Je ne sais plus si c’est Maud Bailly ou Sébastien Bazin au sein du groupe Accor qui avait dit cette phrase lors d’une table-ronde mais cela m’avait marqué : « Doit-on se laisser disrupter par les autres ou doit-on nous-même disrupter le secteur de l’hôtellerie ? ».
En ce début d’année, j’aimerais revenir sur cette notion de disruption avec quelques exemples récents de nouvelles technologies qui peuvent forcément poser question sur le rôle, sur les compétences ou sur l’animation d’un OGD en 2023.
DAO – Organisation Autonome Décentralisé, une gouvernance repensée à la sauce Blockchain ?
Qu’est-ce encore que ce machin-là ?
Une DAO, c’est une organisation autonome décentralisée de son acronyme en anglais. Basé sur le protocole Blockchain, ce sont des personnes ou des organisations qui se rassemblent autour d’un sujet commun pour co-construire des projets (réels ou numériques). On peut dire que c’est une forme de coopérative 3.0…
Au départ, c’était un outil de financement pour soutenir des projets développés sur la blockchain Ethereum. C’était donc une application concrète de la situation de « trustlessness », cet environnement où la confiance n’est plus nécessaire, grâce à la blockchain.
Concrètement, il s’agit d’un smart contract (basé sur la blockchain), un contrat qui définit les règles de l’organisation et en détient les clés de la trésorerie. Si quelqu’un essaie de faire une action, une dépense qui n’est pas prévu dans le contrat, cela échouera car le contrat ne le prévoit pas (logique du code). Pour être membre, il faut être détenteur d’un token que l’on achète et qui permet d’avoir un droit de vote sur les projets développés par l’organisation.
Mais quel rapport avec le tourisme ?
Je me suis posé la question si un OGD ne pouvait pas se transformer ou être disrupté par une DAO dans le futur. J’ai posé la question à Fred Cavazza, directeur du SYSK, qui était intervenu à Pau il y a quelques années et dont j’avais suivi la pertinente intervention sur les tendances autour du Web3 (vidéo ici).
Quand je lui ai posé ma réflexion autour des DAO et des OGD, voilà sa réponse :
Non pas vraiment, un OT est une institution locale qui est un outil de développement économique / culturel pour le territoire, donc gouvernance centralisée et locale. Les DAO sont intéressantes pour faire sauter la barrière géographique : fédérer qq dizaines de personnes à travers le monde. Si le projet est local, réunir les parties prenantes dans une pièce n’est pas si compliqué. De plus, il n’existe pas de cadre juridique pour les DAO, du moins pas en France (ça commence à se mettre en place aux USA où il existe différents montages administratifs pour donner une consistence légale aux DAO).
J’étais à la fois déçu (mon intuition n’était pas bonne) et rassuré de voir que les offices de tourisme n’avaient pas forcément d’intérêt à rentrer dans cette nouvelle vision complexe de gouvernance (imaginez un peu le changement pour les élus !)
Néanmoins, j’ai encore creusé le sujet. Je me disais qu’au sein d’une DAO, on pouvait demain intégrer de nouveaux acteurs comme des habitants, de la diaspora (j’adorerais participer activement au développement touristique de l’Alsace en tant qu’alsacien de naissance) ou encore des touristes fidèles en plus des classiques élus et socio-professionnels… et ça casserait justement la barrière géographique dont parle Fred Cavazza dans sa réponse.
L’exemple roumain de Stramosi
Et dernièrement, j’ai découvert Stramosi, un projet lancé en Roumanie il y a tout juste un an de DAO à vocation touristique. Je n’ai pas encore toutes les informations précises sur l’actualité du projet. Je suis en contact avec l’un des fondateurs pour comprendre les tenants et aboutissants ainsi que les difficultés de mise en place du projet.
Mais ce projet est très intéressant ! Il répond parfaitement à la philosophie de la Blockchain et du Web3, c’est-à-dire de sortir de la vision centralisée d’un projet (concrètement la vision portée par le Ministère du Tourisme Roumain) pour construire une organisation portée par des membres qui se disent uniquement des « passionnés de la Roumanie ». Ils ont ainsi créé la marque @Romania avec des résultats probants de présence et d’interactions sur les réseaux sociaux en particulier sur Instagram et TikTok.
Leur token est un NFT, le Stramosi, qui fait la part belle à la culture roumaine avec des personnages générées aléatoirement pour faire ressortir les principaux traits de l’identité du pays. Sur la plateforme d’échange et de vente, un Stramosi peut être acheté autour de 50€ à l’heure actuelle et permet ainsi de participer aux décisions et projets de l’organisation.
Demain, les ambitions de l’organisation seront de continuer à travailler sur la promotion de la marque @Romania et de la destination roumaine mais aussi de développer de nouvelles offres touristiques (infrastructures, sites de visite, etc.) dans le pays ainsi que soutenir et d’accompagner des start-ups pouvant participer au développement du tourisme en Roumanie.
Imaginez juste une seconde la disruption d’Atout France ou d’un CRT sur ce modèle en France, ce serait une sacrée révolution non ?
