Conseils de lecture pour survivre au surtourisme… Et à ceux qui en parlent.

Publié le 21 août 2024
20 min

Qui n’en veut du surtourisme, qui n’en veut ? Vente à la criée tout au long de l’été d’un « marronnier » médiatique pour une presse subitement devenue consensuelle : presse écrite, radios nationales, chaînes de télévision d’information en continu. A défaut de faire vendre, ça fait au moins parler. Sans oublier sur les réseaux sociaux le déferlement de dénonciations plus bienveillantes les unes que les autres, accompagnées de leurs inséparables commentaires tout aussi mesurés… Bref, il y avait plus de chance cet été d’échapper aux coups de soleil qu’à ce sujet phare pour journalistes en mal d’inspiration. Remercions au passage les JO de nous avoir offert trois semaines de répit.

De cette logorrhée dialectique où chacun a des idées sur tout mais surtout des idées (comme le disait Coluche), émergent parfois des voix éclairées, celle de Rémy Knafou notamment. Mais dans la majorité des cas, quel manque de profondeur dans la réflexion. Et même pire, quelle méconnaissance et pour tout dire quelle inculture de ce qui fonde le tourisme et les loisirs ! Cela confine parfois au mépris de classe, nous y reviendrons prochainement.

Il est alors plus que temps pour chacun d’entre nous de retrouver les fondamentaux (« Muscle ton jeu, Robert ») de notre filière. Remettre le sens au cœur du débat, s’appliquer à séparer le bon grain de l’ivraie, s’offrir le luxe d‘ébaucher sa propre réflexion nourrie non pas uniquement d’une communication de l’instantané mais d’une expérience personnelle, voire même littéraire.

Lire, c’est élargir son horizon et se confronter au champ du réel. C’est prendre la mesure de toute chose, à savoir confirmer ses intuitions ou au contraire dynamiter des idées reçues. En cette rentrée des classes, prenez du recul et de la hauteur et chargez vos cartables de livres qui seront tout autant de balises en ces temps d’extrème confusion.

Je vous propose une sélection d’une vingtaine d’ouvrages, romans, récits de voyage, bandes dessinées, livres de photographie, recueils de poésie… qui ont en commun de nous rappeler que le voyage, et par là même la relation à l’autre, est consubstantiel à toute existence humaine.

« Tout bien considéré, il n’y a que deux sortes d’hommes dans ce monde, ceux qui sortent et ceux qui restent chez eux. »

(Rudyard Kipling)

Crédit Vincent Garnier

Le Naufrage De Venise (Stock) Par Isabelle Autissier

Première femme à avoir accompli un tour du monde à la voile en solitaire, Isabelle Autissier est également présidente d’honneur de la WWF en France. Autant dire qu’elle est dotée d’une certaine conscience écologique.  Elle s’attaque ici à l’un des plus illustres personnages de la littérature mondiale, Venise. Où il est question de sa disparition à travers le regard de trois membres d’une même famille, les Malegatti. Trois comportements distincts face à la menace : la cupidité, le conservatisme et la révolte. Mais un destin commun, tragique. Le roman s’ouvre d’ailleurs sur l’engloutissement de la Sérénissime. En cause ? Le tourisme de masse et l’incurie politique. « La folie consumériste s’en était emparée depuis quelques décennies, encouragée par les vols low cost et les paquebots gigantesques. »

LUNGOMARE (Actes Sud) par Sébastien BERLENDIS

« Après l’ivresse, les mouvements de frénésie, la musique, les danses perdent de leur intensité, la fin de la nuit se profile, je m’efforce de mettre la mélancolie de côté, je préfère l’étreinte d’Annabella… » D’abord il y a la Méditerranée, « le vert des aiguilles de pin, le bleu du ciel et de la mer, les scintillements d’argent, voilà les couleurs de mes étés, trois teintes qui suffisent à la perfection du tableau. » Et puis naturellement Annabella dont on attend qu’elle passe enfin ; celle qu’on retient, qu’on étreint. Du moins le temps d’un été, redoutant qu’advienne « la desinvoltura de celle qui part. ». La Ligurie constitue le décor de ce court récit : Roccabianca, petite station balnéaire à quarante kilomètres de San Remo, le quartier de la Maddalena à Gênes, Portovenere, « un monde de volets fermés. » Mais aussi les Cinque Terre « et ses villages confisqués par le tourisme. » L’été est l’occasion de revisiter les lieux de son passé. L’ombre des parents plane, particulièrement celle de sa mère : « Je me demande si ces images attirent encore ses rêveries ou si elles creusent, attisent sa mélancolie. » D’images il est ici beaucoup question. On songe aux photographies de Claude Nori et son « Un été italien » ; à celles de Lucien Clergue également. L’été s’achève, fin du bal. Rien ne dissipera « la tristesse d’Annabella lorsque ses yeux balaient les tables vides. »

