Avec la révolution numérique, le voyageur de ce début de 21eme siècle est devenu hyper-connecté, hyper-comparateur, hyper-exigeant, hyper-mobile, hyper-communautaire et hyper-prescripteur.
En un mot, « le client a pris le pouvoir ». Le pouvoir de comparer et de choisir sa destination, son hébergement, son transport, ses visites et activités, le ou plutôt les sites sur lesquels il va acheter, bref son « expérience » de voyage… Et surtout il a désormais le pouvoir de « partager » son expérience, de la faire vivre en direct à sa « communauté ». Satisfait ou insatisfait votre client va clamer sa perception de consommateur, de voyageur, de touriste, de client.
C’est le concept de « l’empowerment ». Par son « engagement » le client a pris le pouvoir, et les marques l’ont bien compris et développent de plus en plus un marketing de l’empowerment.
Avec ce mouvement, certains annoncent « l’avènement de la démocratie touristique … où les touristes ne font plus confiance aux experts et aux professionnels, mais à leurs pairs, organisés en communauté affinitaire ». La chercheuse Saskia Cousin annonce même la disparition « du monde des experts : des guides, offices de tourisme, agences, etc. » : voir page 20 et 21 du cahier de tendances « tourisme en 2050 »
La disparition des professionnels, des experts, des guides des OT ? Vraiment ? Je pense, pour ma part, que la partie n’est pas jouée mais que les professionnels du tourisme producteurs, distributeurs, promoteurs de destination doivent sérieusement et vite se pencher sur la question.
D’où ce Petit panorama de quelques initiatives pour réfléchir à cette notion d’empowerment appliquée au tourisme et à la notion de destination, qui aujourd’hui déjà et plus encore demain, est fabriquée non plus par le volontarisme politique et marketing mais par les usages de consommation et de communication, c’est-à-dire par les clients eux-mêmes.
L’incontournable TripAdvisor
Avec plus de 300 millions de visiteurs unique par mois, plus de 200 millions d’avis, Tripadivisor revendique d’être « le plus grand site de voyage au monde ».
En France, le débat sur l’indépendance de Tripadvisor, sur la véracité des avis a longtemps occulté auprès des professionnels la puissance du phénomène.
Qui peut nier aujourd’hui la puissance de TripAdvisor ? Qui ne regarde pas les avis postés sur Trip par les voyageurs avant de choisir son hôtel mais désormais aussi son activité voire sa destination ?
On nous dit que l’abondance d’avis tue l’avis, qu’on trouve toujours des bons, des mauvais, une grande quantité d’avis moyens sur un hôtel donné, que c’est toujours les hôtels les plus chers les mieux classés … OUI. Oui, mais le voyageur internaute continue d’utiliser Tripadvisor et sa puissance de prescription ne se dément pas. Parce que l’internaute a appris à faire le tri et surtout sait choisir parmi les avis ceux des gens qui lui ressemblent (familles, jeunes, etc). Il sait repérer ses pairs, ceux qui ont les mêmes préoccupations et les mêmes critères et leur accorde sa confiance. De plus en plus, Tripadvisor est aussi consulté pour les activités (« que faire sur place ») et les destinations.
Avec le virage vers la réservation (avec le rachat de Viator- voir l’article « tourisme : les tendances digitales ») Tripadvisor déploie un marketing puissant qui incite l’internaute venu chercher idées, avis, jugements à lui-même en produire. Un marketing ciblé hyper efficace qui conduit à faire produire des contenus porteurs de valeur pour le voyageur.
BOOKING fait produire son contenu par ses clients…et c’est pertinent !
Le géant de la distribution hôtelière, BOOKING propose, bien entendu, des notations et avis clients sur l’ensemble des hôtels vendus.
Mais bien au-delà on trouve sur Booking des avis clients sur presque tout : de l’emplacement de l’hôtel, aux quartiers, aux musées, etc. Le client peut profiter de l’expérience de ses pairs. Le contenu produit par les clients de Booking est clairement un contenu éditorial de marketing de destination, un storytelling authentique qui dépasse le simple avis consommateur sur le produit hôtelier.
