Peut-être faut-il le rappeler d’emblée, le voyage d’Ulysse n’a pas eu lieu. En revanche, ce récit a construit nos cultures occidentales. Car c’est dans les histoires que nous puisons pour construire nos imaginaires et nos vies bien concrètes. Et des histoires aux marques de territoire, il y a un chemin à décrypter en passant par la nécessité d’une sensibilisation et d’une éducation au patrimoine et à la culture. Depuis les légendes d’Ulysse jusqu’aux constructions narratives modernes des marques territoriales, chaque histoire, image et symbole contribue à modeler l’attractivité d’une destination. Cependant, avec la montée en puissance des médias numériques, de la désinformation et des avatars, il devient difficile de séparer le mythe de la réalité. L’actualité politique mondiale doit nous inciter à mieux lier découvertes touristiques, patrimoniales et culturelles pour remettre du sens et du sérieux dans nos perceptions et dans nos démarches de construction de discours d’attractivité. C’est pourquoi il paraît essentiel de relier patrimoine, culture et tourisme pour promouvoir un imaginaire collectif basé sur des valeurs sérieuses.
Bloom Consulting, en partenariat avec City Nation Place et plusieurs universités espagnoles, a initié une étude d’envergure pour mesurer l’impact des marques territoriales sur les économies locales et mondiales. Cette étude réalisée sur une base de données de plus de 100 pays et villes, a révélé que la perception des territoires influence jusqu’à 25 % des transactions économiques liées aux domaines du tourisme, de l’investissement direct étranger (IDE) et de l’attraction de talents. En d’autres termes, pour chaque tranche de 1 000 dollars qu’un pays ou une ville attire par le biais du tourisme ou de l’investissement direct étranger, environ 250 dollars sont directement liés à la perception. Ce calcul extrapolé à l’économie mondiale représente un total de 934 milliards de dollars, soit environ 1 % du PIB mondial. Dans le secteur du tourisme, une simple amélioration de 0,1 point dans la perception d’une ville ou d’un pays pourrait potentiellement augmenter les recettes touristiques de 12 à 17 %. Cela signifie que l’image d’une destination n’est pas seulement un outil de communication, mais un levier économique majeur.
L’étude met également en lumière les conséquences de ces perceptions sur le développement économique des territoires. En effet, une perception positive peut non seulement attirer des touristes, mais aussi des investisseurs et des talents étrangers, contribuant ainsi à la création de richesses et à la croissance locale. À l’inverse, une perception négative ou figée peut limiter les opportunités économiques et freiner le développement. La perception (l’image de marque nationale ou urbaine) pèse pour respectivement 24 % et 23 % des recettes touristiques d’un pays et d’une ville. Tout cela est évidemment lié aux attraits locaux.
TOURISME ET PATRIMOINE EN POINTE
Autre étude, issue de la même source Bloom Consulting, le rapport France Digital Places Report ’24, représente une analyse détaillée de l’attractivité des territoires français sur le web entre 2022 et 2023. En se basant sur l’analyse de 1,5 milliard de requêtes web, le rapport identifie les principales tendances et centres d’intérêt des internautes concernant les territoires français. Sans surprise, le tourisme domine les recherches, représentant près de 86,8 % de l’intérêt global, suivi par les projets résidentiels et les investissements économiques. Paris, avec son aura internationale, attire une part importante des recherches, mais d’autres villes comme Lyon, Nice, Bordeaux et Marseille connaissent également une dynamique de recherche significative, indiquant un intérêt croissant pour ces destinations. Les données montrent une forte augmentation des recherches provenant de marchés internationaux, notamment des États-Unis et du Brésil. Ces marchés sont particulièrement intéressés par des expériences touristiques de luxe et des sites inscrits au patrimoine de l’UNESCO, montrant un attrait pour l’histoire et le prestige associés à la culture française. En même temps, des régions comme la Bretagne, la Provence, et la Normandie émergent comme des destinations de choix pour les visiteurs recherchant une expérience plus authentique et locale.
- Volumes : en 2023, plus de 720 millions de requêtes internet ont été effectuées dans le monde sur les 203 plus grandes villes de France métropolitaines et régions ultramarines. Cette augmentation de 13% par rapport à 2022 survient à la suite de la première année pleinement épargnée par l’épidémie du Covid.
- Thématiques : dopée par la rapide reprise post-Covid, la thématique tourisme draine 86,8% de toutes les requêtes, celles liées aux projets résidentiels 9,6%, celles enfin concernant l’économie et l’investissement 3,6%.
- Origines plus de 35% des requêtes sont effectuées depuis l’étranger, et dans l’ordre, des USA, d’Allemagne, du Royaume-Uni, d’Italie, d’Espagne. Les marchés lointains (USA, Canada, Brésil, Australie, Mexique…) sont ceux qui connaissent la plus forte progression des recherches entre 2022 et 2023 ! Dans l’Hexagone, les seules régions Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur exécutent plus de 50% des requêtes.