L’USAGE DU MONDE (La Découverte) par Nicolas BOUVIER

« Être heureux me prenait tout mon temps. » S’il ne devait rester qu’un livre sur le voyage et l’aventure humaine, ce serait celui-là ! Nicolas Bouvier se définissait à seize ans comme « un pauvre type qui cherche, qui cherche et qui trouvera un art qu’il aimerait que ce fût celui de la vie. » A l’été 1953, à l’âge de vingt-quatre ans, ce fils de bonne famille calviniste quitte Genève à bord de sa Fiat Topolino, direction la Turquie, l’Iran, Kaboul puis la frontière avec l’Inde. L’usage du monde est un chef d’œuvre empreint d’une infinie poésie, devenu un classique du récit de voyage tout comme une véritable réflexion éthique et morale sur la manière d’être au monde. Préférer l’édition comprenant les dessins de Thierry Vernet, compagnon de route de Bouvier.

DU MONDE ENTIER AU CŒUR DU MONDE (Gallimard / Poésie) par Blaise CENDRARS

« Quand tu aimes, il faut partir, quitte ta femme quitte ton enfant, quitte ton ami quitte ton amie, quitte ton amante quitte ton amant, quand tu aimes il faut partir. » Ce vers est tiré du poème intitulé « Tu es plus belle que le ciel et la mer. » Le voyage est avant tout poésie du mouvement. Baratineur céleste, Cendrars est tout autant un faussaire de génie à l’exaltation contagieuse. L’écrivain, au bras droit perdu sur le front en 1915, part avant tout pour guérir son désespoir. L’or (Folio), biographie romancée du général Suter parti chercher fortune en Californie paraît en 1925 ; c’est un énorme succès.  S’ensuivront nombre de voyages et reportages. Quand on lui demandera s’il a vraiment pris le Transsibérien, l’écrivain voyageur aura cette réplique, magistrale : « Qu’est-ce que cela peut bien te foutre, puisque je vous l’ai fait prendre à tous. » 

VOYAGE D’UNE PARISIENNE A LHASSA (POCKET) par Alexandra DAVID-NEEL

Si l’on s’avisait d’organiser le concours du plus grand voyageur de tous les temps, tous sexes confondus, nul doute qu’elle figurerait sur le podium, peut-être même à la 1ère place (à égalité avec Marco Polo ?). Alexandra David-Neel aurait pu choisir de n’être que la femme d’un homme aisé (« Nous nous sommes épousés plus par méchanceté que par tendresse »), son esprit rebelle et sa farouche indépendance en décideront autrement. Son trait de gloire le plus marquant reste d’avoir été, en 1924, la première femme occidentale à séjourner à Lhassa au Tibet. Démasquée, elle aurait risqué sa vie. Déguisée en mendiante, elle y restera deux mois. Paru en 1927, Voyage d’une parisienne à Lhassa – A pied et en mendiant, de la Chine à l’Inde à travers le Thibet lui vaudra de connaître une gloire internationale.Empreinte de spiritualité, elle meurt en 1969, à l’âge de 101 ans, dans sa maison de Digne surnommée Samten Dzong, « la Forteresse de la méditation. » Au crépuscule de son existence, pouvoir se dire comme elle : « Il est bon d’avoir vécu sa vie. C’est la meilleure chose, la seule raisonnable à faire dans la vie. »

