Vous n’avez pas pu y échapper, on a encore beaucoup parlé d’Airbnb ces derniers temps, et notamment depuis l’annonce officielle du 18 novembre du fait que la plate-forme rejoignait le programme TOP des partenaires du CIO, rejoignant ainsi les 13 autres enseignes majeures sponsors des Jeux Olympiques (Coca-Cola, Alibaba, Atos, Bridgestone, Dow, GE, Intel, Omega, Panasonic, Procter&Gamble, Samsung, Toyota et Visa).
Le communiqué officiel est d’ailleurs intéressant à lire puisqu’on y apprend les éléments suivants :
– Airbnb rejoint le programme TOP et contribuera aux objectifs du Mouvement olympique en matière de durabilité.
– Une opportunité économique sera offerte aux athlètes pour générer des revenus grâce aux nouvelles expériences Airbnb avec des olympiens.
– Des centaines de milliers de nouveaux hôtes Airbnb apporteront leur soutien et prendront part au Mouvement olympique en proposant des hébergements et des expériences jusqu’en 2028.
Un partenariat d’expériences plus que d’hébergement ?
Oui, vous avez bien lu, le CIO veut permettre à des athlètes, venus concourir à l’épreuve la plus emblématique qui soit pour un sportif, de se faire un peu d’argent de poche en proposant une « expérience » au sein du programme bien connu d’Airbnb. Le Président du CIO Thomas Bach l’affirme sans ambages : « Avec le soutien d’Airbnb, nous offrirons également de nouvelles possibilités aux athlètes du monde entier de générer leurs propres revenus en faisant la promotion de l’activité physique et des valeurs olympiques. Ce partenariat profitera directement aux athlètes, en plus des 5 milliards d’USD que le CIO leur distribue durant cette Olympiade via les comités d’organisation et les organismes sportifs du monde entier. »
À Paris en 2024, tu pourras donc sur Airbnb faire un jogging visite avec Laurent, comme il le propose d’ores et déjà, à partir de 15€, ou avec le kényan Eliud Kipchoge, recordman du marathon, pour 50/100/1000€ ?
Bon, si on n’était pas sur un blog à vocation touristique, j’aurais bien poursuivi sur la différence de traitement entre un athlète américain pris en charge par sa fédé, ses sponsors, et le bangladais à qui l’on dira « ben coco, t’as fais les minimas pour participer, mais on n’a pas une thune, alors va faire le gugusse avec les touristes parisiens pour pouvoir te payer le voyage et les baskets que tes mômes ont fabriqué pour un salaire de quelques dollars mais qui en coûte 200 dans le commerce », et on s’enthousiasmerait tous ensemble de ce beau monde libéral et de ces belles valeurs de l’olympisme… Mais apparemment, la Présidente de la Commission des athlètes elles-même, Kirsty Coventry, ex-nageuse du Zimbabwé, se dit elle-même ravie de ce partenariat, qui englobe aussi la mise à disposition d’appartements Airbnb pour les athlètes à hauteur de 28 millions de dollars, alors peut-être ne suis-je qu’un mauvais coucheur ! Peut-être ne faut-il y voir effectivement qu’une belle opportunité pour la majorité des athlètes n’ayant guère les moyens de vivre de leur passion de se faire un revenu complémentaire tout au long de l’année, d’offrir de superbes expériences à des amateurs en partageant un entraînement, un moment d’exception.
C’est souvent tout le paradoxe avec Airbnb d’ailleurs, qu’on ne peut s’empêcher de trouver génial par beaucoup d’aspects, et dangereux par certains autres selon l’usage qui en sera fait par les utilisateurs de la plate-forme.
Un partenariat « durable »
Mais, donc, ici, ça s’appelle etourisme.info, alors restons-en à l’hébergement ! Airbnb et le CIO nous disent, à juste titre, qu’un tel partenariat permettra de réduire les coûts et l’empreinte carbone des besoins en matière de construction de nouveaux logements. La durabilité, et la possibilité pour les hôtes locaux d’engranger des revenus complémentaires, tout en participant à un accueil plus inclusif des athlètes et des touristes venus pour l’occasion.
L’argument est clairement recevable, surtout au regard des difficultés que rencontrent bon nombre de villes organisatrices de tels événements pour rentabiliser et faire vivre les infrastructures créées pour l’occasion, qui ne bénéficient pas toujours d’une seconde vie une fois l’épreuve terminée.
Mais bien évidemment, cela n’est pas du tout du goût des professionnels de l’hébergement, et notamment des hôteliers, qui ont profité de cette annonce pour remettre le couvert sur l’absence d’équité.
Airbnb et les Jeux Olympiques, c’est une récente histoire, qui n’est pas un long fleuve tranquille ! En 2012, lors de l’édition se déroulant à Londres, les velléités affichées par les habitants et certains acteurs de l’immobilier avaient conduit l’hôtellerie locale a alerté, comme chez nous, les instances sur le potentiel manque à gagner des professionnels au vu de cette concurrence. Résultat, les londoniens ont été interdits de location durant les Jeux Olympiques sous peine d’une amende de 23 000€, suffisamment dissuasive, pour qu’Airbnb et consorts se retrouvent le bec dans l’eau à cette occasion.
Mais en 2016, changement de lieu, changement de politique, Airbnb est officiellement partenaires du Comité d’Organisation des JO de Rio. Le Président de l’Office de Tourisme du Brésil soulignait à l’époque l’incapacité à construire de nouveaux hôtels pour héberger l’ensemble des visiteurs liés à l’événement, et le préalable lors de la Coupe du Monde de Football en 2014 : sollicitée à la dernière minute, la plate-forme californienne avait réussi en trois mois à procurer 10 000 chambres supplémentaires sur une des villes réceptrices en manque crucial d’hébergements. Résultat, Rio est devenue le temps de l’été 2016 la ville la plus chère sur Airbnb, et l’offre est passée en moins de quatre ans de 900 à 35 000 hébergements disponibles !
