Dans ma dernière contribution, le mois dernier, je vous faisais part d’une réflexion qui, à en juger par quelques retours reçus de lecteurs et lectrices du blog depuis lors, est partagée par certain(e)s d’entre vous. J’y abordais la question de la « résilience » du tourisme, en posant la question « le tourisme est-il résilient par nature ? ».
Je vous propose ce matin ce qui pourrait constituer comme une suite à cette modeste réflexion. En effet, j’ai pu approfondir depuis lors la question du tourisme et de sa résilience. J’ai en effet eu le plaisir d’animer, peut-être certains d’entre vous les ont suivis lors des deux dernières semaines, trois wébinaires co-organisés par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) par le biais de son Institut national spécialisé d’études territoriales (INSET) de Dunkerque en partenariat avec ADN tourisme. Le sujet transversal de ces échanges posait la question « comment les territoires peuvent favoriser la résilience du tourisme ? », prévue pour être le thème structurant des Rencontres territoriales 2020 du CNFPT prévues initialement au printemps à Carcassonne, reportées en octobre dans un premier temps, et organisées finalement à distance.
Outre le fait qu’inviter deux publics qui ne partagent ordinairement que peu de réflexions communes sur le terrain, fonctionnaires territoriaux des directions tourisme des collectivités et salariés des Organisations de gestion de destination (OGD), ce qui en soi caractérise une sorte de front pionnier du tourisme territorial, ces échanges ont permis d’enrichir une question importante pour les projets de développement touristique, au terme de cette année qui rompt une longue histoire de croissance des flux, nationaux et internationaux, de consommations liées aux tourisme de loisirs et d’affaires, et à leurs retombées économiques sur les territoires. Le mythe d’un ruissellement continu s’est définitivement effondré, la conviction que la rente de situation touristique de notre beau pays s’est inéluctablement effacé au rythme incertain de la succession de confinements, de prémisses de libération contenue et de renvoi à une promesse de reprise à des temps qui semblent finalement chaque jour plus lointains.
L’impact de la crise sanitaire sur le secteur du tourisme
Je ne reviens pas aujourd’hui sur le concept de « résilience », désormais bien connu. Et dont les médias se sont fait l’écho depuis le début du printemps dernier. Je veux seulement vous faire partager les quelques éléments de réflexion qui m’ont semblé les plus pertinents lors de ces trois wébinaires (il en existe tant depuis plusieurs mois qu’il semble difficile d’en dresser ici l’inventaire et une synthèse exhaustive).
Le wébinaire du CNFPT et d’ADN tourisme a commencé par une session consacrée à « l’impact de la crise sanitaire sur le secteur du tourisme ». Le choix a été fait de ne pas aborder le sujet en historien, ni en économiste ou journaliste. Juste de recueillir des témoignages de terrain et de faire partager quelques bonnes pratiques qui ont semblé pertinents et pourquoi pas susciter au-delà de questionnements quelques sources de curiosité voire d’inspiration. Dans un propos inspiré et inspirant, Jean Pinard, directeur général du Comité régional du tourisme et des loisirs d’Occitanie a expliqué l’impact de la Covid-19 « dans la redéfinition des axes stratégiques de la destination Occitanie ». L’un des premiers enseignements est sans doute que pour évoquer la résilience d’une destination touristique, quels qu’en soient le périmètre ou le poids économique, il faut d’abord insister sur le rôle central que doit jouer la collectivité. Cette dernière doit initier, proposer mais surtout, comme l’a montré Jean Pinard, la capacité de bien connaitre les données du territoire (-84% en termes de nuitées à Lourdes entre l’été 2020 et l’été 2019, +13,3% dans le Massif Central), de bien définir les enjeux (marchés actuels, marchés nouveaux, produits actuels, produits nouveaux) et identifier les vecteurs de croissance de la destination. Cette méthodologie permet de définir un plan de relance, concentré sur quelques axes stratégiques (5 pour la Région Occitanie : répondre à la crise et générer des clients dans les hébergements marchands ; relancer la consommation par les activités de loisirs ; êre présent sur les territoires stratégiques ; accompagner la mise en marché des entreprises ; préparer un avenir nouveau), les conditions de cette relance en y associant l’ensemble des acteurs représentant les filières et les institutions, et une temporalité de mise en œuvre à court terme (2 ans maximum). L’une des originalités du Plan occitan repose sur un zoom plus particulier de l’axe le plus stratégique : relancer la consommation par les activités de loisirs et les clientèles de proximité (création de la carte Occ’ygène, aides de la Région pour développer l’usage du transport ferroviaire régional, la région, etc ;). L’ensemble des mesures contribue à l’émergence d’un « nouveau tourisme », polymorphe, créateur de lien social, leviers d’une économie repensée et du développement durable. Un concept est né, l’Occitalité, qui associé à la diversité et à la responsabilité, positionne la Destination Occitanie Sud de France comme la région où « Les voyages qui font grandir ! ».
