[coulisses] Dans l’enfer des refontes de sites web de destination

Publié le 27 septembre 2023
12 min

Quand on prend un peu de recul, on se rend compte que la refonte du site web d’une destination est un projet quasi ininterrompu qui rythme la vie d’un OGD à grands coups d’appels d’offres plus ou moins efficients. Projets trop longs, cycle de vie des sites trop courts, moindre appétence pour l’amélioration continue, difficulté à dégager de vrais budgets d’exploitation, manque de maturité de certaines solutions techniques du marché… prendre 18 mois pour refaire intégralement son site tous les 3-5 ans est malheureusement une quasi-norme dans notre secteur. Gabegie financière et humaine, irresponsabilité environnementale, non-sens au regard de la performance durable… comment sort-on de ce cercle vicieux dont personne ne sort réellement gagnant ? Comment collectivement, Consultants, AMOs et Agences web, pourrions-nous faire évoluer ce modèle pour apporter plus de valeur aux OGD qui nous font confiance ? Quelles sont nos responsabilités individuelles et quels sont les points de blocage pour ceux qui voudraient s’engager dans des démarches plus vertueuses ?

A qui profite le crime ? 

Dans pile-poil 2 semaines, j’aurai le plaisir d’animer un atelier kamikaze lors des #ET19 à Pau. Kamikaze, pas tant en raison de son horaire (merci Ludo pour la case tant enviée du lendemain 9h !) que de son intitulé : “Et si on balançait nos AMO et nos cahiers des charges pour sites web ?”. Alors j’ai beau faire mon malin en répétant à qui veut l’entendre que je ne me reconnais plus vraiment dans la définition d’AMO, ça ressemble quand même un peu à un sciage de branche cette histoire. Alors pourquoi !? 

La genèse de cet atelier, c’est d’abord de multiples échanges au fil des années avec des confrères (AMO, consultants, agences conseil…) et quelques agences web (quoi !??? un AMO qui parle avec des agences ??? vendu !) qui aboutissent souvent au même constat : c’est bien beau tout ce folklore, mais est-ce que ça ne manquerait pas “un peu” d’efficience ? Est ce que pilotage d’appels d’offres et collaboration en mode projet sont réellement incompatibles ? Est-ce que la valeur ajoutée produite par l’AMO en amont ne trouverait pas plus d’écho si ce dernier conservait un rôle central en phase projet ? Passer la main à l’agence web dès la notification actée n’est-il pas un non sens qui dépouille le projet initial de sa substance ? 

Puis vient le campus des #ET à La Rochelle ce printemps, une bière de fin de journée, une discussion qui tourne autour du code des marchés publics qui évolue, et bim ! il n’en fallait pas plus pour se dire “chiche, on lance une causerie à Pau pour essayer de casser ce vieux modèle pourri ?”.

Par delà le modèle, quelle finalité ?

Alors, bien entendu, on va causer du modèle, du rôle des AMO, de leurs obligations et interdictions, de cahiers des charges, de marchés publics, mais en réalité, la question de fond qui est posée est celle plus globale de l’efficience web : comment, en tant qu’OGD, disposer du meilleur dispositif web. 

Un dispositif qui coche un maximum de cases : 

  • un site pleinement aligné avec la stratégie touristique et digitale
  • un site éco-conçu et plus globalement responsable (accessibilité numérique, inclusivité, engagé pour un tourisme responsable…)
  • un site durable (7-10 ans devrait être la norme, avec des rafraîchissements réguliers et une logique d’amélioration continue qui permet de réellement capitaliser sur les investissements)
  • un site dont la principale valeur est son contenu, matière première de la visibilité, du positionnement et de l’influence
  • un site naturellement capable de trouver son audience (SEO), non par des artifices douteux, mais par la pertinence de ses contenus, adaptés aux aspirations des cibles et porteurs de sens
  • un site performant, non par la quantité de ses visites mais par la valeur ajoutée qu’il apporte au territoire, durablement

Combien de destinations peuvent aujourd’hui se réjouir de disposer d’un tel dispositif ? Combien à l’inverse disposent d’un “joli” site web, avec une “jolie” photo plein écran, mais sont globalement en difficulté pour juger de sa réelle performance, au-delà de sa simple audience ? Combien découvrent, après avoir exigé un site “éco-conçu” dans leur cahier des charges, que les pages clés de leur site s’offrent un douloureux E voire F sur EcoIndex ou GTMetrix ? 