LE DROIT DU SOL (Futuropolis) par Etienne DAVODEAU

« Le droit du sol » est l’histoire d’un voyage initiatique que le bédéiste qualifie de « journal d’un vertige ». Une ligne tracée entre deux bornes : de la grotte de Pech Merle (Lot) jusqu’au village de Bure (Meuse) ; d’un chef d’œuvre de l’art pariétal jusqu’au théâtre d’un projet de stockage souterrain de déchets nucléaires. Une longue marche de 800 kms en 261 pages. Avec ampoules et ambition, celle de témoigner en faveur d’un combat invisible. Et au milieu coulent des volcans où « certains de mes lieux d’intimités (y) nichent ». Lac Chauvet, Super Besse, col de la Croix-Morand et Puy Pariou au programme. « On dirait bien que ces parages sont utiles à mes livres ». Tant mieux. Au plaisir de vous y accueillir de nouveau.

LOIRE (Futuropolis) par Etienne DAVODEAU

Attention, délit de favoritisme ! Je ne me lasse jamais de saluer le talent de ce dessinateur et scénariste de bandes dessinées. Loire est une fois encore l’histoire d’un voyage initiatique, celui qu’effectue Louis répondant à l’invitation d’Agathe. Même si elle ne lui a plus jamais donné de nouvelles jusqu’alors, il n’est pas parvenu à l’oublier. Des quelques années qu’il a passées avec elle au bord de la Loire, Louis garde un souvenir ébloui. « Ce n’est pas la destination qui compte, c’est le voyage » écrivait Jack London. Mais cette fois-ci, celui considéré comme le dernier fleuve sauvage d’Europe est la destination ; avec ses remous, ses tourbillons… et son courant qui peut à tout moment vous emporter !

LE MARIN À L’ANCRE (Points) par Bernard GIRAUDEAU

« Il ne faut jamais finir un voyage, seulement l’interrompre. » Quand Bernard Giraudeau voyage pour Roland, myopathe cloué dans sa chaise roulante, et lui écrit pendant dix ans des quatre coins du globe jusqu’à la mort de son ami en 1997 : « Ce foutu char… Tu as décidé de t’en séparer définitivement et de voyager libre comme les papillons du silence. » Récit épistolaire empreint d’humanité, Il y est avant tout question de fraternité, de plaisirs partagés, d’injustices, de parfums et de femmes…  On peut aussi prêter l’oreille à cette fraternelle digression grâce au livre audio où se mêlent la voix de l’auteur et la musique d’Osvaldo Torres (éditions naïve).

SAISONS DU VOYAGE (Folio) par Cédric GRAS

« Qu’est-ce alors que cette grande affaire qu’on appelle le voyage ? » Question opportune et d’actualité. Son « Nous sommes toujours arrivés après les réjouissances, dans les débris et les gueules de bois, sur les décombres des fêtes » résonne étrangement avec le « Est-ce la destinée, ou est-ce ma faute : j’arrive toujours quand on éteint » de Paul Morand (Venises). Cédric Gras maîtrise son sujet en ses qualités d’insatiable arpenteur du globe et de quêteur de sens. Il nous invite ici à éviter les incontournables, les tropismes communs. Le voyage est avant tout un rendez-vous avec soi-même, ne l’oublions pas. L’espace se réduit, certes, mais le voyageur reste « un pèlerin sur la piste de ses dieux. » A jamais un être libre !

PLATEFORMES (J’ai Lu) par Michel HOUELLEBECQ

Exotisme, sexe et fanatisme. Assurément le livre le moins politiquement correct de cette sélection. Le tourisme présenté sous son plus mauvais jour, portrait au vitriol d’une société s’auto-consommant pour laquelle le tourisme sexuel est un produit comme un autre. Lecture nécessaire pour savoir d’où l’on part, pour n’y revenir jamais. Avec en prime quelques constations d’usage et toujours d’actualité : « Prendre l’avion aujourd’hui, quelle que soit la compagnie, quelle que soit la destination, équivaut à être traité comme une merde pendant toute la durée du vol. » Pour les aficionados, prolonger en Poésies (J’ai Lu) :

« A quoi bon s’agiter ? J’aurai vécu quand même

Et j’aurai observé les nuages et les gens

J’ai peu participé, j’ai tout connu quand même

Surtout l’après-midi, il y a eu des moments… »

ROMAN FLEUVE par Philibert HUMM (Folio)

