Détricotage à la chambre!

Publié le 2 décembre 2019
6 min

Nos parlementaires vont le faire : trois ans après l’entrée en vigueur (difficile) de la loi NOTRe qui a conduit à la fusion de nombreux offices de tourisme au niveau intercommunal, un article du projet de loi « relatif à l’engagement de la vie locale et à la proximité de l’action publique » prévoit la possibilité aux stations classées, et même aux communes touristiques de rapatrier l’office de tourisme au niveau communal!

Voilà une histoire pas simple pour les non initiés et qui vaut un petit retour en arrière…

La discussion sur le bon niveau de l’organisation touristique ne date pas d’hier et est même un débat assez éternel : l’office doit-il être communal ou forcément intercommunal ? Il y a des arguments nombreux qui penchent pour une taille minimale de territoire pour avoir les moyens de ses ambitions. Parfois, c’est la communauté de communes ou d’agglomération, parfois c’est la station de tourisme. C’est le fameux enjeu de la « bonne échelle de territoire« .

Fallait-il laisser les communes libres de choisir le bon niveau, ou forcer aux regroupements par la loi? Les avis étaient partagés, avec raison d’ailleurs. Mais les parlementaires ont choisi en août 2015 l’obligation intercommunale. Ils ont voté un article de la loi NOTRe, prévoyant que « la promotion du tourisme, dont la création d’office de tourisme » serait de niveau intercommunal. Ainsi, à la date de la mise en oeuvre concrète de la loi NOTRe, soit au 1er janvier 2017, nous n’aurions du n’avoir que des offices communautaires sur le territoire national.

Loi Montagne, le premier accroc

Las, moins d’une année après, suite à un lobby efficace des associations d’élus, le gouvernement revoyait sa copie en permettant aux communes touristiques érigées en stations classées de tourisme de ne pas rejoindre les futurs offices de tourisme communautaires, à condition d’en délibérer avant le 31 décembre 2016. C’est ce qu’un certain nombre de stations ont fait, provoquant des situations étranges, avec des offices communautaires qui n’ont pas dans leur périmètre la ville centre… Ou des offices de tourisme intercommunaux avec dans le périmètre des offices de tourisme de station classée.

La difficile mise en oeuvre de la loi NOTRe

Cependant, au 1er janvier 2017, sur un grand nombre de territoires intercommunaux, les regroupements ont eu lieu, par le transfert de la compétence au niveau communautaire. Selon les situations, il a fallu plusieurs mois pour décider du transfert, et dans certains cas, près de trois ans après, la structuration prévue par la loi n’est toujours pas effective.

Pour les Offices de Tourisme regroupés, la mise en oeuvre n’a pas toujours été simple : passer de 7 ou 10 Offices de Tourisme à un seul, d’une vie en petite équipe à un fonctionnement de PME, d’un seul lieu d’accueil à de multiples BIT n’est pas sans conséquences. Il a fallu accompagner au changement les équipes, embaucher de nouvelles compétences, parfois licencier, repenser une stratégie marketing, refaire les dossiers de classement et la démarche qualité, élaborer un nouveau fonctionnement, sans parler de la mise en place administrative des nouvelles structures.

Deux ans et demi après, ces nouveaux offices de tourisme commencent à peine pour certains à sortir la tête de l’eau, à renouer la relation avec les prestataires, à reconstruire une vie d’équipe, bref à être efficaces…

On pensait donc qu’on allait recommencer à faire du tourisme, mais c’était sans compter avec cette nouvelle loi « engagement dans la vie locale et proximité de l’action publique »

Les stations classées pourront quitter le navire

Que dit ce projet de loi, qui a été discutée en première lecture au Sénat et à l’Assemblée Nationale, et qui est donc sur le chemin de la validation par une CMP (commission mixte paritaire) ?