Et ce n’est pas très surprenant, car cocher toutes ces cases essentielles demande à minima 3 éléments fondamentaux : 

  • des moyens financiers, nécessairement répartis dans le temps à grands coups d’amélioration continue, ce qui nécessite de construire son budget sur le long terme
  • un pilotage du projet sur le long terme avec un haut niveau d’expertise sur cette approche méthodologique assorti d’outils d’évaluation
  • un cadre administratif compatible, qui offre de la souplesse et de la projection sur le long terme, et certainement pas un marché verrouillé par un cahier des charges figé et limité à 1 an renouvelable 3 fois

Et c’est bien là tout le sujet de la causerie qui s’annonce, amorcée par ce billet liminaire : comment, nous tous, OGDs, AMOs, consultants, agence web… pourrions nous intelligemment, dans le respect de nos modèles économiques respectifs et du code des marchés publics, contribuer à une telle efficience qui s’impose à nous ? Rappelons ici que le bon usage des deniers publics constitue une exigence constitutionnelle qui découle de l’article 14 de la Déclaration de 1789. Pas sûr que refondre intégralement son site web en le jetant purement et simplement tous les 4 ans respecte cette exigence… Parce qu’au final, c’est bien la question de la performance qui est en jeu : à tout refaire de zéro tous les 3-5 ans, on ne capitalise sur rien, donc on n’exploite jamais un dispositif mature et réellement performant.

“Vous n’avez pas les bases 🎵”

Un projet web, disons le clairement, c’est un chantier titanesque ! Le job de l’agence web est de produire “techniquement” le site, avec une définition relativement mouvante de ce périmètre selon les agences et les expertises qu’elle a (réellement) internalisé. Mais au-delà de cette réalisation technique, la performance digitale trouve son origine dans plusieurs disciplines et de multiples tâches toutes plus complexes les unes que les autres : positionnement de la destination, parcours clients, expérience utilisateur / UX, stratégie de contenus, production de contenus, référencement naturel, pilotage de la performance… tous ces domaines sont autant complexes qu’indispensables à la performance. Lorsque les budgets sont disponibles, il est toujours possible d’aller solliciter des experts de chaque domaine pour compléter le périmètre de l’agence web (rarement vraiment experte de tous ces domaines) avec la limite de la perte d’efficacité inhérente aux organisations en silos. Mais dans bien des cas, l’équipe de l’OGD se retrouve vite désarmée face à ces multiples actions pour lesquelles elle n’avait pas toujours fléché les ressources adéquates, que ce soit en interne ou en externe.

Il va falloir configurer non seulement les flux SIT mais aussi les critères des moteurs de recherche du site grâce au super plugin qui offre une “grande liberté”, créer l’arborescence dans le CMS, créer les modèles de pages en jouant au légo avec Gutenberg, intégrer tous les contenus et tout ce qui va avec (tags marketing, balises SEO, conformité RGAA…), fournir les mentions légales… et quand arrive l’échéance du déploiement, en plein rush de la rédaction et intégration des contenus, il faut faire les recettes (fonctionnelle, technique, UX, responsive…) sans vraiment savoir en quoi ça consiste et sans outil ni méthode, fournir la liste des redirections 301 (mais !)… Bref, même avec un chef de projet web dédié, le sprint final est souvent synonyme d’impasses, de “on règlera ça plus tard” (ou pas).

Et si un des rôles majeur d’un AMO était justement d’accompagner l’OGD dans cette aventure ? Lui permettre d’anticiper, de s’organiser, de prendre de bonnes décisions éclairées, de décrypter les complexités… finalement, Assister, avec un grand A, Accompagner, Épauler… ce qui suppose une relation de confiance durable et sincère.

Et ce qui suppose, surtout, de pouvoir bénéficier de son expertise AVANT d’avoir contractualisé sur un périmètre d’accompagnement trop restreint.

