offices de tourisme ouverts aux habitants
C’est peut-être la principale révolution qui se dessine, dans les esprits comme dans la réalité : rendre les Offices de Tourisme disponibles pour les habitants d’un territoire. Cette conviction est largement partagée par la profession, je m’en rends compte dans mes échanges avec les directeurs d’OT, un peu partout en France : il y a l’envie, même dans les territoires fortement touristiques, de s’ouvrir aux habitants.
Ce virage a été illustré il y a trois ans maintenant par l’Office de Tourisme d’Evreux, pour lequel je titrais « le premier office des habitants » en juillet 2018. Résolument tourné vers les habitants, Évreux a démontré sa pertinence. Mais il a fallu un moment pour que l’exemple d’Évreux infuse dans le paysage. Ainsi, l’Office de Tourisme Aunis Marais Poitevin (Charentes Maritimes) a ouvert son comptoir local en janvier 2021. Le retour d’expérience de ces deux Offices a été présenté lors d’un atelier aux dernières rencontres du etourisme à Pau.
Dernièrement, c’est Melun qui annonçait la couleur : « pas besoin d’être un touriste pour venir dans notre Office de Tourisme« !
Les initiatives pour attirer les habitants dans les Offices de Tourisme se multiplient donc, avec par exemple des offres spécifiques dans les boutiques au moment des fêtes.
2. L’office de tourisme Tiers-lieu
On en parle depuis longtemps, on en rêve, même de cet Office de Tourisme hybride, qui accueille des coworkers, des familles et des visiteurs. De ce lieu chaleureux, chamarré, qui fasse cohabiter diverses activités, et divers publics. C’est l’Office de Tourisme Tiers-Lieu.
Dans la réalité, il y a encore assez peu de réalisations, mais par contre, de nombreux projets. La MONA a travaillé avec la coopérative des tiers-lieux afin de réaliser un « petit précis » détaillant les affinités possibles entre les structures. Le premier vrai « Office de tourisme Tiers-Lieu » s’est établi à Clairac, en Lot-et-Garonne en 2018. Un projet aujourd’hui abandonné suite à une situation politique locale compliquée.
D’autres réalisations ont vu le jour, comme à Lens Lievin, dans le bassin minier. « Ceci n’est pas qu’un Office de Tourisme » prévient l’équipe : conseil touristique, certes, mais aussi espace de coworking, location de trottinettes, ou encore ressourcerie, les fonctions sont multiples.
D’autres projets d’Offices de Tourisme tiers-lieu sont en gestation ou en voie de réalisation, un peu partout en France. Je parie sur une faste année 2022 dans ce domaine.
3. L’ Expert Local de destination
En 2016, l’ami Pierre Eloy publiait dans ces colonnes un bel article que je vous invite à relire : « j’ai la chance de partager la vie d’experts locaux de destination« . Les nombreuses formations et parcours autour de l’accueil (APEX, puis chargé de projets Accueil) ont révélé de belles personnalités et de vrais engagements autour d’une passion : accueillir l’autre et lui faire partager mon chez moi. Alors, largement plus engagé que le conseil du même nom, l’expert local de destination aime accueillir, parler de son pays, le faire partager. Et il le revendique, comme dans ce profil Linkedin de Roxanne, conseillère en séjour à l’Office de Tourisme Destination Loue Lison, dans le Jura :
A Kaysersberg, en Alsace, on parle « d’expert local de confiance » avec une belle explication de texte sur le site de l’Office de Tourisme :
Oui, travailler dans un office de tourisme est un vrai métier.
Oui, la mission d’un expert local de confiance est de partager sa propre expérience.
Oui, l’expert local de confiance connait l’offre de son territoire.
Oui, l’expert local de confiance conseille les visiteurs de façon subjective.
Oui, l’expert local de confiance rassure les visiteurs.
Oui, l’expert local de confiance donne un conseil éclairé.
Oui, l’expert local de confiance grâce à « son vécu personnel » saura vendre son territoire.
