Encore un billet sur Google !…
Oui, c’est vrai, Google, on vous en parle très régulièrement sur ce blog… Il faut dire que les initiatives du géant de Mountain View donnent matière à écrire et commenter presque chaque semaine, et que la firme défraie régulièrement la chronique pour ses positions ambiguës dans bien des domaines… « Don’t be evil » (littéralement, « Ne soyez pas malveillants ») est sa devise depuis sa création, prônant qu’il est possible de « gagner de l’argent sans vendre son âme au diable », selon la volonté supposée de ses créateurs de faire de Google une société altruiste qui œuvre pour un monde meilleur… Probablement un monde où l’accès au web se ferait quasi-exclusivement par Google, à travers un moteur de recherche qui mettrait en avant des services Google, qui permettraient à Google de générer des revenus publicitaires toujours plus importants et de diversifier ses sources de revenus le jour où ce sera nécessaire. Et nous avons la « chance » d’évoluer dans un secteur d’activité où les ambitions de Google ne font plus l’ombre d’un doute ! Tour d’horizon d’un monde meilleur, dans lequel nous allons (vraiment) devoir nous réinventer pour conserver une place légitime dans la promotion des destinations…
De quoi parle-t-on ?
Depuis très longtemps, nombre d’experts s’intéressent de près aux velléités de cet acteur pas tout à fait comme les autres dans notre industrie touristique. Je pense notamment au billet prospectif de Mathieu Bruc, qui nous présentait dès 2010 ce que pourrait être « TROOGLE », le portail dédié au voyage, lancé par « GoogleTravel », principalement alimenté par les contenus des voyageurs eux-mêmes… Mathieu nous présentait alors ce portail fictif en concluant que « Un des principaux enjeux de Troogle sera d’agglomérer et de synchroniser tous ces services sur une seule et même interface autour d’une ergonomie irréprochable pour ainsi former le ‘supermarché’ des voyages » et de conclure « Le jour où le titre de ce billet passera de la fiction à la réalité, les DMO seront en ‘concurrence’ avec des millions de voyageurs. Une des seules possibilités serait peut-être de passer à la ‘Google Caisse’ pour afficher leurs contenus en priorité dans les pages de résultats (un peu sur le modèle éprouvé des liens sponsorisés). »
Destinations, My Business, Trips, Flight… Ajoutez Google devant chacun de ces mots et vous avez là un petit aperçu de la panoplie des services de la firme dans le domaine du voyage. Si Google a toujours eu des velléités à se positionner sur ce secteur, cela s’est très clairement accentué ces derniers mois et concerne désormais toutes les étapes du cycle du voyageur.
Dans le même temps, Google a fait évoluer insidieusement la présentation de ses pages de résultats, arrivant à purement et simplement faire disparaître toute trace de résultats naturels au-dessus de la ligne de flottaison et à rendre quasi imperceptible la différence entre liens sponsorisés et résultats naturels…
Outre le fait de confirmer les facultés divinatoires de Mathieu 😉 ce billet (qui fait écho à mon intervention sur la conférence des #ET12 « METTRE LE PARCOURS CLIENT AU CŒUR DE SA STRATÉGIE DE MARKETING DE DESTINATION »), va surtout être l’occasion de faire le lien entre d’une part les nouveaux services de Google dans le ‘travel’ et d’autre part l’évolution de ses pages de résultats. Car dans un contexte de « Google dépendance » généralisée, la conséquence à relativement court terme de ces 2 phénomènes pour la plupart des sites de destinations pourrait bien être une baisse significative et irrémédiable de trafic issu des résultats naturels de recherche.
Google et le voyage, une longue histoire d’amour…
Vous vous rappelez tous des premières grandes sorties significatives de Google dans le secteur du voyage dans les années 2012-2013 : Google Flight, facilitateur des réservations de vols sans quitter l’interface de Google avec, à portée de clics, du choix, des comparatifs et de l’achat, puis Google Hotel Finder, qui se positionnait alors en facilitateur pour comparer très rapidement et en moins de clics les établissements liés à la requête de l’internaute.
A cette époque, Google mise sur l’étape du cycle du voyageur qui transforme et attire les budgets publicitaires : la réservation ! Comme à cette époque, les points de contact de ces besoins-là restent encore les moteurs de recherche (depuis, les OTA investissent sur leurs marques pour tenter de devenir des points de contact prioritaires et ainsi échapper au modèle publicitaire de Google qui leur coûtent des milliards d’euros…) et que Google représente grosso modo 90% des recherches, on comprend bien la force de frappe et l’enjeu de ces 2 outils, qui, combinés aux variantes du programme AdWords, démultiplient les sources de revenus publicitaires de la firme.
