Contre l’illectronisme. Pour les Jean-François.

Publié le 22 mai 2024
7 min

Nous avons fabriqué collectivement une nouvelle forme de handicap, celle de l’illectronisme qui pourrait tous nous guetter.

Pourquoi ?

C’est la démonstration qui s’ensuit.

L’illectro-quoi ?

L’illectronisme est une forme d’illettrisme numérique qui se traduit par une difficulté, voire l’incapacité, à utiliser les appareils numériques et les outils informatiques en raison d’un manque ou d’une absence totale de connaissances à propos de leur fonctionnement. 

Selon l’INSEE, l’illectronisme concerne 17 % de la population. Concrétement, une personne sur quatre ne sait pas s’informer et une sur cinq est incapable de communiquer via Internet. Les personnes les plus âgées, les moins diplômées, aux revenus modestes, celles vivant seules ou en couple sans enfant ou encore résidant dans les DOM sont les plus touchées par le défaut d’équipement comme par le manque de compétences. En résumé, ce sont les personnes les plus vulnérables qui sont les premières victimes de ce non-choix, creusant une fracture numérique quasi inéluctable, accélérée avec la crise sanitaire de la Covid-19 et l’essor des communications numériques pendant les confinements et dont les usages perdurent encore.

De la souris au mulot

Voyage dans la machine à remonter le temps, en décembre 1996, interloqué par la souris d’un ordinateur, le président Jacques Chirac interrompt une démonstration des fonctionnalités d’Internet organisée à la Bibliothèque nationale de France pour demander à l’animateur : « La souris ? Qu’est-ce que l’on appelle la souris ? ». Cette intervention inopinée aura eu deux vertus.

La première est la séquence mémorable aux Guignols de l’Info avec un Président en exercice face à son ordinateur portable !

La deuxième a donné un sacré coup d’accélérateur pour le même Président quelque peu vexé qui lança l’année suivante, le premier site Web de l’Elysée !

Pour l’anecdote on pouvait donc écrire au Président de la République par formulaire sur Internet et obtenir une réponse dans 15 jours avec un courrier normal et un vrai timbre ! Gageons que la gestion actuelle du budget de l’État n’autoriserait plus une telle gabegie de dépenses mais à l’époque, l’e-mail n’était pas aussi démocratisé. Autres temps, autres mœurs.

L’informatique c’est TOUJOURS compliqué

Strip-tease était une émission de télévision documentaire diffusée dans les années 80-90 avec pour but de traiter des sujets « pris dans les faits de société » et filmé dans une forme d’intimité tout à fait nouvelle pour l’époque, avec des scènes aussi hilarantes que méprisantes, drôle de mélange des sentiments.

Dans le documentaire, « Au pays des merveilles », on part à la rencontre des gens de la campagne qui veulent créer un site Internet pour leur entreprise et découvrent pour la première fois un ordinateur. Cet épisode de 2002 évoque la difficulté et quelque part l’illusion, à cette époque, de s’adapter au monde de l’informatique pour des néophytes.

Dans une approche plus positive, c’est aussi « le film qui va venger les millions de gens agacés, énervés, effrayés, affolés, terrorisés, épuisés, liquéfiés, brisés, désespérés et humiliés par l’apparition de l’ordinateur et l’apprentissage de l’informatique… Le film qui va redonner du courage à tous ceux qui en ont marre d’être pris pour des manches parce qu’ils confondent une souris et un mulot ou qu’ils s’imaginent qu’un logiciel c’est une nouvelle sorte de fromage. Voilà le film qui vous démontre que, n’en déplaise aux vendeurs, l’informatique c’est TOUJOURS compliqué ».

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Tu connais pas Face de Bouc ?

En 2012, Les Bodin’s, duo comique français, tournent en dérision les réseaux sociaux avec un sketch devenu culte « Face de Bouc pour les Nuls ».

Face de Bouc c’est une réunion d’amis, sauf qu’il n’y a pas d’entrecôtes, pas d’accordéon, rien à boire et que tu ne connais aucun de tes amis
Les Bodin’s

Une citation tout à fait paradoxale mais qui traduit bien cette forme de dichotomie sociale, où parfois, plus nous sommes virtuellement connectés, et plus notre réel lien social physique se distend. Jusqu’à la rupture ?

J’ai laissé un message sur ton répondeur

« OK Boomer », pourrait-on répondre à Diam’s dans son titre légendaire de 2012.

À la question, pourquoi envoie-t-on aujourd’hui autant de messages audios ? On peut lire la réponse suivante dans une story publiée par Courrier International.

Le canal de communication est devenu si volatile que plus personne ou presque n’écoute sa messagerie de répondeur téléphonique aujourd’hui. Exceptés les empêchés des réseaux sociaux qui creusent malgré eux le fossé de l’exclusion numérique.