Ce contenu produit par les clients est habilement suscité par Booking, en posant à ses clients des questions orientées et pertinentes du type « Qu’avez-vous découvert qui n’était pas dans les guides ? » « Que conseillez-vous aux voyageurs qui ne souhaitent pas manger dans un attrape-touriste ? » …Bref des questions qui considèrent les voyageurs comme « experts de l’expérience » qui les invite à revendiquer leur appartenance à la communauté des voyageurs en jouant la solidarité face aux « attrape-touristes ».
Il est intéressant de voir comment Booking lie le contenu produit par ses clients, les recommandations des habitants avec le marketing non pas de l’hôtel mais de la destination et de la « passion ». Voir sur ce point l’article « le marketing de destination en première ligne ». Ces contenus ne sont pas cantonnés dans une rubrique du site, ils sont partout, enrichissants ainsi chaque proposition et chaque produit.
Les destinations donnent aussi la parole aux visiteurs
Bien entendu, les sites touristiques et les destinations qui ont compris qu’un avis positif d’un client, qu’un contenu produit par un visiteur, coûtait moins cher et rapportait beaucoup plus qu’une publicité se sont également lancés dans la parole donnée aux visiteurs.
Quand les professionnels parisiens ou de la Côte d’Azur se sont interrogés, après les dramatiques attentats, sur la méthode la plus efficace pour relancer l’attractivité et donc la confiance des touristes, les deux ont fait le même raisonnement : donner la parole aux touristes qui viennent est le meilleur moyen de rétablir la confiance chez eux qui hésitent. Ainsi les campagnes lancées ont d’abord mis en scène et donné la parole aux touristes. Voir #Côte d’Azur Now et l’article sur la campagne #ParisWeLoveYou.
Car la question centrale est bien celle de la confiance. Les « digital natives », notamment, font bien plus confiance à une expression spontanée de leurs pairs plutôt qu’à un discours officiel,ou vécu comme tel, d’une marque ou d’une institution.
Plus encore que les campagnes, les partages « spontanés » des visiteurs sur leurs propres réseaux sociaux sont de formidable outil de promotion pour un site ou une destination. C’est pourquoi dans les deux dispositifs on trouve des « idées » pour favoriser cette diffusion. La mise en place d’une sculpture hastag géant «#Parisweloveyou » devant le Louvre est devenu en quelques semaines le lieu incontournable de la photo de son séjour à Paris … où comment orienter la spontanéité…
On a même vu cette été une marque de sac de voyage prêter gratuitement des sacs à des voyageurs en échange de l’engagement de prendre des photos de leur voyage avec le sac… Le produit n’est plus dans une publicité papier glacé mais dans les vraies photos de la vraie vie des vrais gens sur leurs réseaux sociaux ! Voir #gonewithfreitag. Une belle idée, pas chère, qui pourrait facilement s’adapter à des destinations.
C’est bien la même logique qui pousse de nombreuses destinations, avec plus ou moins de succès, à investir Facebook, Instagram et maintenant Snpachat. Construire une communauté (voir Fans de Bretagne par exemple) et installer sa destination dans les communautés de visiteurs.
Jouer la carte de l’habitant
L’autre voie pour susciter confiance et complicité avec le voyageur qui cherche une destination, à construire son séjour, qui cherche des bons plans, des activités à faire sur place, c’est l’avis éclairant de l’expert au quotidien, l’habitant. Le contenu créé par « le local ».
Ainsi Airbnb propose des guides rédigés par les « hôtes ».
Incarnés (« le guide de Tana, 31 ans ») ces guides apparaissent comme véritables conseils pragmatiques et dénués de sous d’intérêt commercial.
La PICARDIE va encore plus loin en associant habitant et produit. Pour faire vivre son « esprit Picardie » et mieux vendre les séjours week-end, la Picardie donne la parole à des habitants qui « s’engagent ». Là encore l’habitant est incarné (photo, bio, domaine d’expertise) et ses recommandations sont joliment mises en scène. Le plus fort étant la possibilité de contacter l’habitant (moyennant la création d’un compte). Et même si ces sont des professionnels (conseiller tourisme, guide, etc.) ils sont d’abord présentés comme des habitants. (voir Julien ou encore Stéphanie )
La campagne de la BRETAGNE construite autour de vidéos d’habitants qui déclarent fièrement « Viens en Bretagne » a fait le « buzz ».