ChatGPT, concurrent ou partenaire des conseillers dans les offices de tourisme ?
L’excellent billet de François Perroy a montré que ChatGPT était particulièrement efficace et performant sur pas mal de sujets.
La question qu’il faut donc se poser désormais est relativement simple mais aussi éthique : « un outil comme ChatGPT peut-il concurrencer le métier de conseiller au sein d’un office de tourisme » ?
Pour avoir fait de nombreux tests en tant que voyageur potentiel qui cherche des informations sur une destination pour dormir, manger ou pratiquer des activités ou particulier culturels et de plein air, les réponses ne sont pas parfaites mais sont globalement assez pertinente pour un visiteur qui ne connaît pas encore la destination.
Quand on sait que cet outil se base sur les informations de 2021 (c’est ce qu’il m’a dit dans une réponse), il ne faudrait qu’une mise à jour ou un apprentissage en continu des apports (connecté aux SIT ou à DataTourisme ?) pour apporter des réponses sur-mesure auprès des visiteurs qui souhaiteraient découvrir une destination et organiser un séjour.
Un double numérique pour gérer les tâches de base ?
Que ce soit pour répondre aux questions des internautes via Messenger ou par mail, cet outil ne pourrait-il pas faire gagner un temps important à une partie des salariés d’un office de tourisme.
En se plaçant en tant que manager, il serait bien plus intéressant d’avoir une personne dédiée à nourrir ChatGPT sur de multiples questions, sur l’amélioration des réponses apportées (j’ai par exemple expliqué à ChatGPT qu’une randonnée qu’il me proposait n’était pas dans la destination souhaitée et m’a avoué son erreur avant de proposer d’autres propositions adéquates) plutôt que de laisser cette personne répondre aux questions des internautes à distance ? Ainsi, un conseiller en desk pourrait profiter des moments creux à l’office pour nourrir ChatGPT et resterait disponible quand les visiteurs seraient présents dans l’office. En pleine saison, ce serait un gain de temps très important de pouvoir compter sur son « double numérique » non ? C’est d’ailleurs ce qu’il expliquait dans une réponse apportée à François Perroy dans son billet.
L’outil sera-t-il utilisé demain par un conseiller privé, par une grande entreprise de la tech ?
Au-delà de cette question d’optimisation du temps de travail pour certains salariés d’un office de tourisme, il s’agit aussi de se poser la question du risque de disruption sur ce métier de conseiller par un autre acteur ?
Bien sûr, ce n’est pas à négliger ! Un acteur privé pourrait très bien se saisir de cette opportunité technologique pour lancer du conseil personnalisé dans le tourisme. L’outil n’est pour l’heure pas en open source et nous ne savons pas quels sont les jeux de données qui l’a nourri historiquement. Mais on pourrait très bien imaginer un outil parfaitement adapté et entraîné pour des requêtes à vocation touristique. Les internautes passeraient ainsi en priorité par cet outil pour demander des conseils et informations plutôt que de chercher l’information auprès d’un office de tourisme spécifique. Il faudra donc pour un office de tourisme de vérifier que l’outil préconise parfaitement à l’internaute de se rendre sur le site de l’office de tourisme en question (comme on le fait aujourd’hui à travers les contenus et le SEO) ou de pousser les bonnes offres souhaitées par la destination. L’OT devra alors entraîner / nourrir l’outil régulièrement.
La compétence « information » de l’OT fragilisée. La compétence « animation des socio-pros » renforcée.
Si on prend un peu de hauteur par rapport à cette innovation, il est intéressant de regarder à nouveau les compétences obligatoires d’un office de tourisme. Quelles sont les compétences les plus à risque en matière de disruption technologique ?
Dans le tourisme, on continue à mettre en avant l’importance de l’humain, de la rencontre, etc. Or, on sait pertinemment depuis des années que le tourisme s’est largement numérisé, que le visiteur utilise Internet à toutes les étapes de son séjour pour s’informer, pour réserver, etc. Ce ChatGPT le prouve encore une fois et va toucher directement la relation du visiteur (ou du prospect) avec la destination. Cette compétence de l’information au voyageur est encore plus fragilisée aujourd’hui. Or, dans la masse salariale d’un office de tourisme, quel est le poids budgétaire de cette compétence ? Pour éviter toute disruption, ne faudrait-il pas se recentrer sur les métiers où les technologies numériques ne viendront pas tout chambouler rapidement ?
C’est bien entendu le cas de l’animation des socio-professionnels, afin de les accompagner dans l’évolution de leurs offres, de leur permettre d’avoir les clés pour bien accueillir, pour bien communiquer, pour être parfaitement reconnu par les conseillers (numériques et humains) de demain, pour bien s’adapter aux changements (nouvelles attentes des voyageurs, nouvelles réglementations, effets du changement climatique, etc.). Avec tous les changements sociaux, sociétaux et technologiques, ces professionnels ont besoin d’être parfaitement épaulé dans cette conduite du changement. C’est forcément plus compliqué car il faut prendre du temps pour écouter, motiver, supporter l’Autre mais ça, ChatGPT, ne pourra pas le faire…