Voir l’invisible
35% des nuitées* en hébergement touristique marchand sont effectuées par des personnes qui ne relèvent pas de nos schémas de développement touristiques. Ils ne sont ni touristes, ni vacanciers, ni voyageurs d’affaires, ni thermaliste, etc. Et si nous incluons toutes les personnes de passage moins d’un an sur nos territoires alors la statistique monte à 75%* (étudiants, travailleurs détachés, aidants, etc.). C’est ce que nous appelons la pluri-hospitalité.
Certes il y a des différences entre les territoires urbains et les territoires ruraux, mais les enquêtes de terrain nous révèlent que cette pluri-hospitalité est également très présente en milieu rural (travailleurs détachés, saisonniers, apprentis, hébergement d’urgence, etc.). Avec des OGD, des PNR et des hébergeurs qui nous ont fait part de cette réalité et qui ont témoigné du manque d’aide pour cadrer ces accueils spécifiques.
Une fois que nous connaissons ces chiffres que choisissons-nous de faire ? Nous laissons ces centaines de millions de nuitées se réaliser au petit bonheur la chance ? Sans stratégie pour structurer l’offre, attirer et répondre à ces demandes bien réelles ? Nous laissons des millions de passagers séjourner sur nos territoires sans les avoir pris en considération ? Ou bien nous les incluons dans nos stratégies et nous en faisons un levier de transition pour notre économie locale ? Aussi bien concernant la qualité de l’accueil que nous leurs proposons qu’en tant qu’un axe complémentaire de développement pour nos destinations, inclure ces passagers dans nos schémas est aujourd’hui plus que pertinent.
nouveaux modèles et coopération locale
Nous le savons le principal impact environnemental de notre secteur est le déplacement de nos visiteurs, et bien sachez que ces autres passagers sont en très grande majorités régionaux et pour la quasi-totalité nationaux. Dès lors cela réduit la facture carbone et qui plus est cela est plus facile pour pousser vers le train, les mobilités douces, l’autopartage, etc. Eux aussi ils comptent dans nos bilans carbones ! Effet bonus, ils ont presque tous des durées de séjours plus longue que les touristes et se déplacent beaucoup hors saison.
L’hospitalité c’est aussi pour les habitants. Les faire participer à l’organisation de l’accueil des voyageurs c’est bien, mais si nous pouvons coopérer avec eux afin de répondre à leurs propres besoins d’hospitalités c’est mieux ! Les habitants ils accueillent des proches, ils organisent des mariages et des fêtes. Les habitants ils sont dans des associations diverses et ils organisent des rencontrent ou des évènements avec des personnes venant d’ailleurs. Ils sont dirigeants d’entreprises, commerçants, artisans et ils accueillent des apprentis, des stagiaires, des stages BAFA, des workshops, etc. Pour tout cela ils ont besoins d’hébergements, d’espaces, d’activités, de services, etc. Ils ont des besoins et sont prescripteurs d’hospitalités.
Une fois encore que faisons-nous de ces éléments ? Nous laissons tout cela s’organiser tout seul ou bien nous l’incluons dans nos stratégies pour mieux y répondre ? Nous pouvons y voir aussi bien un nouvel axe de développement, qu’un moyen pour que le secteur du tourisme puisse également être une fonction support au service des autres activités, économiques, sociales ou éducatives, de son territoire. Plutôt que d’expliquer aux habitants en quoi le tourisme est hyper important et très positif pour eux, ne pourrait-on pas plutôt leur être utile concrètement et directement ? Ces habitants ils ont un savoir immense sur leur territoire et généralement ils sont content de contribuer à son récit. Cependant nous avons pu observer que leurs contributions voir leur implication dépendent de l’objectif poursuivit. Ils se mobilisent plus facilement et plus durablement si cela contribue à nourrir une cause commune (fierté locale, projet social, transmission, intergénérationnel, etc.). À nous de nous mettre en posture d’accompagner leurs aspirations plutôt que de chercher à remplir les indicateurs d’évaluation de notre plan d’action.
Mesures rectificatives ou changement structuraux ?
L’approche par l’hospitalité permet d’ouvrir de nouveaux horizons. Quoi de plus logique lorsque l’on change de position et de point de vue ? Depuis des dizaines d’années nous nous sommes professionnalisés, symbolisé par le passage des syndicats d’initiatives en offices de tourisme. Cette étape était nécessaire afin de structurer, homogénéiser et développer nos destinations. Aujourd’hui nous avons besoin de rééquilibrer la balance et de remettre de la coopération multi-partie au sein de nos structures et de notre gouvernance. Nous pouvons nous inspirer de la gouvernance des syndicats d’initiatives pour cela. Les mêmes problématiques reviennent sans cesse dans nos débats, ateliers et nos tables-rondes, pour chasser nos marottes peut-être avons-nous besoin de faire différemment ?
« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ! ». Cette célèbre phrase d’Albert Einstein est toujours aussi éclairante à l’heure où la transition est sur toutes les bouches et dans toutes les têtes. Pour nous il est évident qu’il nous faut nous réinventer pour trouver des solutions à nos problématiques actuelles. Et lorsque ces problématiques sont aussi nombreuses et qu’elles annoncent des ruptures aussi importantes, alors ce ne sont plus des mesures qu’il nous faut prendre mais des changements structuraux qu’il nous faut opérer. Passer d’une hospitalité touristique à une hospitalité plurielle peut rendre possible des choses que l’on n’imaginait même pas jusqu’à présent. C’est une piste de solution, de même que de faire évoluer nos schémas de développement comme nous en avons discuté avec Guillaume. Nous pouvons également nous appuyer sur le développement de communautés locales d’hospitalités comme outil pour mettre en œuvre cette hospitalité nouvelle, mais ça ce sera l’affaire d’un futur article.
*Source : Prosper Wanner, sociologue et ethnographe, Docteur en Lettres et Sciences Humaines, label Européen, « Tourisme social, économie collaborative et droits culturels : ethnographie d’une coopération complexe ». Responsable des travaux de Recherche et Développement au sein de la coopérative Les oiseaux de passage.