Il prévoit dans son article 6 que « les communes touristiques érigées en stations classées de tourisme en application des articles L. 133-13 et L. 151-3 du code du tourisme peuvent décider, par délibération et après avis de l’organe délibérant de la communauté de communes ou d’agglomération, de conserver ou de retrouver l’exercice de la compétence “promotion du tourisme, dont la création d’offices de tourisme« 

Extrait du dossier de presse du projet de loi

Concrètement, cela veut dire qu’après la promulgation de la loi qui interviendra avant les élections municipales de 2020, les stations classées de tourisme qui relèvent d’un office de tourisme intercommunal pourront décider de rapatrier l’office de tourisme au niveau communal. Certes, la disposition ne concerne que les communautés de communes ou d’agglomération, mais cela peut avoir un effet énorme : des stations classées « locomotives touristiques » pourraient ainsi repasser en office communal laissant l’office intercommunal un peu tout vide…

Surtout que les députés sont allés un peu plus loin en proposant que les communes touristiques (le premier niveau de classement assez simple à obtenir) pourrait récupérer la compétence après accord de la majorité qualifiée du conseil communautaire.

On imagine facilement les débats qui vont émailler les élections municipales et les différents marchandages qui pourront exister par la suite…

Qui s’inquiète des équipes?

Ce qu’il y a de sur, c’est que les parlementaires ne se sont pas souciés des équipes, qui ont subi une (voire deux fusions) dans les dernières années et à qui on va demander de défusionner! La charge administrative, le coût social et financier de ces défusions seront loin d’être neutres.

Mais, dans les débats autour de ce fameux article 6 de la loi relative à l’engagement de la vie locale et à la proximité de l’action publique, les intervenants ont largement esquivé le sujet des organisations concernées.

J’ai parcouru avec attention l’intégralité des comptes-rendus des débats dans les deux chambres. Si les députés et sénateurs ont été fort nombreux à expliquer que le tourisme a été un « irritant » de la loi NOTRe, argumentant chacun de l’exemple de se circonscription, pas grand monde ne s’est intéressé au sort des équipes.

Je n’ai pour tout dire trouvé qu’une intervention en ce sens, celle du sénateur des Landes Eric Kerrouche. Elle est tellement unique dans le débat que je ne résiste à l’envie de vous en livrer un extrait : « Or vous oubliez que, depuis lors (la mise en oeuvre de la loi NOTRe), deux ans ont passé, durant lesquels ont eu lieu des flux financiers, des transferts de personnel et la mise en place de sociétés publiques locales, les SPL, de syndicats mixtes. Avec la mesure que vous prévoyez, vous allez faire s’effondrer gentiment toute cette belle organisation pour faire plaisir – c’est de cela que l’on parle ! – à quelques stations classées. Ce contresens majeur va remettre en cause des fonctionnements qui sont en cours de lancement.« 

Mais cette intervention n’a pas été suffisante pour freiner l’enthousiasme des parlementaires à défaire dans l’allégresse ce qu’ils avaient fait avec la même ferveur réformiste il y a quatre ans…

Pourrait-on nous laisser travailler ?

Ce nouveau périple de l’organisation du millefeuille touristique emmène deux réflexions et une question.

La première réflexion, c’est qu’en matière de travail en commun, l’incitation fonctionne beaucoup mieux que l’obligation : avant la loi NOTRe, des fusions « désirées » ont été de vrais succès.

La deuxième, c’est que vraiment, le tourisme est toujours une variable d’ajustement permettant de satisfaire d’autres ambitions. Cela montre bien le peu de cas que font les parlementaires de notre industrie.

La conséquence de ce nouveau revirement va encore plus éloigner les prestataires touristiques du millefeuille auquel ils ne comprendront vraiment plus rien et va obliger les offices de tourisme à gérer de l’administratif plus que du développement touristique.

Et ma question est simple : Peut-on envisager dans ce pays qu’une règlementation, une organisation, puisse durer plus de trois ans sans être détricotée? Ce serait pour moi un signe d’un vrai engagement de l’action publique…

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Jean Luc Boulin est consultant en tourisme : Intervention auprès des élus et des prestataires touristiques, coaching, accompagnement des équipes et des directions sont ses principaux champs d'intervention. Avec deux exigences : se mettre à la place du client et oser l'innovation. Directeur de l’office de tourisme de l’Entre-deux-Mers (Gironde) et du pays d’accueil touristique du même nom pendant plus de dix ans, Jean Luc Boulin a dirigé la MONA [...]
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