Ah qu’il est bon de tourner la page d’une année et d’une décennie. On repart tout neuf. C’est chouette le matin du 1er janvier. On vient juste de quitter ses amis mais c’était déjà l’an dernier, une autre décennie. Et ce premier jour de notre nouvelle révolution autour du soleil est propice à s’interroger sur les tendances du moment et celles à venir. Bon, la décennie qui s’ouvre vaut son pesant d’incertitudes, mais le monde est résilient si l’on en croit les écrits qui nous rappellent que la moitié de la population européenne est morte de la peste au Moyen-Age (on est toujours là, très nombreux et désormais on étudie tout, absolument tout avec des moyens considérables : je vous recommande ce livre documenté et drôlatique, Pyschologie de la connerie, pour libérer vos tensions du mois de Janus, un dieu à deux têtes, l’une regardant vers l’arrière et l’autre vers l’avant, le mois qui lui était consacré, januarius mensis, marquant le passage d’une année à l’autre). Je ne vous ai pas perdu ? Et fait intéressant au passage, les vagues suivantes de peste auront eu pour origine une variation climatique (tiens tiens) et seront arrivés d’Asie par les ports. Bref, j’en viens au fait touristique.
Prospective dans le rétroviseur
J’ai repris un formidable rapport, Le tourisme des années 2020, édité par le Conseil National du Tourisme et le Secrétaire d’Etat chargé (énumération)… et du tourisme, publié voilà une dizaine d’années. Il constituait une forme de suite au rapport Réinventer les vacances : la nouvelle galaxie du tourisme réalisé par le Commissariat Général du Plan en 1998. Les premières pages relues dix ans plus tard sont passionnantes car proches de la réalité d’aujourd’hui. En voici un extrait.
« En guise de préambule : Mes vacances en 2020, Paris, le 6 août 2020. Nicolas, Marianne, et leurs deux enfants, ont décidé cette année de partir en vacances dans un nouveau Resort écologique sur le littoral Nord de la France, recyclage de l’eau et de l’énergie garantis. En cette année 2020, avec le réchauffement climatique (la température moyenne a progressé de 1,5° depuis le début des années 2000 alors qu’elle avait progressé de 0,6° au cours du XXe siècle), les différences de température, et les avantages climatiques du Sud ne sont plus déterminants. Du coup, le sud semble avoir perdu le monopole des vacances estivales. Depuis la réduction drastique des vols courts et moyens courriers, les annonces répétées du déclin des réserves de pétrole, et les incitations à limiter les déplacements en voiture avec la mise en place de la Carte Carbone, la famille ne se déplace plus qu’avec des Renault H2 qui fonctionnent uniquement à l’hydrogène ou en TGV, pour participer, affirme Marianne, à la réduction des émanations de CO2. Et d’ailleurs, elle a vendu, il y a trois ans, sa voiture personnelle au profit d’un abonnement à un service de voitures propres en temps partagé. Elle a aussi l’intention d’être plus vigilante que l’année dernière afin de ne plus dépasser son capital de points de pollution.«
Tout est là ! L’importance écologique, le flyskam, le retour du train, le covoiturage et l’abonnement aux moyens de mobilité. Le vocabulaire a changé : de réchauffement climatique on est passé à urgence climatique. Belle vision prospective. Que l’on retrouve dans la conclusion qui préfigurait notre Internet de Séjour (clin d’oeil à mes amis Pierre et Ludovic), on admire la désuétude du mot baladeur numérique : « Le soir, de retour à la résidence, exténué par une après-midi shopping, elle prend connaissance du MMS « la suggestion du jour » reçue dans l’après midi, et se connecte au portail InfoOpale avec son baladeur numérique pour regarder en détail l’excursion proposée le lendemain ; une journée au vert après une telle frénésie marchande fera du bien à toute la famille ! »
Airbnb, les réseaux sociaux, la réforme territoriale, le smartphone compagnon…
Et comme dans toute prospective, des idées inscrites au long surgissent dont certaines sont aujourd’hui vérifiées (« Depuis une dizaine d’années, le Kilimandjaro n’est plus coiffé de neige ») et d’autres non (« Conformément aux prévisions de l’OTCP/Office de Tourisme et des Congrès de Paris, 2 millions de touristes Chinois visitent Paris cette année« ). Ou encore, l’annonce d’un tunnel reliant Gibraltar à Tanger en 2025. Rien sur les migrants qui périssent en Méditerranée, le Brexit, le sur-tourisme, l’importance du logement chez les particuliers via des plateformes mondiales, ni sur l’évolution privative et surveillante du web. Le document dans son ensemble pointe cependant très bien la segmentation de l’offre et de la demande, ainsi que la prégnance du web.
Bon, et en 20vin ? Tel un devin, je peux vous assurer qu’en 2020 : 100% des touristes seront partis ! Et ils prendront toujours plus de photos, entrant encore plus dans l’intimité des gens. Mais ce n’est pas nouveau quand je regarde ce tableau danois. Et Airbnb et cie, qui mobilise 60 000 hébergements à Paris, son premier parc mondial, sera au coeur de nombre débats pour les élections municipales. Plus sérieusement je vois quelques confirmations de signaux émergeants dont voici une liste qu’il conviendra de reprendre plus tard.
