Dressons nos algorithmes !

Publié le 22 novembre 2019
3 min

Innovation et dystopie (l’utopie qui tourne mal, quoi)

Mr Orwell doit sacrément se retourner dans sa tombe, lui qui fit naître sous sa plume le monstrueux Big Brother ; peut-être Sir Huxley non loin de lui et tout aussi consterné, partage-t’il ce désappointement.

Plus récemment, Joaquim Phoenix tombait en amour pour son IA personnelle dans « Her », et Will Smith arpente régulièrement des terres ravagées par la main de l’homme.

La littérature, la BD, le cinéma… regorgent d’oeuvres d’anticipation, qui pour la plupart ont été produites par des « lanceurs d’alerte » avant l’heure.

Ca finit toujours mal. Et pourtant, on y va quand même.

Alors point de collapsologie dans cet article, juste des questions partagées.

Où les algorithmes nous mènent-ils ?

Sur mon application de streaming musicale préférée, je sélectionne parfois la fonction flow, dont l’algorithme « intelligent » s’appuie sur mes propres playlists pour me proposer des contenus similaires. Pendant quelques temps, j’ai bien tourné en rond. Et puis une amie m’a demandé mes codes de connexion, que je lui ai donné sans penser au fait que nous n’avions absolument pas les mêmes goûts musicaux. Non contente de supporter dans mon nouveau flow Sardou, Jul et Rihanna (c’est très subjectif, ne criez pas), j’ai surtout vécu le constat criant de mon enfermement total dans mon algorithme personnel.

Cette sorte d’animal de compagnie virtuel, ce valet immatériel, tout fier de précéder mes désirs, me piégeait finalement dans ma propre conscience du monde, nécessairement étriquée puisque non confrontée, éprouvée, par la coexistence avec l’autre.

Et dans le tourisme, ça donne quoi ?

Fût un temps où les Offices de Tourisme renseignaient leurs bases de données clients de manière aléatoire ; puis au nom du marketing et de la segmentation, les OGD ont commencé à collecter cette donnée, en ne sachant parfois pas trop qu’en faire.

A l’heure de la dataviz (pardon, de la visualisation de données) et des datas prediction models (de l’analyse prédictive)*, la donnée vaut de l’or, c’est le carburant qui fait marcher cette belle machine.

Se créent sur cette base une série d’innovations, au service de la devenue incontournable hyper-personnalisation. De cartes thématiques en applis communautaires, le prédictif nous enferme et nous fait tourner en rond autour de notre propre nombril : si vous aimez le vin alors on vous suggèrera de visiter des caves, de manger dans des restos gastronomiques, de participer à des micro-vendanges, le tout saupoudré d’un peu de patrimoine, parce qu’on a constaté que vous aviez effectué vos recherches de séjour depuis un Mac, donc vous êtes une CSP+, donc vous avez une appétence pour le patrimoine. Logique. Dommage, les charmes de la rando en kayak vous échapperont et vous ignorerez tout de la chasse aux trésors en famille, que votre âme d’enfant aurait pourtant adoré.
Le savoureux mélange data & marketing créée une offre stéréotypée.

Le biais de confirmation
Ce qui agit et infuse, lorsqu’on laisse des programmes informatiques décider du panel d’horizons qui s’offre à nos yeux, c’est le biais de confirmation d’hypothèses. Baignant dans un environnement quasiment exclusivement constitué d’éléments qui nous conviennent, nous rassurent et confortent nos certitudes (la musique que je « devrais » aimer, les destinations qui « devraient » me plaire, les actus/médias qui « devraient » m’intéresser…), nous leur accordons plus de crédit qu’à des potentialités plus éloignées voire inconnues. Les algorithmes des réseaux sociaux, vecteurs promotionnels puissants dans l’industrie du tourisme, accentuent le phénomène de vase clos.

Appliqué au tourisme, il est embêtant ce biais de confirmation : Quid de la sérendipité ? Du hasard ? De la rencontre fortuite ? De l’accident ?
Est-ce que voyager, ce n’est pas d’abord faire acte de curiosité ?
Alors, en tant qu’ODG, où placer le curseur entre l’interminable exhaustivité de l’offre et l’ultra-segmentation au service de l’expérience client ? Si vous avez envie de creuser cette question, vous pouvez lire ce très documenté billet du blog affordance.info sur les différents biais cognitifs (prévoyez une bonne tasse de thé et votre chat sur les genoux), ou regarder cette drôle mais instructive vidéo de la Tronche en Biais (et rajoutez une bûche dans la cheminée).

 

*on parlera de la confiscation du langage une autre fois !

 

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Laurence Giuliani dirige Akken, agence de production sonore pour les destinations touristiques et les lieux de culture. Anciennement responsable d'un Office de Tourisme en milieu néo-rural (ou péri-urbain, comme vous voulez), manager d'artistes, productrice en label indépendant, Laurence cultive la curiosité comme carburant du quotidien. Ses marottes : le son, le tourisme culturel et le "komorebi", cette lumière qui filtre entre les arbres, comme des fêlures de timidité entre les [...]
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