4. Des boutiques engagées
Il commence à dater, le temps où les boutiques d’Offices de Tourisme étaient les favorites des collectionneurs de dés à coudre, de boule à neige de destination, et de monnaie de Paris… En quelques années, un nouveau courant est apparu, visant à faire des boutiques d’Offices de Tourisme des savoir-faire des produits et savoir-faire locaux. Certes, la majorité des mugs sont encore fabriqués en Asie, mais de nombreuses intiatives sont prises pour offrir au consommateur du produit local.
J’avais présenté dans ces colonnes les exemples de Lège Cap Ferret (Gironde) et Montbéliard (Doubs) sous le titre « quand la boutique joue en local« . Dans le premier Office, plus de 80 références de produits made in France. Dans le deuxième, la remise à l’honneur d’un artisanat textile ancien, où l’Office de Tourisme a joué un rôle majeur.
L’ouverture d’une boutique est aussi un moyen de faire prospérer un bureau d’information touristique à faible fréquentation. En Provence Occitane, dans le Gard, l’Office de Tourisme va ainsi transformer deux BIT en boutiques de produits locaux.
Les confinements ont été l’occasion pour les Offices de Tourisme de s’impliquer auprès des producteurs locaux, jouant le lien entre habitants et agriculteurs. Ainsi, en Ariège, au Mas d’Azil, un OT de trois salariés développe sa boutique de Noêl en physique et en ligne… Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
5. Vos billets m’sieurs dames
S’il est bien un domaine où les Offices de Tourisme ont compris qu’ils pouvaient agir, c’est celui de la billetterie. Vendre des activités sur le lieu de séjour des visiteurs, c’est encore un créneau qui est peu préempté par les géants du web. Si en plus, les habitants profitent de cette même offre de billetterie, la plus-value est évidente.
Parallèlement, les outils ont largement évolué : les solutions de billetterie en ligne, souvent couplées à des places de marché sont aujourd’hui performantes. Elles permettent d’interconnecter des bureaux d’information voire plusieurs Offices de tourisme sur la même base d’offres.
Résultat, l’activité de billetterie s’est largement développée, comme le montre l’exemple ci-dessous, à Pornic (Loire-Atlantique)
L’étape suivante pour un Office de Tourisme consiste à vendre également en ligne l’offre de billetterie, étape à laquelle accèdent de plus en plus de structures.
6. Faites sauter la banque
En 2014, lors de la journée Révolution de l’Accueil organisée par la MOPA, Bruno Le Lan, directeur de l’office de tourisme de la Baie de Morlaix expliquait comment il avait longtemps travaillé à « faire sauter la banque »… d’accueil de son Office de Tourisme. Il y a sept ans, en effet, se passer d’un comptoir dans un Bureau d’Accueil semblait quasi inimaginable…
Heureusement, depuis, de nombreuses expériences sont allées en ce sens, afin de privilégier un contact plus direct entre le visiteur et le conseiller en séjour. Au lieu d’une banque, on trouvera des tables, des mange-debout, voire des fauteuils, plus propices à l’échange.
En général, le principal argument invoqué pour maintenir des banques d’accueil est celui du flux : comment en effet, accueillir un nombre important de visiteurs sans dispositif permettant de former une file d’attente.
Malgré tout, des Offices de Tourisme sur des zones touristiques ont mis en place ce type d’accueil sans banque. On peut citer Nantes, avec sa table d’accueil, façon architecte.
A Bayonne, l’Office de Tourisme rénové en 2015 a choisi d’installer des postes d’accueil modulables, et déplaçables en fonction du flux de visiteurs.
7. gérer les flux
En 2015, L’office de Tourisme de Lyon inaugurait son espace d’accueil réaménagé dans le pavillon Bellecour. Comme je le présentais dans cet article, le parti pris de l’OT pour gérer les flux était assez novateur : un pré-accueil par un « city helper » lyonnais, et pour les demandes plus abouties, on revenait à la belle époque du ticket, pour prendre son tour. Durant ce moment d’attente, devenue transition, l’Office proposait au visiteur de s’asseoir et de visionner des images de la destination sur grand écran.