Puis on voit apparaître, dès 2013, les carrousels de « Lieux d’intérêts » et « Destinations »…
Le temps que tout ça s’installe progressivement et Jean Luc nous présentait « Le contrat de destination selon Google »… Premier changement de paradigme et déstabilisation timide de la sphère eTourisme, car on n’est visiblement plus dans le domaine commercial de la vente de billets ou de nuitées, mais sur quelque chose qui commence potentiellement à ressembler à de l’information touristique, du guidage. Google ne met plus en avant des prestataires qui vendent mais facilite la recherche de l’internaute en l’orientant vers des POIs incontournables et territoires touristiques… En tant qu’institutionnels, la question se pose alors légitimement de l’impact sur les sites de destinations si Google commence (un tout petit peu) à essayer de prendre une place de conseil et d’expert de la destination. Mais bon, on se rassure vite à l’époque en se disant que l’information n’y est pas de qualité, que les « choix » de lieux d’intérêt de Google n’ont pas de sens touristique, etc.
En parallèle, les fiches Google Adresses commencent à prendre de plus en plus de place. A l’origine, ces fiches étaient relativement peu fournies, peu illustrées, se limitaient à un petit encart lors d’une recherche d’un lieu / établissement… Pas trop d’inquiétudes ! On est loin de la richesse et de l’exhaustivité des SIT, et en plus, dans les SIT, l’information, elle est fiable au moins, validée par l’OT !
Certes… mais c’était sans connaître Google, qui en laissant la main aux prestataires pour alimenter leur propre fiche avec la promesse d’une forte valorisation, s’est constitué une base de données extrêmement riche et qualifiée, tout en laissant le soin aux internautes de « valider » les descriptifs des dites prestations à travers leurs notes et avis, eux-mêmes mis en avant. On ne rentrera pas ici dans le débat de la fiabilité des avis d’internautes vs la caution de l’OT, ce n’est pas le sujet.
Au fil du temps, ces fiches Google Adresses se sont transformées en fiches Google My Business (GMB) à la visibilité croissante, à faire pâlir tout institutionnel du tourisme qui chercherait à travailler son référencement en longue traine… Mieux, GMB agrège de plus en plus de services et d’informations exclusives, extrêmement utiles, à l’image de l’accès immédiat à la disponibilité et à la réservation pour les hôtels, des heures d’affluence de l’établissement en question, désormais en temps réel, ou encore de la possibilité d’envoyer une fiche sur son téléphone ! Et tant qu’à faire, ces fiches extrêmement détaillées se positionnent non seulement en position extrêmement privilégiées dans les pages de résultats de recherche mais également dans Google Maps et Google Destinations (on en reparle juste après). Résultat : on observe sur les sites des prestataires concernés des taux de croissance du trafic en provenance de GMB dépassant les 50% ! Un trafic qui devient évidemment bien plus stratégique pour un hôtelier ou restaurateur que celui fourni par le site de sa destination… (oups!)
Au printemps dernier, Google lançait « Destinations » sur la version mobile de son moteur de recherche. Rappelez-vous, il fallait alors taper une requête très précise du type « rhône-alpes destinations » pour voir apparaître des « guides de voyage » qui commençaient à agréger quelques informations et services pertinents. Mais là-encore, faible pertinence des propositions et pauvreté de l’information à l’époque ont conduit à ne pas prêter une grosse attention au phénomène… Sauf qu’en l’espace de quelques mois à peine, Google a réussi à fiabiliser ce service de manière totalement bluffante, ce qui lui a permit dès septembre de le décliner sous la forme de l’application mobile « Google Trips » (largement présentée sur ce blog, je n’y reviens pas) mais également de le généraliser à la version desktop du moteur de recherche… Mieux ! Google Destinations est désormais imposé sur des typologies de requêtes extrêmement variées et historiquement dédiées aux DMO : « vacances en France », « Aquitaine tourisme », « visiter l’auvergne », « vacances en Ardèche »… Difficile de trouver des requêtes liées aux destinations qui ne soient pas « squattées » par Google Destinations !
Au final, dans une démarche exemplaire de « test and learn », Google a réussi en à peine 2 ans à mettre en place un écosystème complet qui permet à un touriste potentiel exprimant une simple recherche « froide » telle que « vacances en France » de boucler intégralement la préparation de son voyage, y compris en réserver les différentes composantes, sans jamais avoir à sortir de cet écosystème, et, cerise sur le gâteau, de retrouver toutes ses informations utiles à son voyage dans Google Trips, y compris s’il ne dispose pas de connexion sur place !
Tout cet écosystème ne s’appelle pas Troogle, mais il va probablement bien plus loin que ce qu’on pouvait imaginer il y a quelques années…
Google et les DMOs, je t’aime moi non plus
Acte 1 : se rendre incontournable
Google c’est un peu le gars populaire du lycée. On veut qu’il nous apprécie parce qu’on sait qu’il pourrait nous être très utile et qu’à l’inverse, s’il ne nous aime pas, nous rendre la vie compliquée.
Alors on fait tout pour plaire à Google. On suit ses recommandations, on le brosse dans le sens du poil, on écrit pour lui, on structure le site et ses contenus pour lui, on suit les bonnes pratiques qu’il nous donne et on espère que oui, il va nous mettre en avant, nous favoriser et nous faire venir pas mal de monde sur nos sites.