Dis moi quelle AMO t’accompagne et je te dirais quel OGD tu es

On fait parfois souvent appel à un AMO pour rédiger un cahier des charges, piloter la consultation et assumer le choix de l’agence, voire, en option, jouer le gendarme en phase de réalisation. Or, la définition originelle du rôle d’AMO est en réalité bien plus large et porteuse de valeur ajoutée : “Il a pour mission d’aider le maître d’ouvrage à définir, piloter et exploiter le projet. Il a un rôle de conseil et/ou d’assistance, et de proposition, le décideur restant le maître d’ouvrage. Il facilite la coordination de projet et permet au maître d’ouvrage de remplir pleinement ses obligations (…)” (Wikipedia). Ce qui est intéressant ici, c’est que l’après-consultation n’est en aucun cas une option. 

Caricaturons la situation en considérant qu’on a 2 profils type recherchés : 

  • L’AMO caution, recruté pour sécuriser le recrutement de l’agence web. Son périmètre est centré sur la formalisation du besoin (drôle de voire certains OGD imposer une méthode pour celà, comme s’ils n’avaient à priori pas confiance en “l’expert” qu’ils recrutent et qui pourrait proposer sa propre méthode), la rédaction du cahier des charges (autant dire l’agrégat des listes au Père Noël des différents services dont on aura relevé les “besoins”) et la consultation (histoire de se dédouaner de ce cauchemar administratif). En option, l’AMO sera invité à suivre la réalisation en participant aux 3 réunions clés du comité de pilotage, mais surtout sans apporter de valeur, parce que en vrai, le vrai spécialiste, c’est l’agence web recrutée.
  • L’AMO partenaire, choisi pour un accompagnement durable et pleinement complémentaire de l’agence web. Son rôle est autant d’assister et conseiller l’OGD sur le plan stratégique et opérationnel que de prendre en charge directement un certain nombre de tâches (audit de l’existant, benchmark, validation des livrables intermédiaires, tests / recettes, optimisation SEO…). Il a une vision globale et transversale du projet et coordonne les actions internes comme externes. Il peut aussi être là pour interpréter les résultats obtenus et proposer des améliorations de manière pro-active. A l’extrême, c’est un peu la direction digitale externalisée de l’OGD.

Au vu de cette caricature, on pourrait probablement se poser la question de l’intérêt de rechercher le premier profil, tout en étant conscient que le second pourrait poser quelques problèmes d’impartialité et de définition des rôles et responsabilités des 3 acteurs impliqués. 

Mais surtout, on se heurte à une autre difficulté : quelle que soit la qualité de la stratégie construite par un AMO topissime, la pertinence et la valeur ajoutée du cahier des charges qui en découle, à quoi tout ce travail sert-il si les agences web arrivent ensuite avec leurs propres réponses aux besoins, sans réellement tenir compte des réflexions amont ? Les agences web spécialisées disposent généralement d’un socle technico-fonctionnel qui leur permet de construire les sites de destination, et chaque socle a ses spécificités. Mais comme on ne connaît pas la solution et ses possibilités tant qu’on n’a pas recruté l’agence, le serpent se mord la queue et on oscille entre niveler par le bas pour que les besoins puissent être couverts quelque soit la solution retenue ou tenter de tirer vers le haut, au risque de s’entendre dire que ce n’est pas possible ou que ça va couter un bras.

Il pourrait être bien plus efficient de recruter l’agence non pas sur un projet fonctionnel précis mais sur une approche globale, des partis pris structurants et différenciants, des références, des niveaux de prix, une méthode, des valeurs, une approche responsable et durable… puis de construire ensuite ensemble, OGD / AMO / Agence web, LE projet qui répond le mieux aux besoins en tirant le meilleur parti de la solution disponible. Finalement, “juste” adopter les meilleures pratiques agiles qui ont largement fait leurs preuves en matière d’innovation.

Y’aurait-il une bonne nouvelle dans tout ça ?

Et bien oui ! Et même plusieurs…

Si on cherche à résumer, dans les faits, on aurait besoin de : 

  • recruter un AMO à forte valeur ajoutée pour le projet
  • recruter un AMO pour une relation durable
  • ne pas rédiger de cahiers des charges inutiles non respectés
  • recruter LA bonne agence qui saura nous accompagner dans la durée
  • organiser une forte collaboration entre l’agence web et l’AMO
  • s’inscrire dans une vraie démarche durable d’amélioration continue sur 7-10 ans

Mais on pense que tout ça n’est pas possible à cause des marchés publics, parce qu’il faut faire une consultation pour recruter l’AMO (ça commence bien…), à minima obtenir 3 devis, et que sous prétexte qu’il a un devoir d’impartialité, l’AMO ne pourra pas collaborer avec l’agence, qui sera de toutes manières recrutée pour 4 ans maximum.

Commençons par rappeler que les marchés répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 40 000 euros HT peuvent être conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables. A condition toutefois de respecter les grands principes de la

commande publique, c’est-à-dire choisir une offre répondant de manière pertinente au besoin, respecter le principe de bonne utilisation des deniers publics, et ne pas contracter systématiquement avec un même prestataire lorsqu’il existe une pluralité d’offres potentielles susceptibles de répondre au besoin. Attention néanmoins : la quasi-totalité des OGDs s’imposent dans ce cas la tradition des 3 devis, tradition qui est non seulement désuète mais surtout très risquée, car à elle seule elle qualifie le marché dans la catégorie procédure adaptée et le risque d’annulation de la procédure est alors élevé. Sur ce point, la fiche de la DAJ (Direction des Affaires Juridiques) est très claire : un seul opérateur économique doit être contacté dans le cadre des marchés passés sans publicité ni mise en concurrence préalable (donc ceux dont le montant est inférieur à 40 000 € HT). Donc, commençons déjà par changer cette pratique : pour choisir son AMO, il suffit de faire de la veille, d’aller voir ce qu’il se dit sur les internets à son sujet, prendre l’avis des copains, et quand on est convaincu qu’on tient le bon, on lui demande un devis et on négocie le cas échéant. Ni plus ni moins.

Si le budget pour la refonte du site est également inférieur à ce seuil, même topo ! Attention toutefois à bien évaluer la valeur sur la durée, on va y revenir. Dans le cas contraire, compte tenu des seuils européens, un MAPA s’impose. Reste alors à se questionner sur le type de procédure (une phase d’appel à candidatures permettra d’épargner à de multiples Agences web un travail inutile, 👋 l’éthique), la forme du marché (pourquoi ne pas privilégier les accords cadres pour déployer une approche agile ?) et la durée. 

C’est précisément sur ce dernier point que le code des marchés publics va être le plus pénible. Comment s’inscrire dans une relation durable de 7 à 10 ans avec des durées de marché théoriquement contraintes (4 ans pour les accords cadre par exemple). Nous aurons quelques idées à partager lors de notre causerie de Pau, en particulier sur ce sujet.

On en cause à Pau ?

Alors qu’est-ce qu’on fait de tout ça ? Est-ce qu’on continue de se satisfaire de cette situation ou est-ce qu’on essaye de faire bouger quelques lignes, petit à petit ? En tous cas, en parler n’engage à rien, alors on se retrouve sur la terrasse du Palais Beaumont jeudi 12.10 à 9h ? AMOs, Consultants, Agences web, OGDs… tout le monde est le bienvenu, avec ou sans idées sur la question, mais surtout sans tabous ni faux semblants 😉

Et d’ici là, n’hésitez pas à contribuer en commentaire pour alimenter la discussion d’ici là !

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Fondateur @ThinMyWeb / Co-Fondateur @Kairn [MISSION] Conseil éthique et engagé en stratégie digitale dans le tourisme [GENESE] "Early adopter" de l'internet à titre professionnel dès 1995, j'ai forgé l'essentiel de mon expertise en agence web, en tant que directeur conseil associé et expert en eTourisme. [THINKMYWEB] En fondant ThinkMyWeb en 2016, j’ai voulu mettre mon expérience digitale au service d’une proposition de valeur distinctive, centrée sur un conseil éthique, sincère [...]
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