Face aux grands bouleversements de la décennie, les plateformes d’hébergements, les réductions de la vraie liberté de penser et d’échange en sérénité que les réseaux sociaux noient, les mobilités énoncées comme douces (extraction du lithium mise à part et sauf dans le cas d’un choc avec une trottinnette fougueuse), nous irons probablement en Europe vers un tourisme protectionniste et qualitatif. Amsterdam veut choisir ses touristes, Venise n’en peut plus, Anne Hidalgo veut éloigner les autocars de tourisme du centre ville… A la mondialisation annoncée comme radieuse depuis Reagan et Tatcher succède un doute européen. Si l’Europe a été championne du monde du tourisme et qu’elle accueille encore plus de la moitié des voyageurs internationaux, c’est parce qu’elle était organisée pour cela. Maintenant, on investit partout pour le tourisme ET les transports : la Chine prévoit de doubler le nombre de ses aéroports d’ici 2035. On peut pédaler autant qu’on le souhaite en Europe, la planète continuera à tousser !
Le tourisme genré se développera : aux tour-opérateurs strictement réservés aux femmes, s’ajoutent des destinations exclusives pour elles ainsi que des hébergements spécifiques. Regardons le succès de Copines de voyage, La Voyageuse, ou l’hébergement SomHotels, de même que l’île SuperShe qui n’accueille que des femmes, payant fort cher leur séjour. Du côté des hommes, le mouvement s’installe progressivement : voir le camping La Fierté au Québec.
Vers des communs
Les communautés associées autour d’un projet commun, souvent en lien avec une déprise de la consommation et la reprise en main d’auto-productions alimentaires et de bienveillance à l’égard de la planète s’affirmeront. Y compris dans le tourisme, davantage chargé de besoins relationnels, d’épanouissement par des gestes et moments simples, dépouillés du clinquant des années touristiques 70 et 80, consuméristes à souhait. Une très belle analyse à lire sur les explorations en cours sur le thème des communs et la remise en cause de la propriété : Le siècle des communs dans Usbek & Rica.
En matière d’attractivité, il y a encore un long chemin à parcourir pour rendre les villes et les destinations agréables et fonctionnelles tout au long de l’année, tant pour les habitants que pour les visiteurs. Une étude intéressante, Glocal Map souligne les perceptions des Français quant aux caractères attractifs et répulsifs des villes. La lecture touristique n’est jamais loin.
« Les villes où les personnes déclarent le plus vouloir vivre si elles en
avaient les moyens sont les métropoles littorales de l’Ouest (Bordeaux,
Nantes, La Rochelle, Biarritz) et du Sud (Montpellier, Perpignan) ainsi que
les villes situées dans les Alpes, à l’exception notable de Grenoble. Les
lieux de retraite (littoral, zones rurales du sud-ouest) sont privilégiés dans
les représentations des espaces où il ferait bon vivre. » Vincent Gollain, dans son excellent blog en fait une analyse qu’il convient de lire.
Le prédictif pour inciter le prospect touristique à passer à l’action deviendra certainement une tendance forte. Regardons nous chacun au moment de réserver un voyage : pourquoi prendre son billet tel jour alors que son tarif est susceptible d’évoluer sensiblement ? Face aux effets du yield management, l’attentisme prévaut. Et les réservations promptes sont maintenant moins garantes de tarifs intéressants que la dernière minute. Le comparateur Algofly affiche l’évolution tarifaire des prix aériens. Et il annonce que le prix d’un voyage peut varier 600 fois dans une année ! J’attends avec impatience que l’intelligence entraînée nous publie les comparaisons passées et en temps réel des prix des hébergements et de tous les transports. D’experts en destinations et constructions de nos propres séjours, nous allons le devenir en tarification.
Le retour du sens documenté loin du branding
En matière de contenus touristiques, autant dans les traitements que dans les sujets, on assistera à l’émergence de la douceur et de la bienveillance. Dans le graphisme c’est déjà le cas, avec quelques concepts à l’oeuvre, la couleur rose, le retour de typographies audacieuses, la RSE en stimulation créative, l’apparition de marques polymorphes. De bons signes ici sur l’excellent site documenté La Réclame.
Dans les contenus informatifs, il ne m’étonnerait pas que l’on conjugue de nouveaux longs développements, à haute valeur ajoutée, à fort impact sur les consciences. Plus le monde tourne bourrique en raison de leaders à l’égo hyper testotéronné (le repli de la voix américaine conduit à la hardiesse de régimes qui font reculer les démocraties), plus les citoyens peuvent et veulent se retrouver dans des temps longs collectifs, intelligents et bienveillants. Lisez ce beau documentaire du quotidien espagnol El Pais sur la Finlande : rien n’y est touristique et pourtant on a aussitôt envie de se rendre sur place. Heureusement, les jeunes citoyens du monde prennent la parole avec l’impatience de leur âge et aussi générée par les réseaux sociaux.
Je termine ici sans en avoir fini pour autant, par un regard sur la sécurité. Nous serons toujours plus enclins au confort ET à la sécurité. Ayant récemment relu l’intégrale des oeuvres de Nicolas Bouvier qui poussent à la transcendance touristique vers le voyage au cours duquel on en apprend plus sur soi-même que sur les pays traversés, je constate combien son monde des années 1950 à 1970 paraissait bien plus sûr que celui d’aujourd’hui.
Une carte pour solidifier tout cela, celle de SOS International qui publie en vert et jaune les pays sûrs pour les voyageurs. Très bonne année 2020 chers lecteurs et excellents voyages au contact des natures humaines et terrestres qui n’ont pas fini de meubler nos journées et nos rêves.