D’ailleurs, jusque là, ça marche plutôt pas mal : tous les efforts et moyens consacrés au référencement naturel ont fait largement augmenter le trafic ! Et comme le principal indicateur de performance digitale des institutionnels reste le nombre de visiteurs web sur le site de la destination, les efforts prioritaires continuent d’être consacrés à ce qui génère du trafic… Google fournissant du trafic « gratuit » (si on oublie de compter le temps passé et/ou la rémunération de son agence SEO), on mise tout la-dessus ! Logique…
Acte 2 : privilégier ses propres intérêts
Sauf que, tout comme le gars populaire du lycée, le jour où il y a un intérêt supérieur et avéré, Google prend ses distances et retient progressivement le trafic qu’il vous attribuait généreusement ! Avez-vous constaté à quel point la visibilité des résultats naturels n’a cessé de baisser ces dernières années ? Vous vous battiez pour rester en première position ? Mauvaise nouvelle : vous l’êtes bien toujours, mais il faut scroller au 3ème écran pour vous voir !
En à peine plus de 2 ans, la plupart des premières places naturelles sont passées du 1er écran à la fin du 2nd, voire au 3ème. Au profit d’un ensemble de « services maison » qui ont tous comme point commun de rediriger le trafic vers un ensemble d’espaces propices au clic payant :
Espace liens sponsorisés
Carrousel Lieux d’intérêt
Google Destinations
Google My Business
Google Maps (et Hotel Finder, qui a perdu son identité propre)
Google Flight
Knowledge Graph
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Acte 3 : optimiser ses revenus
Et comme il n’y a pas de raisons de se priver de revenus additionnels, Google rivalise dans le même temps d’ingéniosité pour favoriser le taux de clics sur les liens sponsorisés… mais toujours par petites touches, pour ne pas éveiller les soupçons de l’utilisateur (puisque c’est pour le bien de l’utilisateur qu’œuvre Google, hein, n’en doutez jamais !).
Aviez-vous conscience, qu’en l’espace de 3 ans, la présentation des liens de résultats avait à ce point évolué ? C’est le fruit d’une succession de dizaines d’évolutions mineures, à peine perceptibles, qui ont permis de progressivement réduire la différence de présentation entre résultats naturels et liens sponsorisés…
Parmi les plus impactantes de cette année, on peut noter :
- Ajout d’un 4ème résultat payant en haut de page
- Abandon des résultats payants en colonne de droite
- Changement de couleur de l’étiquette « annonce » qui passer du jaune orangé au vert
- Réaménagement de la structure des annonces AdWords (+140% de caractères pour les titres, +14% pour les liens et regroupement des 2 lignes de descriptif) et ajout de nombreuses extensions d’annonces cumulables
Pour cette dernière évolution, Google ne cache d’ailleurs pas ses intentions et laisse même espérer à ses annonceurs un potentiel de +20% de taux de clics sur ces nouveaux formats !
Au final, en l’espace de 9 mois, on est passé de 50% des internautes qui ne faisaient pas la différence entre les résultats payants et naturels à près de 55%… Mettez ce chiffre en perspective du volume de pages avec liens sponsorisés servies par Google chaque seconde et vous aurez une idée de l’enjeu de ces évolutions pour les revenus publicitaires de Google…
Epilogue
Même si « don’t be evil » reste sa devise depuis sa création, Google nous démontre chaque jour à quel point il a un appétit d’ogre quand il s’agit d’argent ! Il semblerait bien qu’en ce qui concerne l’industrie du voyage, Google ait trouvé le modèle ultime avec d’un coté sa palette de services lucratifs qui constituent un véritable écosystème orienté client, et de l’autre les évolutions globales de ses pages de résultats de recherche qui lui donnent les moyens de l’imposer au plus grand nombre, quel que soit le besoin, exprimé ou non.
La mécanique désormais en place adresse toutes les étapes du cycle du voyageur et s’impose à tous ! Dans ces conditions, on se doute bien que le trafic issu des résultats naturels va devenir de plus en plus compliqué !
Alors, évidemment, l’optimisation de son référencement naturel reste une priorité, un passage obligé pour conserver son audience (à moins d’envisager comme certains la fermeture de son site web pour se consacrer à d’autres vecteurs, mais ça, c’est un autre débat…). Mais il faut désormais prendre conscience que le trafic « gratuit » sur Google va se raréfier (comme ce fut le cas pour le reach naturel sur Facebook), et que se soigner contre la « Google dépendance » devient une nécessité pour éviter de rentrer dans le jeu de l’audience payante. Trouver d’autres leviers de visibilité et de captation tout en mesurant sa performance par d’autres indicateurs que le volume de visiteurs web pourrait être un bon traitement… A condition toutefois de se rappeler au préalable que le métier d’un DMO est de développer sa fréquentation touristique, pas son audience web…
Et vous, il se porte comment votre trafic SEO ?