Ce billet a été publié sur le blog etourisme.info le 04 septembre 2023. Voici donc une republication estivale…
J’arrive pour la rentrée des classes avec un peu le cerveau enfariné. La coupure annuelle s’est bien produite. La reprise s’est faite il y a déjà quelques semaines. Pourtant, je fais mal mon cartable tous les matins. Je veux désapprendre. Si des cancres existent dans les lecteurs, c’est l’heure des punaises sur les chaises, des craies écrasées dans les trousses, de batailles de stylo à encre et de concours de chiques. Désapprendre pour réapprendre peut s’avérer utile.
Pourquoi désapprendre ?
Notre petit monde est VICA : Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu. Espérer arriver au terme d’une quelconque programmation ou planification sans embuches et bifurcations est une lubie. Il est devenu essentiel de se concentrer sur nos capacités et compétences individuelles et collectives à s’adapter à des situations changeantes au sein des organisations et avec son écosystème. Sauf que c’est épuisant et met à rude épreuve les organismes et les organisations. C’est aussi humainement un défi car s’adapter tout seul est assez simple en soi mais le faire collectivement demande de bosser un peu et incarner à la fin un geste coopératif de tous les instants.
Désapprendre n’est donc pas une injonction de plus. Apprendre à désapprendre a pour but d’être mieux aligné individuellement, puis collectivement avec le contexte mouvant qui nous entoure. Dans le tourisme, on est servi.
Désapprendre sur nos ressentis pour aider à la décision
La 2ème édition de l’observatoire des demandes des touristes en France dans 10 ans, présentée par L’Association Nationale des Élus des Territoires Touristiques (ANETT) et publiée en début d’été, me donne envie de désapprendre. Cette étude est riche d’enseignements et compare les réponses du grand public avec celles des professionnels.
La première édition avait traité en 2021 les réponses grand public avec les Élus.
Les résultats publiés ont un fort pouvoir de désapprentissage. Leur effet miroir permet en effet de requestionner des ressentiments, souvent bien ancrés. S’ils ne sont pas rendus visibles et surtout mis en discussion, ils faussent à coup sûr des prises de décisions ou des orientations stratégiques.
Ces ressentis et convictions orientent également vos discussions avec vos clients, partenaires et commanditaires.
Désapprendre sur notre rôle pour des récits repensés
Nous connaissons les fondamentaux de notre secteur concernant le défi des GES depuis les publications scientifiques des dernières années (ADEME, Giec, The Shift Project, etc.). Au menu : les transports, les bâtiments, l’alimentation, l’achat de biens et de services. Nous intégrons évidemment la préservation du vivant, nous suivons l’observation des Limites planétaires et en découle vers quoi doit tendre notre activité et son impact sur les territoires et avec nos équipes.
A la fin août, les chiffres intermédiaires du pré-bilan estival des mois de juillet-août sont sortis au niveau national. A la volée, nous y avons appris notamment que les Japonais étaient de retour (+140 %) (…). Nous y avons appris que les 40 % de Français qui ne partent pas en vacances, c’est en grande partie à cause du budget. Nous y avons appris que les arrivées aériennes en France des clientèles moyens et longs courriers ont augmenté de 29% par rapport à 2022. Nous y avons appris que 67 % des Français sont partis en vacances dont 88 % en France.
Comment désapprendre de cette lecture quantitative pour une observation complémentaire en adéquation avec les fondamentaux précités ? Quelles clés de lecture apprendrions-nous pour suivre des trajectoires à long terme et non pas des comparaisons annuelles ? Quels récits, maintenus d’une année sur l’autre, cela produirait pour que le tourisme réduise drastiquement son impact environnemental, augmente son impact social et soit compris ?
En année JOP en 2024, que dirons-nous pour comparer des chiffres ? Et les années d’après, qu’évoquerons-nous comme année d’ancrage, de référence, de performance ?
Désapprendre ensemble pour faire apprendre le tourisme ?
Je mets le doigt sur deux points à titre illustratif car la logique de désapprentissage n’a nullement vocation à montrer que ce fait ou cette action sont bien ou pas bien faits. Elle a surtout pour vocation individuelle de comprendre ce qui se passe autour, ce qui est produit, ce qui est diffusé, ce qui fait culture commune et qui peut être questionné.
Désapprendre individuellement puis collectivement sur notre secteur permettra, peut-être, d’apporter un nouveau récit audible face à des paradoxes tenaces.
- En effet, si le déplacement est le plus impactant en GES, il y a au final très peu de désir de changer : l’aérien se porte bien, les voitures aussi pour accéder aux destinations, qui, rappelons-le, est la principale source de GES dans le tourisme.
- La grande famille institutionnelle porte des intentions palpables, énergisantes, bouillonnantes pour la transformation du secteur mais portent aussi une cacophonie lexicale pour un mode de tourisme qui se veut plus responsable, durable, bienveillant, vertueux, positif, respectueux, équilibré… Et le voyageur dans tout ça ?
« 46 % des répondants se disent concernés par les enjeux environnementaux, mais 76 % d’entre eux « voient vaguement » (38 %) ou « pas du tout » (38 %) de quoi il s’agit ».
« Et alors que 71 % des Français se déclarent sensibles aux labels environnementaux (38 % tout à fait et 33% plutôt), la quasi-totalité d’entre eux (95 %) sont dans l’incapacité d’en citer un seul«
- Le tourisme se veut rassembleur, ouvert sur l’autre, d’expérience, de rencontre, d’interculturalité, d’hospitalité… mais il est au centre de dissonances fortes et de tensions palpables que les médias ont poussées tout l’été. La faute à l’Autre qui ne comprend pas est à son paroxysme selon les sujets : touristes vs locaux, employeurs vs saisonniers, propriétaires vs loueurs, résidences secondaires vs communes, hôteliers vs meublés, médias vs institutionnels, partants vs non partants…
Chemin Désapprenant
Tant d’entre nous agissent au quotidien avec passion, détermination et conviction pour mener des actions qui contribuent à bouger les lignes : transports, sensibilisation des voyageurs, offre de visites éco-responsables, offres de voyage bas-carbone, arrêts de certains marchés, nouvelle observation, calculateur carbone, prise en compte de la qualité de vie et des conditions travail, cartographie d’un nouveau écosystème partenarial au-delà du tourisme, crowdfunding local, travaux prospectifs et j’en passe.
Les chemins d’un nouveau modèle sont pris. Restons humbles, chacun d’entre nous. Personne n’en connait l’issue. Notre force est certainement d’apprendre et désapprendre mutuellement des chemins empruntés par les uns et les autres, leurs apprentissages en avançant, en s’arrêtant, en faisant demi-tour. L’apprentissage de ceux qui emboitent le pas ou de ceux qui bifurquent à un moment, librement.
Image de couverture par Лариса Мозговая de Pixabay