Si la collectivité initie une dynamique, il convient également de rassurer les visiteurs sur la qualité de l’offre de la destination choisie, à commencer par ses conditions sanitaires. Ce fut l’objet de l’intervention de Maëlys Cuvillier Tanguy, ingénieure Qualité / Certification, sur le thème de la « mise en place de certifications Tourisme & Territoires ». Avant la crise de la Covid-19, les démarches qualité dans le secteur du tourisme soulignaient deux démarches différentes. La première était axée BtoB avec des certifications connues (ISO 9001, ISO 14001, Engagé RSE, ISO 20121 pour l’évènementiel responsable comme pour le G7 France à Biarritz en 2019 ou les JO de Paris en 2024, etc.) et la deuxième BtoC (Ecolabel Européen « Hébergement Touristique » – la France est le 1er pays européen en nombre de certifiés notamment en Bretagne et Nouvelle Aquitaine (environ 200) NF Service « Office de Tourisme » ou « Organisateurs de Séjours Linguistiques », NF Environnement « Site de Visites », etc.). La Covid 19 a soulevé de nombreuses problématiques et provoqué des remises en question relavant notamment de la mise en place des mesures sanitaires relatives aux conditions d’accueil des visiteurs ou la protection et à la formation du personnel. C’est dans ce cadre qu’AFNOR a lancé un nouveau label « Vérification des Mesures Sanitaires » (VMS), avec comme d’ordre « RASSURER », selon un cahier des charges adaptable à tout type d’entreprise. Plusieurs entreprises touristiques l’ont déjà adopté : des sites de visites (Pic du midi et Futuroscope), des stations de montagne (Serre Chevalier, Puy Saint Vincent, OT de la Grande Plagne, Pra Loup), Touristra pour ses clubs été et quelques hôtels. Cette tendance à la labellisation est donc lourde, portée par des fédérations professionnelles, des groupes, des destinations pour mutualiser notamment les efforts et les formations et aider promotion à grande échelle. Elle souligne un intérêt croissant et indispensable pour le Tourisme Durable et ses principales caractéristiques (protection de l’environnement, consommation locale, responsabilité sociétale des entreprises). Les Labels RSE et Ecolabel Européen en sont les principaux outils.
La prise en compte du changement climatique
La deuxième thématique abordée lors des wébiniares fut une suite logique aux thèmes abordés précédemment. Dans un propos introductif sur les questions qu’il défend avec hardiesse et talent depuis de nombreuses années, Guillaume Cromer, éminent contributeur à ce blog mais également président de ATD tourisme, a insisté sur le contexte d’urgence climatique que nous connaissons. « Nous n’avons de plan B » ! Le propos était destiné à sensibiliser s’ils ne l’étaient pas déjà les participant(e)s à deux nécessités : aller vers une société bas carbone et penser une nouvelle architecture sociétale. Ces urgences posent utilement la question d’une nouvelle donne touristique à venir, à la fois pour les entreprises, les territoires, les destinations. La mobilité individuelle, tous modes confondus, représentent près d’un quart des émissions de CO2 par habitant et par an en France (total de 12 t). Le logement, les biens de consommation, l’alimentation et les services complètent ce triste constat. Aujourd’hui, pour limiter et à terme éviter de nouvelles catastrophes naturelles dans des espaces géographiques sensibles (littoral ou montagne notamment), comme celle qu’ont connu les trois vallées (Tinée, Vésubie, Roya) du haut pays niçois en octobre 2020, il convient de contraindre les individus à adapter leurs consommations aux réalités écosystémiques et accompagner les acteurs professionnels dans leurs transitions et transformations, à la fois en matière d’offre et de gouvernance. Des dispositifs existent déjà pour entamer les démarches mais ils demeurent souvent méconnus. On peut parler du plan climat-air-énergie territorial (PCAET), véritable projet territorial de développement durable autour de plusieurs axes d’actions intégrant le tourisme durable : la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), l’adaptation au changement climatique, la sobriété énergétique, la qualité de l’air et le développement des énergies renouvelables.
