Lars et Ingrid, un couple de voyageurs suédois passionnés, reviennent en France dix ans après leur dernière visite avec leurs deux enfants. Habitués à explorer le pays à leur rythme, ils sont surpris de constater que leur manière de voyager a radicalement changé.
Recherche d’informations et planification du séjour
Avant leur départ, Lars et Ingrid tentent de planifier leur voyage en France, mais ils constatent rapidement que l’accès aux informations touristiques a radicalement changé. Autrefois, ils se rendaient sur les sites des offices de tourisme pour obtenir des conseils sur les destinations, les événements locaux et les itinéraires adaptés à leur famille. Désormais, ces plateformes sont devenues des vitrines commerciales, remplies d’offres premium et de publicités ciblées.
Lorsqu’ils essaient de contacter un office de tourisme pour obtenir des recommandations sur des itinéraires authentiques et hors des sentiers battus, ils découvrent que le service personnalisé est désormais payant. Une application leur propose un abonnement VIP à 200 euros par semaine, leur donnant accès à un assistant IA dédié qui leur enverra des propositions d’expériences adaptées à leurs profils… mais uniquement parmi des offres partenaires.
Le couple tente alors de réserver un hébergement en région montagneuse, mais ils réalisent que les logements affichés sur les principales plateformes sont majoritairement liés à des groupes hôteliers haut de gamme. Les options plus abordables semblent avoir disparu des catalogues classiques, reléguées à des canaux secondaires, accessibles uniquement aux abonnés premium.
Déçus, ils décident de partir malgré tout, curieux de voir sur place ce qu’ils pourront trouver.
Arrivée et premier choc
Dès leur arrivée en France, ils découvrent que les offices de tourisme ont quasiment disparu. À la place, un assistant IA sur leur smartphone les guide vers des expériences hyper-personnalisées, mais uniquement accessibles à ceux qui peuvent payer. Lorsqu’ils cherchent des informations sur les événements locaux, ils constatent que l’application leur suggère uniquement des offres commerciales exclusives. Un chatbot leur propose même d’acheter un pass premium pour 500 euros, qui leur garantirait un accès à certaines zones fermées au public.
Les Alpes : Une montagne artificielle
Ils décident de se rendre dans les Alpes, où ils avaient déjà séjourné dix ans plus tôt. En arrivant, ils sont stupéfaits de voir que les domaines skiables se sont étendus au détriment des espaces naturels protégés. L’usage massif de la neige de culture a transformé les montagnes en une zone artificielle, bien loin des paysages qu’ils avaient en mémoire. Un panneau publicitaire géant affiche : « Alp’ 2.0 – du ski toute l’année grâce à notre technologie avancée de neige synthétique ! ».
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Lorsque Lars demande à un employé local s’il reste encore des zones naturelles préservées, on lui répond que ces espaces sont désormais des réserves accessibles uniquement sur réservation spéciale, avec un guide privé et un tarif à trois chiffres. En voyant des visiteurs plus fortunés profiter librement de ces lieux, il ressent une frustration sourde. Lui et Ingrid doivent se contenter des zones ouvertes au grand public, souvent surpeuplées et nettement moins bien entretenues. Cette séparation sociale dans l’accès aux paysages naturels qu’il chérissait tant lui laisse un goût amer : le voyage n’est plus une aventure partagée, mais un privilège économique. Il se demande alors si, dans ce monde ultra-marchandisé, l’idée même d’un tourisme accessible à tous n’est pas devenue obsolète.
La Côte Méditerranéenne : Luxe ou exclusion
Lorsqu’ils essaient d’accéder à une plage en Méditerranée, une autre surprise les attend : l’accès aux plus belles plages est désormais réservé à des clubs privés. À moins de payer un forfait VIP à 150 euros par jour, les voyageurs doivent se contenter de zones secondaires moins entretenues. Ils croisent un groupe de touristes mécontents, expliquant que même les petites criques autrefois publiques ont été rachetées par des investisseurs étrangers. Une pancarte indique : « Zone exclusive – accès réservé aux membres Platinum ».