8. Mettre en scène l’accueil touristique
Une des première initatives sur la mise en scène de l’accueil touristique a été celle de l’Office de Tourisme Val de Garonne, à Marmande, qui dès 2011 aménageait dans une maison ancienne du centre ville totalement mise en scène. Comme je l’écrivais à l’époque « ’l’équipe de l’office de tourisme et deux scénographes ont bâti un concept pour le moins original. Il s’organise autour des trois pièces de la maison, et du patio de l’immeuble. Chaque pièce présente des éléments d’attractivité du territoire, dans une mise en scène savamment désordonnée. »
Cette initiative vraiment innovante a provoqué de multiples visites professionnelles dans les locaux de Val de Garonne. Tant et si bien que l’on crut que les Offices de Tourisme scénographiés allaient se multiplier instantanément. Mais force est de constater qu’il faut laisser aux meilleures idées le temps d’infuser. Et finalement, les initiatives d’Offices de Tourisme scénarisés sont assez récentes.
J’aime beaucoup l’exemple du BIT de Montréal du Gers, sur le territoire de l’Office de Tourisme de la Ténarèze (en plein pays d’Armagnac). Sous les arcades de la bastide la Fabrique à Souvenirs est un bureau d’Information scénarisé. Aménagé autour de plusieurs espaces, il fait la part belle au sensoriel et au spiritourisme (armagnac oblige). Le fait de mettre en scène un espace, avec de nombreuses attractions (jeux pour les enfants, malles de découverte, etc.) augmente le temps de visite. Il n’est pas rare de voir une famille s’attarder durant une heure autour de ces réalisations.
9. La prouesse architecturale
Je décrivais dans mon dernier billet « mon Office de Tourisme vaut bien un architecte » le projet de l’Office de Tourisme de Versailles : la commune va investir 4 millions d’euros pour réaliser un bâtiment destiné à abriter l’Office de Tourisme. Lien entre la gare et le château, il représente un vrai parti pris architectural et devra constituer à terme un élément non négligeable de l’offre locale.
Dans les commentaires de ce billet, on découvre plusieurs exemples de réalisations d’Offices de Tourisme où les architectes ont joué un rôle fort, donnant une âme au lieu.
Ainsi, nous dit Nathalie Guilbaud » à Aizenay (Vendée), l’ancienne gare a fait peau neuve pour accueillir l’Office de Tourisme Vie et Boulogne.
Cette rénovation a été pensée pour mieux accueillir le visiteur ; qu’il soit habitant du territoire ou touriste de passage. L’architecte Léa Maudet du cabinet LM Architecte – en collaboration avec l’équipe du service tourisme – a imaginé un lieu convivial qui s’inspire d’une valeur essentielle du territoire : la nature. Le bois, la brique, les couleurs naturelles rendent ce lieu très apaisant.«
10. Et le numérique dans tout ça?
C’est vrai que dans ce même blog, il y a douze ans, on évoquait cet article sur l’office de tourisme de New York, symbole de l’Office de Tourisme du futur : quasiment plus de personnel, des tables tactiles, et des documentations numériques à embarquer dans son smartphone…
Et pendant plusieurs années, nous avons beaucoup milité pour l’équipement numérique des Offices de tourisme. 10 ans après, où en est-on? Force est de constater que de nombreux équipements n’ont pas trouvé preneur, que les tables tactiles ne font pas recette et que pas mal de tablettes ont été rangées dans les armoires. Et surtout, heureusement, que les conseillers en séjour sont toujours là, indispensables élément de l’accueil. Donc, oui, l’Office de Tourisme du futur n’est pas tout numérique!
Mais des éléments tangibles montrent que le numérique est quand même un élément utile de l’accueil touristique. Les bornes d’information 24/24 fonctionnent bien, notamment en zone de fort flux touristique. Et surtout, l’affichage dynamique trouve sa place dans tous les Bureaux d’Information touristiques. Les écrans sont souvent pratiques, avec des informations qui défilent, ou majestueux, avec un effet waouh…
Donc pour l’accueil numérique, s’il ne devait en rester qu’un, ce serait cet écran dynamique, comme ci-dessous à l’Office de Tourisme de Bordeaux.
Merci d’avoir lu ce long article jusqu’au bout! prochaine livraison, l’accueil hors les murs : rétrospective sur dix ans d’accueil imaginatif décloisonné…