Sorte de Lucien de Rubempré des temps digitaux préférant perdre un employeur que l’occasion d’un bon mot, Philibert Humm a l’humeur vagabonde. Et de solides filiations qu’il s’est d’ailleurs arbitrairement attribuées. Particulièrement celle de René Fallet, dont il préface le Journal de 5 à 7 (Editions des Equateurs),qui comme lui « chérit l’indépendance d’esprit, vante l’impertinence et le menu plaisir ». Au sortir du premier confinement, Philibert Humm s’est distillé dans un drôle de tour de monde hexagonal, de Montargis, la Venise du Gâtinais, à Queille, l’Amazonie Auvergnate. Ah, cette fichue manie d’office de tourisme d’apposer de l’exotisme sur leurs affiches publicitaires ! Ici et là, il a garé son combi Volkswagen et pris posture dans chaque coin stratégique : « … un bon moyen d’en apprendre sur une ville est de se rendre chez le coiffeur ». Les tribulations d’un français en France (Editions du Rocher) ont été consacrées par le prix littéraire Alexandre-Vialatte 2021, juste récompense pour un chroniqueur de l’ordinaire au ton ironique, un brin désabusé mais le regard toujours vif. « Après le premier confinement, les trains recommencèrent à rouler », tel en est l’incipit. Subtil clin d’œil à Antoine Blondin qui lui démarre son (L’)Humeur Vagabonde par « un jour nous prendrons des trains qui partent. » Dernier méfait en date pour Philibert Humm, un Roman fleuve, récit d’une amitié foutraque à l’image de la traversée entreprise, à savoir descendre la Seine de Paris jusqu’à la mer. Contrairement à leur canoé, cette histoire ne prend pas l’eau. « Où que j’aille (traversée de Gobi, parcours de santé au bois de Cucufa, etc.), je me parfume à l’eau de Cologne et porte des chaussettes propres. Ces égards me permettent d’entretenir les meilleurs rapports avec les populations indigènes. »

ELOGE DE LA PLAGE (Rivages) par Grégory LE FLOCH

Laisser la plage aux seuls romantiques ? Grégory Le Floch a d’autres ambitions. Cet espace, paradis estival et symbole des vacances par excellence, est également celui de l’imaginaire. Eloge érudit proposé par la bien nommée maison d’édition Rivages, ce journal intime déguisé tient lieu d’illustre carnet d’adresses.  On y croise ainsi Paul Morand qui se prétend précurseur balnéaire en littérature ; Eugène Boudin qui affirme qu’il sera toujours « le peintre des plages » ; Eric Rohmer menant Pauline à la plage, film où « on ne se baigne pas, on ne s’allonge pas sur sa serviette mais on se tient debout… » Etrange paradoxe car si on faisait salon sur les plages au 19ème siècle, spectacle vertical, on s’y allonge aujourd’hui, comme en chambre pour une contemplation horizontale. L’auteur catalogue ces paysages mouvants, désormais menacés par la crise climatique : la plage-mirage, les plages sentimentales, la plage aux fous… Et cette question : pourquoi choisir les plages de sable ? Grégory Le Floch leur préfère les éboulis et les pieds de falaise. Mais toutes ont pour point commun d’offrir une sorte d’horizon infini, la mer. Enfin, un excipit poétique : « Quand on quitte la plage, on ne se souvient de rien. Les souvenirs sont brouillés, les pensées confuses. Mais on sourit, car la vie tout à coup est devenue plus éclatante. »

DANUBE par Claudio MAGRIS (Folio)

D’un point de vue culturel, Claudio Magris est l’observateur attentif de la dérive des continents. Spécialiste de la Mitteleuropa (ce mythe d’une Europe centrale aux contours mouvants), ce brillant universitaire, journaliste et écrivain italien a partagé dès 1986 avec Danube, érudit essai fleuve, son goût des aspérités géographiques, son appétence pour les destins contrariés. « Quelle que soit l’opinion ou la foi professée par les hommes, ce qui les distingue avant tout c’est la présence ou l’absence, dans leur pensée et leur personne, de cet au-delà, et le sentiment d’habiter un monde achevé et épuisé en lui-même, ou bien incomplet et ouvert sur l’ailleurs. Le voyage est peut-être toujours un acheminement vers ces lointains resplendissants… » Changement de décor mais non d’ambition avec Croix du Sud (Bibliothèque Rivages), court récit de « trois vies improbables et vraies » entre Patagonie et Araucanie. De ces deux territoires, Orélie-Antoine de Tounens se proclama roi en 1860. Comme avant lui Jean Raspail, Magris déroule entre autres sujets d’étude le portrait halluciné de ce « roi de farce, tragique et indompté ». Même après sa mort, « il sera un objet d’étude pour les psychiatres plus que pour les historiens. » Ainsi en va-t-il souvent du sort de l’humanité. « Mais il n’est pas dit que la terrible injustice du monde aura le dernier mot. »