Rien d’étonnant donc qu’Airbnb soit motivée à l’idée d’un tel partenariat à plus grande échelle, qui lui permettra donc, au-delà de l’image, du surplus de chiffres d’affaires ponctuel, de faire gonfler son inventaire dans le villes concernées jusqu’en 2018.
Les hôteliers et les élus en colère
Par contre, les COJO (Comités d’Organisation des Jeux Olympiques) locaux, dont celui pour Paris, ont déjà mis en place leurs propres partenariats, d’où la colère des hôteliers. Tony Estanguet, son Président, souligne d’ailleurs qu’un inventaire de 618 hôtels a déjà été effectué, avec des accords signés pour déjà 40 000 chambres sur les 80 000 que comptent la capitale. Mais L’UMIH est prête à remettre en cause sa participation, craignant que les 70 000 offres déjà présentes chez Airbnb ne viennent apporter un forte concurrence, jugée déloyale, à l’offre professionnelle.
La Mairie de Paris, elle-même engagée dans une plainte contre la plate-forme, a également vertement réagi à ce partenariat avec le CIO, Anne Hidalgo s’étant même vainement fendue d’un courrier préalable à Thomas Bach.
Que penser de toutes ses réactions ?
Au niveau de l’hôtellerie et de la concurrence déloyale, de la perte de chiffres d’affaires, on peut relever les arguments, chiffres à l’appui, que donne Mark Watkins, fondateur du cabinet Coach Omnium. Dès 2016, il se faisait le pourfendeur des syndicats avec une première étude évoquée sur le blog d’Elloha. Plus récemment, en janvier 2018, avec une mise à jour de juin 2019, Mark Watkins évoque dans un article 14 préjugés (vrai ou faux) sur Airbnb, et y démonte la plupart des éléments avancés par les syndicats hôteliers.
En ce qui concerne l’immobilier, les impacts politiques, urbanistiques et sociétaux, la situation est beaucoup plus complexe. Plusieurs territoires et organismes départementaux ou régionaux ont franchi le pas et engagé des partenariats avec Airbnb, afin de développer une offre d’hébergement sur des territoires ruraux où le privé est peu enclin à investir, et bénéficier de la force de communication de la plate-forme (l’Association des Maires Ruraux, le Département de l’Eure-et-Loir, le CRT Nouvelle-Aquitaine, comme l’évoque cet article de la Banque des Territoires.
La situation est beaucoup plus tendue dans les grandes villes, où certains centres-villes seraient saturés de locations Airbnb et autres, diminuant ainsi l’offre locative disponible, et modifiant sensiblement la vie des quartiers les plus impactés. Matthieu Rouveyre, élu girondin et bordelais, a d’ailleurs lancé en octobre 2016 un observatoire en ligne, dont les chiffres différent de ceux fournis par Airbnb. Comme d’autres, il relèvent le nombre croissant de multipropriétaires et d’agences immobilières qui utilisent désormais prioritairement la locations de vacances. Il nous présentait sa vision lors des #ET12 à Pau :
D’ailleurs, avant même l’annonce officielle de l’attribution des JO à Paris, un site spécialisé dans les investissements en Loi Pinel relevait la potentielle manne de ces locations.
On reparle de réglementation(s)
D’autres capitales et grandes villes ont d’ailleurs plus des mesures autrement plus drastiques que Paris. Amsterdam par exemple, limite depuis janvier 2019 à 30 jours par an ce type de location, impose la présence du propriétaire dans son appartement ou sa maison, restreint l’accueil à quatre personnes maximum (pour éviter les grands groupes de fêtards… dommage pour les familles avec trois enfants !).
Je reste personnellement surpris que l’on ne prenne pas en considération la diversité de l’offre présente sur les plates-formes de type Airbnb, et par conséquent, une différence de traitement à envisager. De façon schématique, on peut identifier :
- des professionnels de l’hébergement (hôtels, gîtes, chambres d’hôtes, …) qui utilisent Airbnb comme un canal de distribution, à l’instar de Booking ou autres
- des individuels qui louent leur appartement, leur maison, pendant qu’ils partent en vacances, afin de financer les leurs, soit en étant propriétaires, soit en étant locataires (avec le problème de la légalité de la sous-location qui peut s’y rapporter).
- des individuels qui louent une chambre dans leur appartement ou maison tout en y étant présent, pour avoir un complément de revenus, et souvent également, par plaisir de recevoir.
- des individuels qui louent leur résidence secondaire, pour un revenu complémentaire, pour financer leur achat
- des individuels qui font un ou plusieurs investissements immobiliers, et préfèrent louer sur Airbnb plutôt que de s’engager sur un bal de location classique plus longue durée, souvent bien moins rémunérateur
- des agences et promoteurs immobiliers qui investissent pour leur propre compte ou assurent la location pour le compte de la catégorie précédente.
Ne devrait-on pas envisager une réglementation différente pour ces divers usages ? Des contraintes, comme l’exigent les hôteliers, différentes selon qu’il s’agisse d’un particulier louant son appartement pour financer ses vacances ou une agence immobilière, un individuel multi-propriétaire investisseur ?
À l’heure où l’on discute beaucoup de la simplification des régimes spéciaux de retraites, il semblerait opportun en l’espèce de prendre en considération la complexité de l’offre disponible, qui n’a, il faut bien le dire, plus grand chose à voir avec le concept de base, sur lequel j’ai exhumé une des premières publicités en ligne :
Et vous, qu’en pensez-vous ?