Cyber-entretien(*) avec Kaelan Robinson, créateur de Sydney eBook Factory, Australie
Bonjour. Vous dirigez depuis un an la Sydney eBook Factory. Pouvez-vous nous présenter son activité.
Avant de vous présenter son activité, si vous le permettez, j’aimerais vous dire comment est né ce projet. Comme vous l’imaginez, l’Australie attire de nombreux touristes chaque année et nos organisations touristiques rivalisent d’ingéniosité pour les attirer et les accueillir. D’où ces dernières années beaucoup d’initiatives audacieuses et innovantes dont la caractéristique générale est qu’elles sont nées d’un croisement entre professionnels qui, au départ, n’avaient pas grand chose à voir avec le tourisme. Ainsi beaucoup de projets sont nés avec des philosophes, sociologues, neuromarketeurs, romanciers et bien d’autres profils. Chaque année de grands appels à idées sont lancés auprès du public pour trouver de nouvelles façons de communiquer avec les touristes. C’est la mise en oeuvre concrète et rituelle de l’open innovation** appliquée au tourisme. Et c’est comme cela que j’ai été amené à m’intéresser au milieu du tourisme.
Parce que vous-même venez de quel milieu ?.
À la base je suis designer. Et alors que je finissais mon master, j’ai vu sur une plate-forme d’innovation ouverte, un appel à idées pour les réponse à apporter à la fulgurante ascension des smartphones et tablettes chez les touristes. Selon les prévisions les mobinautes seront plus nombreux que les internautes d’ici 2015. La croissance des fréquentations de sites sur téléphones et tablettes est phénoménale avec une mention spéciale à l’iPhone et l’iPad qui représentent 75 % du trafic web des mobiles.*** J’ai donc essayé d’articuler une réponse innovante avec l’aide d’un ami qui , lui, était étudiant en journalisme. A l’époque nous étions très excités par les opportunités que représentaient les livres électroniques. C’était pour nous Gutenberg 2.0 ! On pouvait sans aucun intermédiaire, et sans compétence technique particulière, créer son livre multimédia et le diffuser sur la planète. Il suffisait d’avoir des idées et du talent.
D’où votre projet Ebook Factory.
En effet nous avons proposé la création d’une agence spécialisée dans l’accompagnement de la création de livres numériques multimédia. Avec un auteur principal : la foule ! Nous vivons une époque où beaucoup de stratégies numériques font appel à la foule, pour des collectes de fonds, d’idées, d’informations, de critiques, de commentaires, etc. Et bien là, nous proposons «à la foule» de devenir auteur d’ouvrages à vocation touristique. Cela se fait en plusieurs étapes. D’abord un appel à auteurs. Tous les mois nous proposons un angle d’écriture. Par exemple, ce mois-ci, nous demandons des propositions de livres sur les randonnées à cheval. Les réponses doivent être pertinentes sur le sujet et originales sur la forme. Et nous sommes à chaque fois surpris par l’intelligence créative de la foule. Les gens ont atteint un tel niveau de maitrise numérique à la maison qu’ils sont souvent bien plus imaginatifs que les professionnels que nous sommes. Et s’ils sont retenus nous leur offrons une formation aux outils auteurs les plus accessibles.
Lesquels par exemple ?
Nous avons un petit faible par exemple pour «iBook Author» d’Apple qui est un outil ultra-simple de création de contenus multimédia. Si vous savez faire une présentation de type powerpoint, vous savez faire un livre contenant texte, vidéos, graphes, questionnaires, animatiques et bien plus. Et l’aspect le plus intéressant est que lorsque votre livre est terminé vous pouvez l’envoyer à Apple pour le distribuer auprès de tous les utilisateurs d’iPad. Vous en fixez le prix et vous percevrez 70% du montant de chaque vente. Mais dans notre cas beaucoup d’auteurs préfèrent les diffuser gratuitement. C’est cette démarche qui a permis la création et l’édition de centaines de livrets et livres à vocation touristique. Une démarche qui aurait été économiquement impossible avec des livres papier et les logiques habituelles et lentes de l’édition traditionnelle.