LA VOIE CRUELLE (Petite Biblio Payot) par Ella MAILLART

Nicolas Bouvier prête ces mots à Ella Maillart : « Partout où des hommes vivent, un voyageur peut vivre aussi ». Affranchie dès ses jeunes années, son premier voyage initiatique la mènera sur les traces d’Ulysse. Le destin de celle confessant n’avoir « jamais raisonnablement songé à mener une vie rangée. » sera notamment facilité par l’aide financière que lui apportera la veuve de Jack London. Il y a pire comme héritage. Celle que Paul Valéry qualifiait de « femme du globe » partagera aux côtés de Peter Fleming une extraordinaire épopée, sorte d’Odyssée moderne, à travers l’Asie centrale. Mais c’est une autre amitié que l’on retiendra, celle la liant à Annemarie Schwarzenbach rebaptisée Christina dans le récit qu’elle fera de leur périple vers l’Afghanistan à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La voie cruelle, c’est avant tout un combat intérieur, celui que mène l’écrivaine pour tenter d’extraire son amie de ses vieux démons ; celle-ci est en effet morphinomane et suicidaire. Disparue en 1997, Ella Maillart manifestera durant ses dernières années de profondes inquiétudes face aux nouveaux défis climatiques que sa longévité lui aura permis d’éprouver.

JOURNEES ENSOLEILLEES par Gérard MANSET (Favre)

On doit à celui qui a largement contribué à la réalisation du dernier album de Bashung l’un des répertoires les plus remarquables de la chanson française. Refusant de se produire sur scène, « Il voyage en solitaire » et en a tiré un livre de photographie aussi atypique que son œuvre musicale. Ces parfums de nostalgie en Kodachrome revenus d’Asie, d’Afrique et d’Amérique centrale s’autorisent de multiples sources d’inspiration : « Je suis fasciné par les chambres d’hôtels, les sols, les aéroports, les filles, la nuit, les toilés cirées… »

ECRIVAINS VOYAGEURS, CES VAGABONDS QUI DISENT LE MONDE (Arthaud) par Laurent MARECHAUX

On ne compte plus le nombre d’ouvrages retraçant le parcours de nos plus illustres écrivains voyageurs. Celui proposé par Laurent Maréchaux (également disponible en format poche) est doté d’une riche iconographie accompagnée de textes généreux rendant un hommage cultivé à tous ces êtres épris de liberté. « Écrire est mon boulot… Alors il faut que je bouge ! » proclamait Jack Kerouac. Il est ici accompagné par Nicolas Bouvier, Joseph Kessel, Robert Louis Stevenson et Bruce Chatwin notamment. Un seul regret ; sur les dix-neuf écrivains voyageurs retenus ne figure qu’une seule femme : Alexandra David-Néel. Si nous ne devions retenir qu’une devise de la lecture de cette sorte de dictionnaire amoureux, sans doute reviendrait-elle à Wilfred Thesiger : « Ce n’est pas le but qui importe, mais le chemin que l’on accomplit pour l’atteindre, et, plus le parcours est difficile, plus le voyage a de prix. »

AUTOUR DU MONDE (Les Editions de Minuit) par Laurent MAUVIGNIER

Patchwork faussement hétéroclite constitué d’une quinzaine d’histoires apparemment éloignées les unes des autres : Rencontrer une fille tatouée au Japon, sauver la vie d’un homme sur un paquebot en mer du Nord, nager avec les dauphins aux Bahamas, faire l’amour à Moscou, chasser les lions en Tanzanie, s’offrir une escapade amoureuse à Rome, croiser des pirates dans le golfe d’Aden… Toutes ces aventures humaines sont pourtant articulées autour d’un même évènement dramatique : le tsunami au Japon le 11 mars 2011. Laurent Mauvignier nous offre une peinture pointilliste dont chaque détail est la composante d’un monde en déroute. Ravages de la globalisation où le leurre de la communication universelle masque le spectre de l’infinie solitude. « Quand on part si loin de chez soi, ce qu’on trouve parfois derrière le masque du dépaysement, c’est l’arrière – pays mental de nos terreurs. »