Liberté, (in)égalité, fraternité

Quand la République française en prend un coup sur la casquette. Pour l’anecdote, c’est le calendrier de déclaration de l’impôt sur le revenu qui m’a inspiré l’idée de cet article ! Où est donc l’égalité d’une date limite au 21 mai 2024 au format papier et au 6 juin pour les autres départements (avec un échéancier différent par numéro) ? Partant du principe que ceux qui sont dans l’impossibilité de déclarer en ligne sont les plus vulnérables et ceux qui auraient sans doute besoin de PLUS de temps que les autres pour se faire aider ou se renseigner dans leurs centres des impôts aux lignes téléphoniques toujours occupées, lesquelles dirigent ironiquement les contribuables vers Internet – sic. Un constat de rupture numérique récurrent sur de nombreux services de l’État.

Je suis intervenu plusieurs fois sur ce blog l’ami Cédric Chabry au sujet du Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité. L’accessibilité numérique doit être une préoccupation majeure afin que les personnes en situation de handicap puissent utiliser les technologies de l’information et de la communication de manière équitable et autonome. Et comme nul est parfois prophète en son pays, le site Internet de Clermont Auvergne Volcans est conforme en accessibilité.

Dans le tourisme responsable du point de vue environnemental, le volet éco-conception d’un site Web ne va résoudre qu’une mineure partie des 20% de la pollution des gaz à effet de serre, les 80% restants étant imputés à la fabrication des matériaux (écran, batteries, etc.). De plus, dans une analyse macro liée au secteur du tourisme, en faisant preuve de pragmatisme, il faudrait avant tout s’attaquer au chantier de la mobilité qui représente 80% des gaz à effet de serre (source Ademe).

Dans le tourisme responsable du point de vue sociétal cette fois, 6,8 millions de personnes de 15 ans ou plus vivant à leur domicile déclarent avoir au moins une limitation sévère dans une fonction physique, sensorielle ou cognitive.

Je n’en conclus pas que l’éco-conception dans le tourisme relève plus du green-washing que l’impact écologique (quoique) mais plutôt de souligner que le premier combat à mener en termes de tourisme numérique et responsable est celui de l’accessibilité des sites Internet. 

Devenir Jean-François nous guette

Dans son excellent podcast « Le code a changé », Xavier de La Porte nous fait découvrir « une vie sans Internet » avec son ami Jean-François, un quadragénaire, qui vit bien mais complètement en dehors du monde numérique, et même de l’informatique la plus basique.

Et on a tous un Jean-François dans notre entourage personnel voire professionnel !
Peut-être que VOUS êtes un Jean-François actuel ou devenir ?

Installé devant la vitesse d’évolution du monde numérique, le podcasteur partage sa peur que je fais mienne et peut-être la vôtre, « le devenir Jean-François me guette, un jour où le monde n’est plus fait pour moi, ou que je ne suis plus fait pour le monde ».

Dans cette interrogation, il fait référence au Monde d’hier de Stefan Zweig, une autobiographie de l’écrivain viennois écrite en 1942. Il fait référence à un passage où l’auteur partage cette période de sa vie à la fois exaltante et épuisante, il compare sa génération à celle de ses propres parents. Il a connu un monde en perpétuelle révolution technologique avec l’arrivée du téléphone, de l’avion, de la radio, du cinéma, etc. Ses parents ont vécu dans un environnement plus stable qui n’a pas beaucoup changé entre leurs naissances et leurs morts. Que pourrait-t-on dire aujourd’hui de la révolution de l’Internet, des smartphones, des voitures autonomes, de l’intelligence artificielle et de l’accélération exponentielle des technologies ? Le sujet n’est pas nouveau et certainement partagé par nos ancêtres, comme par exemple la naissance de l’écriture pour faciliter les échanges commerciaux, il y a 6000 ans !

Alors peut-être que Jean-François a raison ?

« C’est le destin de l’humanité de voir son monde technique évoluer à une vitesse qui paraît à chaque génération vertigineuse. C’est le destin de l’humanité que d’être de plus en plus largué en vieillissant ».

Un constat lapidaire et tragique pour finalement conclure que la résistance au changement ne provient pas de l’accélération des nouvelles technologies mais de nos craintes à ne pas entrevoir leurs finalités, ne pas connaître la destination où elles nous portent. Voilà le débat qui alimente en substance les peurs sur les conséquences de l’Intelligence artificielle quant au devenir de notre propre condition humaine. À juste titre ?

En conclusion, j’en appelle aux actuelles et prochaines générations, à faire preuve d’altruisme, de pédagogie et de patience pour aider les Jean-François que nous sommes en puissance, tôt ou tard.

Et que les Jean-François se rassurent sur la connerie technologique.

On est toujours le con de quelqu’un, mais on est rassuré à chaque fois que l’on trouve plus con que soi
Pierre Perret
Chanteur à la plume décapante
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Directeur marketing et communication à Clermont Auvergne Tourisme. Enseignant vacataire à Clermont-Ferrand, Perpignan et Lyon.
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