- Le luxe est au top (+34%) sur les marchés lointains, Cannes et Paris sont les véritables stars de l’évènementiel en cumulant 1/3 de toutes les recherches sur les villes de France analysées, les requêtes sur Airbnb se tassent (-6%) notamment sur les marchés français et allemands, que les recherches sur le tourisme d’affaires sont atomisées en province et en légère baisse sur Paris, que ladite province (et notamment Lyon, Marseille, Nice, Bordeaux) affirme son tourisme LGBTQI face à la Ville Lumière, que le label UNESCO qui intéresse autant les français que les étrangers (pour 50% des requêtes)est un bel outil de conquête à l’international.
LA CULTURE, ATTRACTIVITE FRANCILIENNE
Pour sa part, la CCI de Paris Île-de-France, vient de publier une étude sur la richesse et la diversité de son offre culturelle et patrimoniale. Cette région touristique française se distingue par son offre culturelle et patrimoniale d’exception. La capitale abrite des musées de renommée mondiale comme le Louvre, des monuments emblématiques tels que Notre-Dame et des événements culturels qui attirent des millions de visiteurs chaque année. 70,7 % des touristes à Paris Ile-de-France citent les visites de musées et de monuments parmi leurs activités pratiquées ; c’est plus que toute autre activité, la proportion grimpant même à 85,2 % pour les clientèles internationales. La consommation touristique liée à la culture est estimée à plus de 2 milliards d’euros chaque année (2,2 milliards en 2023). Cependant, cette concentration touristique présente des défis, notamment en termes de saturation et de gestion durable des flux de visiteurs. D’autres grandes villes européennes, telles que Londres, Madrid, Rome, et Berlin, sont confrontées à des enjeux similaires, ce qui les pousse à développer des stratégies de décentralisation et de diversification de leur offre touristique.
Parallèlement à ces dynamiques de recherche et de perception, une étude de l’Institut Terram, en collaboration avec la Fondation Jean Jaurès, explore la manière dont les marques territoriales françaises sont souvent figées dans des représentations atemporelles et simplifiées. Pour illustrer le propos, des régions comme l’Auvergne, la Bretagne, ou le Pays Basque sont souvent perçues à travers des stéréotypes anciens, parfois dépassés, qui limitent la reconnaissance de leur évolution actuelle. Par exemple, l’image de la Bretagne est souvent associée à des clichés de marins et de paysages sauvages, tandis que l’Auvergne est vue comme une région rurale et isolée (La Fourme d’Ambert), bien loin de sa réalité actuelle de région dynamique avec une forte attractivité pour les startups et les innovations agricoles.
Ces représentations figées sont renforcées par les stratégies de marketing et de communication, qui privilégient souvent des images simples et immédiatement reconnaissables pour attirer les visiteurs. Or, cette approche simpliste risque de réduire la richesse et la diversité des territoires à des clichés, empêchant ainsi les visiteurs et les résidents potentiels de percevoir la véritable essence et les opportunités de ces régions.
Les résultats de ces différentes études soulignent l’importance d’un marketing territorial équilibré, qui valorise le patrimoine sans tomber dans des clichés réducteurs. Les marques territoriales et les stratégies d’attractivité doivent être conçues comme des récits vivants, capables d’évoluer et de s’adapter aux changements sociaux, économiques et culturels, tout en restant fidèles à l’essence du territoire. Elles doivent être inclusives et participatives, en intégrant les habitants dans le processus de définition de l’identité du territoire. Cette approche permet de créer un sentiment d’appartenance et de fierté chez les résidents, tout en offrant aux visiteurs une expérience plus authentique.
Le chantier est d’importance dans une époque où l’irrationnel l’emporte de plus en plus souvent sur le factuel et la démonstration. Et pour cela, mettre en avant les leviers de la culture et du patrimoine me parait essentiel dans vos territoires. Le dernier rapport Patrimostat 2024 du Ministère de la Culture contient les observations les plus récentes sur les pratiques de visite des Français des musées, expositions et monuments, sur les opinions liées à la tarification, sur les dépenses et arbitrages budgétaires. Ainsi, on note que la fréquentation des monuments et musées reste stable en 2023 : 62% des Français ont effectué une visite patrimoniale en 2023 (63% en 2019). Si près d’un Français sur 3 s’est acquitté d’un billet d’entrée compris entre 1 et 10 euros, la majorité (54%) a déboursé un prix d’entrée supérieur à 10 euros. 36% des personnes ayant effectué une visite patrimoniale au cours des 12 derniers mois ont renoncé à une visite de ce type parce que c’était trop cher. Ainsi, mieux lier tourisme, patrimoine, attractivité me semble être une démarche motivante et indispensable pour les destinations. J’écris cela car j’entends de plus en plus sur le terrain des points de vue visant à réduire les moyens affectés et à moins lier ces grands thèmes. Au contraire, l’actualité politique internationale me semble indiquer une impérieuse prise de position en faveur d’une liaison renforcée entre culture et attractivité territoriale.