UN BARBARE EN ASIE (Gallimard / L’imaginaire) par Henri MICHAUX

« Un passant aux yeux naïfs peut parfois mettre le doigt sur le centre. » Au tout début des années 30, le poète accomplit deux longs voyages en Asie, Inde, Ceylan, Chine, Japon et dans l’actuelle Indonésie. C’est l’Occident qui surgit, sûre d’elle-même. Michaux nous livre un hymne à l’altérité, un encouragement au renversement des valeurs. Le barbare, ce n’est pas l’autre ; c’est soi-même. « Ici, barbare on fut, barbare on doit rester. »

VENISES (Gallimard / L’imaginaire) par Paul MORAND

« Toute existence est une lettre postée anonymement » est l’un des incipit les plus marquants de la littérature française. Paul Morand est sans conteste l’écrivain le plus sulfureux de cette sélection. Venises estle récit de l’absolue fidélité, celle d’un écrivain controversé à la Sérénissime. Soixante années d’une passion sans faille, magnifiée par la patine d’un temps révolu. « Est-ce la destinée, ou est-ce ma faute : j’arrive toujours quand on éteint ; dès le début c’est terminé. » A l’usage des seuls happy few, se rappeler Blondin et son Monsieur Jadis (Folio) : « J’ai brusquement été sensible à cette évidence que de nombreux cars de police étaient désormais gris, comme nos cheveux. Il me revient que nous avons un peu vieilli ensemble. » La géographie des lieux n’est jamais éloignée de celle des sentiments.

L’IMPOSSIBLE RETOUR (Albin Michel) par Amélie NOTHOMB

« Tout départ est une aberration. Je pense être placée pour le savoir, j’ai passé ma vie à partir. » Avouant son allergie aux départs, Amélie Nothomb croyait avoir trouvé « le lieu absolu dont ensuite je ne bougerais plus » au Japon. « Ce fut une catastrophe. » Elle habite Tokyo de l’âge de 21 ans à celui de 23 ans et y vit des « des évènements aussi fondateurs qu’une première relation amoureuse importante et une première expérience professionnelle. » Deux livres prouveront combien ces années de jeunesse l’auront marquée. Début 2021, l’autrice se laisse convaincre par Pep Beni, son amie tout aussi exigeante que fantasque, de l’accompagner au pays du Soleil-levant. S’ensuivront toute une série d’anecdotes cocasses que Nothomb retrace avec sa verve habituelle. Mais ne nous y trompons pas, l’essentiel est ailleurs, dans cet impossible retour auquel la romancière a pourtant feint de croire. Mélancolie du lieu mais aussi du père récemment disparu : « … son visage montrait des précipices comme si cette beauté le ravageait. Il paraît que j’ai une expression comparable quand j’admire. » Le Japon, « Le seul endroit que j’aurais élu, je l’ai quitté. Je viens encore de l’abandonner. Quid de cette aberration ? Je n’y comprends rien, alors je l’écris. »

SOUVENIRS DES MONTAGNES AU LOIN (Gallimard) par Orhan PAMUK

Prix Nobel de littérature en 2006, Orhan Pamuk se livre à un exercice singulier, celui de nous offrir des carnets de voyages dessinés inédits. Il s’y livre sans réserve, évoquant sa vocation inaboutie de peintre, son cheminement d’écrivain, ses pensées quotidiennes, l’éclat des paysages traversés, la singularité de ses rencontres, parfois même une playlist, un choix littéraire. « L’idée qu’il y a quelque part, très loin, une autre vie, un autre monde, dont l’existence nous est suggérée par les paysages vus en rêve, lointains et sauvages, cette idée aura dicté ma vie et empli mes journées. »

ARTHUR RIMBAUD PHOTOGRAPHE par Hugues Fontaine (Textuel)

C’est à 21 ans que Rimbaud choisit l’Orient où il deviendra négociant, trafiquant d’armes… et photographe. Il se fait acheminer à Harar livres spécialisés, appareil photo et tout le matériel nécessaire au développement. L’engouement sera de courte durée pour l’homme aux semelles de vent. De cette expérience, il ne reste que quelques rares clichés dont trois autoportraits blanchis où il apparaît tel un spectre. « Je suis réellement d’outre-tombe » (« Les Illuminations »).