Pour compléter l’exposé, Christelle Bedes, chargée de mission « territoires durables » à l’ADEME Occitanie, vint exposer la méthodologie et les moyens à disposition pour une relance vers « un tourisme durable ». Après avoir donné quelques éléments de précision sur les changements climatiques en France déjà quantifiables aujourd’hui (retrait moyen de 18,8 m équivalent eau entre 2001 et 2013 pour 5 glaciers français ; augmentation des températures de 2°C en 2018 par rapport à la normale des températures moyennes (été le plus chaud) ; élévation de 4,3 cm du niveau de la mer dans le monde entre 2008 et 2018 ; 62% de la population française exposés de manière forte ou très fortes aux risques climatiques), montré les défis climatiques en région Occitanie, Christelle a expliqué les quatre leviers pour développer un tourisme « adapté au climat » : diagnostiquer, atténuer, développer, adapter. En les illustrant par quelques exemples précis : plan climat du Grand Narbonne, développement de la géothermie couplée au solaire pour chauffer et rafraichir l’établissement (Hôtel Ibis à Blagnac dans le Gard) ; développement d’une offre de service
« Vélo de Pays, Destination Gers » dans les 5 communautés de communes entre Gascogne et Lomagne (Gers) ; diversification des activités touristiques en moyenne montagne dans la Communauté de Communes Causses Aigoual Cévennes « Terres Solidaires » (Gard). L’ADEME, très engagée dans les actions de terrain, a travaillé sur plusieurs thématiques centrales (notamment les mobilités, avec la publication récente d’une étude « Evaluation des externalités générées par les mobilités touristiques en France à l’horizon 2030 ») et est l’interlocutrice privilégiée des acteurs professionnels dans le cadre des actions « tourisme durable » prévues dans le Plan de relance, pour un montant de 50 millions €.
Des leviers au service d’un tourisme durable
La résilience du tourisme passe, on le voit, par l’appréhension des questions environnementales et surtout par la mise en œuvre de plans volontaristes et ambitieux. Ce fut l’objet du troisième wébinaire. Et ce fut l’objet des présentations et des échanges avec Sophie Pirkin, chargée de mission tourisme durable au CRTL Occitanie et Benjamin Servet, directeur design et innovation de l’Open Tourisme Lab (OTL), plateforme d’innovation touristique et accélérateur de start-ups à Nîmes.
Sophie Pirkin a exposé la méthodologie et les objectifs pour engager une stratégie afin de favoriser un tourisme plus responsable à l’échelle des territoires. La crise COVID19 remet en question les modes et les modèles de développement. Besoin de se protéger, se mettre au vert, fragilité des équilibres et des modèles, c’est aussi une opportunité de réinventer le tourisme mais pas comme avant. La croissance à venir du tourisme ne peut être qu’une croissance durable productrice d’impacts positifs pour l’homme, l’environnement et les territoires. Son développement touristique doit rééquilibrer les territoires pour lutter contre l’hyperconcentration et le marketing de masse. Le plan de transformation ou « Green New Deal » se veut être un notre nouveau modèle économique et social et le tourisme y concourt avec un des 10 plans thématiques « plan tourisme durable et responsable ». Il prend en compte le travail engagé par la Région Occitanie au travers du SRADDET ou « Occitanie 2040 ». Le CRTL engage l’accompagnement vers la mutation de l’offre régionale par le biais d’un programme d’actions opérationnel en matière de Tourisme durable afin de massifier l’engagement des acteurs du tourisme. Aujourd’hui il convient de poursuivre la protection de l’environnement mais aussi d’accompagner les entreprises. La métholodlogie comporte plusieurs étapes : 1) L’état des lieux ou l’analyse SWOT ; 2) La concertation des acteurs soulignant notamment des problématiques liées de mobilités et d’intermodalités dans les territoires, de mobilité douce et un Niveau d’attente élevé envers le secteur public (aides à l’investissement, coordination acteurs publics, aides comm’ et mktg, mise en réseau, centrales d’achats, accès à l’information, commercialisation, ingénierie). Les acteurs privés demandent des aides aux changements par de l’accompagnement (dispositifs financiers, formations, outils). Ainsi, un plan d’actions Tourisme durable est élaboré, selon une approche systémique, relevant 10 défis pour l’Occitanie : 1 – Accompagner la relance de l’économie du tourisme sans aggraver l’impact environnemental et social / 2 – Réduire les impacts du transport et de la mobilité liés au tourisme / 3 – Accompagner, former et outiller les acteurs dans leur transition / 4 – Décloisonner le secteur du tourisme, le rendre plus agile et diversifié, voire reconvertir une partie de l’offre / 5 – Faire évoluer la manière de consommer le tourisme (saisonnalité, typologie d’offres,…) / 6 – Développer des marchés de proximité et des activités de loisirs pour tous / 7 – Mieux distribuer les flux de visiteurs, et rééquilibrer les flux dans l’espace et le temps / 8 – Faire évoluer la gouvernance du tourisme avec l’ensemble des acteurs des territoires / 9 – Rendre les habitants acteurs du tourisme et de leur territoire / 10 – Transformer une offre en manque de capacité financière.