On voit donc quelques destinations essayer de sortir de sortir du « testimonial » bien léché produit par une agence de communication pour essayer de créer un réel échange entre habitants et visiteurs.
Permettre, favoriser voire construire une véritable relation entre le visiteur et l’habitant est souvent un enjeu important pour une destination : d’un côté travailler à l’acceptation du touriste, à la qualité de l’accueil de l’autre faire émerger une offre plus authentique porteuse de valeurs et correspondant aux attentes des clients.
C’est sur cette tendance que la start-up franco-américaine mydistriKt a été créée. Avec l’ambition de devenir « le social média du voyage ». mydistriKt permet à tout-à-chacun de devenir « reporter de son territoire » et d’être en relation avec des voyageurs du monde entier. La valeur de mydistriKt, outre une plateforme efficiente, réside dans sa capacité d’animation et de coaching des habitants pour les accompagner dans la production d’un contenu authentique de qualité. Plusieurs destinations ont déjà engagé des partenariats avec la start-up trouvant ainsi une alternative aux blogueurs rémunérés, aux témoignages (« testimonials ») trop élaborés de la communication ou aux contenus trop amateurs des bonnes volontés locales. Voir l’article de François Perroy, « mydistrikt donne la parole aux locaux ».
Le triomphe de l’Economie Collaborative vient de là
Si le pouvoir est au client, c’est aussi parce que la prescription vient désormais avant tout des clients, et que les outils digitaux et communautaires ont multiplié la portée et la puissance de ces avis.
Faire des habitants et des visiteurs des prescripteurs du produit est devenu une priorité des marques et des destinations.
Le succès de « l’économie collaborative » (de Uber à Blablacar) réside bien dans cette réciprocité : les avis et notations sont réciproques, le client note le prestataire et bien souvent le prestataire évalue et qualifie le client (Airbnb, Blabacar, HomeExchange).
Mais plus encore, ma conviction est que ce succès est profondément lié à la notion de « pair producteur». Le pair n’est plus simplement celui qui vous conseille telle destination, tel hôtel, tel musée, tel bon plan pour ne pas faire la queue ou payer moins cher. Il est le producteur même du produit, de la prestation que l’on va consommer. Le client a donc accès à une prestation produite par quelqu’un « de la vraie vie » qui lui ressemble et qui connait ses attentes.
Restaurer la confiance dans leurs marques, dans leurs produits devient donc un impératif des entreprises et des destinations qui passe de plus en plus par la création de « communautés », par non seulement la parole donnée aux clients mais par l’intégration de leurs usages et avis dans les processus de construction des offres.
Intégrer le client dans le process de construction du produit
C’est pourquoi les « professionnels » réagissent essayant d’associer leurs clients au cycle d’élaboration du produit. Le client est de plus en plus considéré comme « co-constructeur » du produit. Par exemple, Voyages-sncf a lancé #open vsc, communauté ouverte d’utilisateur du site qui est associée aux nouvelles évolutions (home page, fonctionnalités, applications, etc. De même le distributeur digital de la SNCF, qui souhaite devenir une « happy travelers factory » a lancé un Chat communautaire où les clients se répondent et échangent entre eux autour de leur expérience.
Et si client fabriquait la destination…
Si les clients deviennent des « co-producteurs » dont on reconnait l’expertise pour vivre « l’expérience », il faudra à n’en pas douter considérer autrement ses propres collaborateurs et prestataires… Sommes-nous au début d’une gigantesque évolution ? qui transformerait profondément la relation client, les modes de consommation jusqu’aux modes de managements ?
La notion de destination parce qu’elle est une chaîne de produits (transport, hébergement, paysages, activités, culture) mais aussi une construction intellectuelle vécue par les visiteurs (la fameuse « expérience ») a tout à gagner à reconnaitre ce client expert-prescripteur-partageur comme mot protagoniste central de la production de la destination.