UN ETE AVEC RIMBAUD (Les Equateurs) par Sylvain Tesson

« Mais, à présent, je suis condamné à errer ». 9ème volume de la collection « Un été avec », le second pour Tesson qui y avait, en 2018, librement partagé ses amours homériques. Question de principe, l’auteur y cultive une fois encore ses fidélités et y ensemence ses particularités. L’occasion est naturellement trop belle pour cet usager d’un monde perdu de nous éblouir à force d’Illuminations, histoire ne de pas revivre Une saison en enfer. Car, Tesson le précise : « « Ne faisons pas une affaire de ces fumisteries. Arthur a le dernier mot ». Somewhere over the Rimbaud.

S’EN ALLER (Gallimard) par François SUREAU

« Toute destination, une fois atteinte, fait naître à nouveau l’envie de partir… » S’en aller.  Les exilés de l’âme, les faux-fuyants de l’existentiel formeraient-ils une caste particulière ? Être habité par le désir de partir constituerait-t-il une faute, tout au moins de goût ? C’est en tout cas cette diaspora d’aventuriers que cherche à rassembler François Sureau dans cet ouvrage, une fois encore très personnel. S’attachant une fratrie de circonstance, l’auteur convoque au tribunal de la mémoire visages connus et d’autres, nombreux, perdus dans les limbes de l’oubli pour mieux les faire témoigner à sa décharge. Compagnons de route intemporels comme autant de balises. « Il existe un sillage des départs, c’est celui dans lequel je m’ébats. » L’ancien avocat, aujourd’hui membre de l’Académie française, s’adonne à un brillant exercice de contemplation. Ne craignant pas de bousculer les images d’Epinal, à l’instar des pages consacrées à Joseph Kessel. Alors vers quel horizon se diriger, dans quel éden espérer se retrouver ? « Il n’y a pas d’autre jardin que celui de l’origine, qui est aussi celui de la fin. »

L’IDIOT DU VOYAGE (Petite Bibliothèque Payot) par Jean-Didier URBAIN

Quitte à en prendre pour son grade, autant que ce soit fait avec humour, ce qui n’exclut pas le sérieux. Car l’idiot du voyage, c’est vous, c’est moi, c’est le touriste ! Un essai érudit sur un drôle de héros des temps moderne qui se rêve voyageur mais se révèle « nomade aux pieds plats ». Face à la foultitude de penseurs autoproclamés, Jean-Didier Urbain est une valeur sûre de la sociologie et de l’ethnologie du tourisme, « devenu un phénomène de civilisation. » Il se livre là à une interrogation pertinente sur la fonction du voyageur, ses paradoxes et sa complexité. Ecrit en 1993, cet ouvrage n’a rien perdu de sa sagacité à l’heure des grands débats, souvent stériles, concernant le surtourisme. Et pour prolonger le plaisir de l’introspection, ne pas hésiter à découvrir également son « Le voyage était presque parfait » (éditions Payot & Rivages), essai sur les voyages ratés paru quinze ans plus tard : « Le touriste est un voyageur éternellement frustré. Et c’est pour cela qu’il récidive. »

Dans la même série : lire les autres articles de cette revue littéraire.

Je partage l'article
Voir les commentaires
0
14 articles
Vincent Garnier est actuellement Directeur général de Clermont Auvergne Tourisme après une expérience de près de trente ans dans le domaine du tourisme institutionnel. Passionné de littérature et de voyage, il est notamment le fondateur des « Cafés littéraires de Montélimar » ; il a également assuré pendant de nombreuses années l’animation de rencontres littéraires : Les Correspondances de Manosque, le Festival de la biographie de Nîmes…
Voir les 0 commentaires
Également sur etourisme.info