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À leur arrivée, Lars et Ingrid découvrent un parc privé soigneusement aménagé. Les sentiers sont parfaitement tracés, des haut-parleurs diffusent une ambiance sonore de vagues et de chants d’oiseaux pour accentuer l’illusion d’un espace naturel. Pourtant, l’affluence est bien réelle : les visiteurs sont nombreux, prenant des selfies aux « spots Instagrammables » soigneusement indiqués sur leur carte interactive. Lars sent une montée de frustration : il voulait faire découvrir à ses enfants une nature authentique, mais se retrouve dans un décor artificiel conçu pour maximiser l’expérience client et la rentabilité.
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L’office de tourisme devenu commercial
A proximité de leur hôtel, ils discutent avec des employés de l’office de tourisme local. Ceux-ci expliquent que leur rôle a changé : ils ne sont plus là pour conseiller, mais pour vendre des packages exclusifs et orienter les visiteurs vers des entreprises privées partenaires. L’un d’eux leur explique que depuis la privatisation du secteur, ils sont devenus des consultants en tourisme, facturant aux voyageurs des conseils et des itinéraires personnalisés.
Alors qu’ils expriment leur frustration, l’office de tourisme leur propose une « rencontre exclusive avec un habitant ambassadeur local » pour une somme modique de 100 euros par personne. Curieux, Lars et Ingrid acceptent, espérant retrouver un peu de cette authenticité qui faisait autrefois la richesse de leurs voyages.
Mais la déception est grande : l’ambassadeur en question est un entrepreneur payé par une entreprise de communication touristique. Son discours est bien rodé, ponctué de références aux « valeurs traditionnelles du terroir » et à des anecdotes calibrées pour plaire aux visiteurs. À aucun moment, Lars et Ingrid ne ressentent cette spontanéité et cette sincérité qui caractérisaient autrefois les rencontres informelles avec des habitants. Ingrid soupire : « L’époque des Greeters était quand même sympa, on rencontrait des vrais gens, pas des figurants… »
« Nous devons atteindre des objectifs de rentabilité maintenant » leur confie un conseiller. « Nous ne sommes plus financés par l’État, donc nous devons vendre des expériences premium pour survivre. »
Lars et Igrid réalisent qu’ils sont devenus des consommateurs bien plus que des voyageurs.
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Cette histoire n’est pas réelle.
J’expliquais dernièrement sur ce blog mon ressenti sur le fait que nous étions en train de perdre la bataille des imaginaires quand on voit ce qui se passe actuellement avec l’influence des USA et de la Silicon Valley dans la société mondiale en particulier avec le boom des IA.
Ces dernières semaines, les USA continuent à alimenter les imaginaires au service d’une société des plus… musclées. Le binôme Elon Musk et Donald se permette même de faire de l’ingérence en Europe. Entre ultra-libéralisme, technologie extrême et repli identitaire, cette histoire est un récit issu d’un scénario prospectif que l’on pourrait voir apparaître dans quelques années si nous ne défendons pas un autre modèle, notre modèle.
Voici les éléments où nous devons rester vigilants:
- Privatisation des destinations : Le tourisme devient entièrement piloté par des entreprises privées, marginalisant les offices de tourisme publics et confiant l’information touristique à des algorithmes pilotés par ces entreprises.
- Monétisation des ressources naturelles : L’accès aux sites naturels et culturels devient un service premium avec des tarifs élevés, à l’image des stations de ski privées ou des parcs nationaux payants aux États-Unis.
- Abandon des politiques écologiques : Suppression des financements publics pour la transition écologique et retour en force de la voiture individuelle thermique, avec la fermeture de structures comme l’ADEME ou les Parcs Naturels Régionaux.
- Démantèlement des réglementations environnementales : Exploitation accrue des espaces naturels, expansion des stations de ski avec neige de culture et artificialisation des paysages pour maximiser la rentabilité.
- Restriction des flux touristiques étrangers : Instauration de quotas et de filtres à l’entrée, favorisant une clientèle haut de gamme et excluant progressivement les visiteurs à faible pouvoir d’achat.
- Affaiblissement des OGD : Transformation des offices de tourisme en structures commerciales financées par des investisseurs privés, centrées sur la rentabilité plutôt que sur l’équilibre territorial.
- Déclin du tourisme responsable: Disparition des initiatives de tourisme durable et solidaire, remplacées par des offres premium destinées aux clientèles aisées.
- Performance financière avant tout : Les OGD deviennent des apporteurs d’affaires pour les entreprises touristiques, monétisant leurs services en tant que consultants plutôt qu’en tant qu’animateurs.
Quel chemin allons-nous choisir ensemble?