Benjamin Servet met en perspective, enfin, la nécessité de l’expérimentation, pour accompagner les acteurs du tourisme et créer maintenant un futur positif. L’expérimentation sert principalement à vérifier le bon fonctionnement d’une solution, à tester en situation réelle, à connaître les qualités d’optimisation d’un service, d’un produit, d’un processus dans un temps donné. C’est la rencontre de 3 mondes : le projet de la startup (agile, rapide, itératif), les OGD (contraintes à des procédures, normes, et souvent prudentes face au changement) et les usagers (connectés, exigeants qui ont le choix et une abondance de solutions). L’expérimentation est une démarche, structurée et éprouvée. Benjamin Servet cite 7 règles de l’expérimentation (1. Accepter l’inconnu et faire confiance à la démarche / 2. Profiter de ce moment pour impliquer les équipes et les sensibiliser à cette nouvelle culture de travail (agilité, interactivité et centré utilisateur) / 3. S’assurer de la maturité de la start-up, de l’équipe, du terrain, des ambitions réciproques / 4. Bien mesurer les ressources et la répartition des rôles (logistique, recrutement des usagers, autorisations légales, production de contenu…) / 5. Démarrer le cadrage et la réalisation du prototype avant la période de haute fréquentation afin de se concentrer sur l’expérimentation à ce moment-là / 6. Tirer un enseignement de l’expérimentation et mettre en oeuvre les recommandations, les opportunités (aussi minimes soient-elles) / 7. L’expérimentation peut devenir objet de communication… à partir de preuves concrètes). Et il montre par l’exemple 3 expérimentations proposées par l’OTL dans le domaine du tourisme durable.
« 4 start-up sur un territoire » un programme d’expérimentation dans le Grad (Pont du Gard, Beaucaire, Nîmes, Saint-Gilles) réalisé autour de la thématique du tourisme d’itinérance pour incitater à aller d’un lieu à un autre grâce à l’attraction d’un service, pour informer sur l’itinérance pédestre et cyclo et promouvoir le territoire à travers les réseaux sociaux.
« Circuit court et tourisme de proximité » sur l’Ile de la Réunion pour développer à travers la Plateforme d’Innovation Touristique (piloté par une équipe IRT/ FRT accompagnée par OTL) des projets en accord avec le SADTR, notamment la conception et l’expérimentation d’offres de services touristiques sur des terrains pilotes pour les dupliquer sur le territoire, la formation d’équipes à de nouveaux modes de travail, de nouvelles gouvernances de projets. Les sukjets abordés sont des Road trip culinaire (visites, cours, évènements…), des résidences de jardin (résidences avec intervention d’artistes, de designers), des solutions digitales dans la gestion des flux lors d’événements extérieurs).
« La Véloroute du futur » en Région Auvergne-Rhône-Alpes en partenariat avec la Communauté d’Agglomération de Vienne-Condrieu, la Compagnie Nationale du Rhône et les collectivités concernées réalisent un tronçon de 8 kms sur la ViaRhôna, entre Ampuis et Condrieu. Un terrain d’expérimentation pour « réaliser un tronçon innovant de véloroute et de voie verte en s’appuyant sur les nouvelles technologies en matière d’énergies, de services et de numérique », ce tronçon ayant pour objectif d’être un support d’accueil de projets créatifs et d’innovation. C’est un showroom qui permettra d’avoir un retour d’expériences, inspirer d’autres territoires, attirer des acteurs (Start-up, écoles, entreprises, initiatives locales…).
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Les territoires peuvent et doivent favoriser la résilience du tourisme. Un modèle pourrait être esquissé, associant à la fois une collectivité leader portant la dynamique, des territoires considérés tous sur le même pied d’égalité, des entreprises demandeuses d’être accompagnées dans leurs transformations parfois radicales, des citoyens avides de faire de leurs espaces quotidiens de véritables pépites alliant à la fois qualité environnementale, économie énergétique et offre touristique et de loisir de grande qualité. Les changements sont aujourd’hui nécessaires et indispensables. Nous les connaissons toutes et tous. Et comme le dit si bien Winston Churchill en son temps, « mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge ».