Croissance du tourisme mondial : comme si de rien n’était?

Publié le 12 juin 2023
6 min

Il me semble que la pandémie de Covid est déjà un lointain souvenir. Pourtant, dans le cadre de deux (petits) mandats avec des offices de tourisme, j’ai récemment été amené à faire ce que je faisais jadis comme consultant, soit identifier les statistiques de la performance touristique du Québec en 2022 et ses prévisions pour les années 2024 à 2026.

Or, c’est pas évident! Pas évident du tout, même!

Pourquoi? Pour trouver une réponse je me suis remémoré les discours dominants des trois clans durant la pandémie. Le premier clan imaginait une prise de conscience mondiale chez les voyageurs à la suite de la pandémie, qui ferait naître de « vraies » et belles valeurs et offrirait au voyage un sens nouveau empreint d’humanité et d’empathie! On voyagerait moins, on voyagerait plus proche, et si on devait voyager loin, ça serait pour de longs séjours permettant de compenser l’empreinte carbone et de participer au mieux être de la destination visitée. Est-il besoin de rappeler que je n’ai jamais adhéré à cette vision fantasmatique de l’épiphanie touristique?

J’étais plutôt du deuxième clan, les pessimistes, convaincus qu’un retour à une presque normalité – soit le « rattrapage » des performances de 2019 – ne se produirait qu’au mieux en 2026. L’industrie touristique mondiale ayant été profondément déstructurée et les visiteurs ayant été traumatisés par les virus, les foules et les lieux clos, je voyais mal tout ça ne plus préoccuper le moindre touriste. 

Le troisième clan – les optimistes, qui comptaient Pierre Bellerose parmi leurs leaders – croyait que l’arrivée providentielle d’un vaccin allait instantanément rouvrir toutes les frontières et tout serait immédiatement comme avant, comme par magie! 

Or il semble que les deux premiers clans ont eu tort, sur toute la ligne. Et que le troisième est celui qui s’est le plus rapproché de la réalité, un peu par hasard…

Donc, ayant été récemment amené à réfléchir à la croissance du tourisme canadien, je me suis naturellement tourné vers les sources habituelles de statistiques touristiques que je consulte, comme le Conference Board du Canada ou encore l’Organisation mondiale du tourisme. Or, si le portrait est limpide jusqu’à 2019, avec une croissance soutenue à l’échelle mondiale des arrivées internationales depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la période covid elle, de 2020 à 2022, a remis les pendules à zéro et largué tous les brillants prévisionnistes. Le tourisme a été quasi à l’arrêt pendant presque trois ans, donc on ne peut rien tirer des résultats enregistrés. Comment alors projeter la croissance à partir de 2023? Imaginer que 2020 à 2022 est une erreur statistique et sortir les données du modèle? Comment faire pour prévoir la vitesse de la reprise à partir de 2023? Et, surtout, qu’en est-il des promesses d’une croissance raisonnée du tourisme après ce choc mondial?

Les nouvelles sont très bonnes – ou très mauvaises c’est selon – en matière de rebond du tourisme!

Dès 2022 certains indicateurs ont commencé à pointer vers plus qu’un retour à la normale, avec une impression que la croissance pourrait – à certains égards – s’avérer exponentielle. Tant le World Travel & Tourism Council (WTTC) dans un premier temps, que l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) tout récemment, prévoient un raz-de-marée touristique à l’échelle planétaire pour les prochaines années.

En collaboration avec Oxford Economics, le WTTC s’est permis quelques constats et quelques prédictions dans son Étude d’impact économique du tourisme 2023. 

Le WTTC souligne que le secteur mondial du voyage et du tourisme devrait atteindre 9,5 billions de dollars en 2023, représentant un taux de récupération de 95% par rapport aux niveaux pré-pandémiques de 2019. Fait remarquable pour le WTTC, 34 pays ont déjà dépassé leurs niveaux de 2019, démontrant un rebond significatif de l’industrie. 

Malgré les défis économiques et géopolitiques, le secteur du voyage et du tourisme a démontré sa résilience. Déjà en 2022, le secteur a connu une croissance annuelle de 22%, atteignant les 7,7 billions de dollars de contribution économique mondiale. Cela représentait 7,6% de l’économie mondiale, la plus haute contribution sectorielle depuis 2019. Bien que le PIB mondial soit encore inférieur de 22,9% à son sommet de 2019, la reprise constante de l’industrie du voyage et du tourisme est évidente.

Le WTTC souligne également l’impact de divers facteurs qui ont ralenti la croissance du tourisme. Les restrictions de voyage prolongées – surtout en Asie – et les conflits, tels que la situation en Ukraine, ont exercé une influence significative sur le rythme de la reprise en 2022. Cependant, la décision récente du gouvernement chinois de rouvrir ses frontières en janvier a servi de catalyseur, propulsant le secteur plus près des niveaux prépandémiques. Ainsi donc, ce sont ces facteurs négatifs non-liés au tourisme qui ont ralenti le retour à la normale dès 2022!

La résurgence du voyage international est un signe de la reprise du tourisme international. Les dépenses des visiteurs étrangers ont connu une croissance sans précédent de 82% entre 2021 et 2022, atteignant 1,1 billion de dollars. Cette augmentation significative indique que le voyage international est fermement de retour, et que les gens sont impatients de sauter dans le premier avion venu. Est-ce de courte durée? Si on se fie aux carnets de commande de Boeing et d’Airbus, nous avons 20 ans de croissance soutenue devant nous. En effet, il est prévu que les flottes combinées d’appareils des deux principaux constructeurs doubleront d’ici 2041! Et la moitié de ces nouveaux appareils remplaceront 50% des flottes existantes dans les prochains 10 ans, et 80% d’ici 20 ans.

La pandémie de COVID-19 a entraîné des pertes d’emploi substantielles dans le secteur du voyage et du tourisme, l’emploi passant de plus de 334 millions en période prépandémique à seulement 264 millions en 2020. Cependant, l’industrie a rebondi en créant 11 millions d’emplois en 2021 et 21,6 millions en 2022. Par conséquent, le secteur emploie actuellement plus de 295 millions de personnes à l’échelle mondiale, soit un emploi sur onze dans le monde.

Les prévisions du WTTC offrent une perspective optimiste pour l’avenir de l’industrie touristique. D’ici 2033, le toruisme mondial devrait accroître sa contribution au PIB à 15,5 billions de dollars, représentant 11,6% de l’économie mondiale. De plus, il est estimé que l’industrie emploiera un nombre incroyable de 430 millions de personnes dans le monde, soit près de 12% de la population active.

Pour sa part, l’OMT – dans son Baromètre mondial du tourisme de mai 2023 – montre que la reprise rapide du secteur s’est poursuivie en 2023. Il indique que dans l’ensemble, les arrivées internationales ont atteint 80% des niveaux de 2019 au premier trimestre de 2023 alors que 235 millions de touristes ont voyagé à l’international au cours des trois premiers mois, soit plus du double de la même période de 2022.

Les données révisées de l’OMT pour 2022 montrent que plus de 960 millions de touristes ont voyagé à l’international, ce qui signifie que deux tiers (66%) des chiffres prépandémiques ont été récupérés. Le Moyen-Orient a enregistré la meilleure performance en étant la seule région à dépasser les arrivées de 2019 (+15%) et la première à retrouver les chiffres prépandémiques sur un trimestre complet. L’Europe a atteint 90% des niveaux de 2019, portée par une forte demande intrarégionale. L’Afrique a atteint 88% et les Amériques environ 85% des niveaux de 2019.

Bref, je comprends mieux pourquoi la pandémie me semble un lointain souvenir. C’est ainsi parce que la course à la croissance est reprise de plus belle, et les problèmes de taux d’intérêts élevés, d’inflation ou de stagflation ou encore de pénurie de main-d’œuvre ne semblent pas pouvoir freiner l’appétit vorace des voyageurs partout sur le globe.

Une croissance raisonnée en vue? J’en doute fort!

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Expert en tourisme, Paul Arseneault est également professeur au département de marketing de l’ESG UQAM ainsi que co-fondateur et administrateur de l’incubateur MT Lab.
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