Et comment s’articule la relation entre vous et le monde des acteurs touristiques ?
Nous avons une relation très étroite à tous les stades. D’abord ils nous formulent leurs attentes de contenus en fonction de leurs action à venir et de leurs priorités marketing. Ce qui nous permet de faire nos appels à auteurs. Ensuite ils récupèrent les livres créés et en assurent la promotion. En amont ils les diffusent à grande échelle aux futurs visiteurs pour les aider à préparer leurs séjours. Pendant les visites ils offrent aux visiteurs la possibilité de les télécharger dans les offices et les hôtels. Pour cela nous utilisons essentiellement la technologie des QR codes. Ainsi depuis des affiches ou des documents papiers les mobinautes peuvent télécharger leurs livres numériques. Et après le séjour, des livres sont régulièrement envoyés afin de rester en lien avec nos différents publics et de profiter de l’essaimage de nos livres via leurs réseaux sociaux.
Qu’est-ce que cela a de différent d’un site ou d’une application nomade ?
Un site permet de trouver rapidement une information et de zapper d’un sujet à l’autre. Et il n’est accessible qu’en ligne. Un livre propose un cheminement, une histoire, un mode de navigation. Et de plus il se télécharge pour pouvoir ensuite être consulté à n’importe quel moment même au milieu du désert. Quant aux applications nomades elles sont très chères à produire, alors qu’avec le livre nous arrivons pratiquement à un cout de production zéro. Cette démarche à d’ailleurs amené énormément de projets de créations d’applications nomades à simplifier leur approche pour faire des apps plus modestes et les compléter par de nombreux iBooks thématiques.
Qui sont vos auteurs ?
La diversité est très grande. Beaucoup de passionnés, de photographes, de vidéastes. Des mères de famille, des seniors, et même des adolescents. Des gens comme vous et moi et aussi des professionnels qui y voient une vitrine pour leur talent. Ces derniers temps de nombreux auteurs proviennent de nos visiteurs chinois et japonais. Car bien entendu nous «recrutons» également chez les touristes qui sont invités à participer à des ateliers d’i-écriture. Surtout qu’il y a depuis de très bons logiciels auteurs sur tablette **** qui permettent de fabriquer son ibook en quelques minutes depuis sa tablette.
Pour vous quelles sont les clés de la réussite de votre démarche.
D’abord de faire le pari que le public a du talent à revendre et la logique «peer to peer» fait que les gens veulent de plus en plus avoir des informations émanant de leurs pairs. Ensuite que les livres numériques sont une alternatives judicieuse et économique aux sites et applications dédiées. Enfin que la notion de livre est loin d’être morte si nous essayons d’en réinventer les formats et de les rendre accessible au plus grand nombre.
Cout de l’opération.
D’abord c’est un coût d’exploitation très faible, car avec les effets de levier du web et des outils de communication et de formation à notre disposition nous pouvons toucher des publics très larges avec très peu de monde. Ensuite le projet a entièrement été financé par des économies faites sur d’autres dépenses numériques et papier. La clairvoyance de certains décideurs a permis de remettre en cause des pratique et des dépenses afin d’optimiser les fonds investis. La modernité, ce n’est pas l’utilisation de nouveaux outils, c’est la mise au point de nouvelles pratiques !
Merci
(*) cyber-entretien : entretien qui aurait très bien pu être réel et qui ne recourt qu’à des technologies à notre disposition
(**) open innovation ou innovation ouverte : approche visant à faire appel au public pour trouver des idées et solutions sur des nouveaux produits ou services. C’est un peu le concept des petites annonces appliqué à l’intelligence créative collective. un site exemplaire en est : www.innocentive.com
(***) voir l’étude récente : http://appleinsider.com/articles/12/09/27/apple-ipad-dominates-tablet-based-web-browsing-with-98-share-report-says
(****) Book Creator , Book Writer sur iPad par exemple