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Brice Duthion analysait avec malice dans cet article la nouvelle antienne autour de l’innovation qui jalonne et qui ponctue désormais tous les schémas de développement touristique. C’est d’ailleurs une tradition bien française qui consiste tous les 5 ou 10 ans à formaliser une fringante prospective touristique pour tout territoire administratif qui se respecte. Et ceci, le plus souvent avec une approche cartésienne imparable qui consiste essentiellement à prolonger les jolies courbes tissées par les observatoires. Innovation par ci, innovation par là, plus de prospective sans innovation semble-t-il…
Prospective ? Innovation ?
Le Wiktionnaire pose les définitions en ces termes :
- la prospective c’est « l’étude des avenirs possibles »,
- l’innovation, c’est « l’action d’innover, fait d’introduire une ou des nouveautés, d’apporter un changement important dans une situation, dans un usage, dans un domaine quelconque ».
La tendance à réduire la prospective à la stimulation de l’innovation se télescope pourtant avec les prises de conscience sociétales et environnementales qui viennent bousculer les « axiomes touristiques » les plus ancrés : développement infini des flux, accroissement de la retombée économique, satisfaction des acteurs, … Guillaume Cromer soulignait avec force dans cet article la nécessité de revenir à « l’étude des avenirs possibles » en intégrant une vision du monde à 360°. L’effort de prospective relève de l’observation certes, mais aussi d’intuitions plus subjectives pour échafauder l’ensemble des scénarii envisageables et pouvoir positionner sa destination en toute connaissance de cause.
Dans ce monde touristique très changeant cette prospective créative doit s’inviter à toutes nos réflexions pour nous donner ce fameux coup d’avance. Au pire, on évitera de s’engouffrer dans des voies semées d’embûches, au mieux on s’adaptera avec aisance et pertinence aux (r)évolutions.
La fameuse agilité de nos organismes locaux de tourisme réclame cette vision éclairée de l’avenir que je vous propose de nommer prospective stratégique.
Force est de constater qu’elle est rarement structurée dans nos organisations et bénéficie de moyens très limités. Bien entendu les réseaux et les colloques forment des espaces propices à la prospective et peuvent alimenter la réflexion d’une structure. Pour passer à la prospective stratégique, directement opérationnelle sur le terrain, une approche spécifique s’avère néanmoins indispensable.
Mais comment provoquer, mettre en place et gérer la prospective stratégique dans nos chères structures ?
Mine de rien, cette question interroge nos organisations et leurs modes de management. Pour faire simple je vous propose de comparer la structure classique pyramidale et l’organisation par processus.
Dans les structures pyramidales (ou verticales) classiques, disons… 95% des cas 😉 , c’est le chef, adoubé par ses élus, qui propose sa vision, en assume la paternité, la détient et en est le gardien zélé. Bien sûr, la prospective s’élabore parfois de manière plus collaborative… ou pas…
Les objectifs opérationnels qui déclinent la stratégie sont alors divisés par silos fonctionnels comme par exemple : Communication, Promotion, Accueil, Numérique, etc.
Au risque pour les collaborateurs de se focaliser uniquement sur leurs objectifs « silo », et de perdre la vision « mission » qui pourrait être plus mobilisatrice et responsabilisante.
Dans les organisations structurées en processus, la prospective s’inscrit dans le pilotage de chaque processus ou grande mission. Elle offre ainsi une perspective globale centrée sur le bénéfice client, où chaque silo fonctionnel est invité à apporter ses compétences et ses moyens.
Dans mon article sur les « raisons d’être » des offices de tourisme, je vous racontais comment les directeurs alsaciens avaient structuré ensemble leur prospective stratégique autour de 3 processus majeurs à construire :
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le design d’offre -> stimuler et/ou produire une offre donnant de la substance et du sens au positionnement de la destination ;
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le marketing territorial -> participer ou initier le marketing territorial de la destination, capitaliser sur la marque-destination et travailler la fidélisation, travailler sur l’attractivité globale ;
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la communauté d’accueillants -> mobiliser et animer une communauté d’habitants et de prestataires pour développer l’esprit d’accueil dans une logique d’accueil global.
On voit dans cet exemple que ces processus proposent un cadre de réflexion stratégique pertinent et pragmatique. Chaque acteur, chaque partenaire peut se projeter plus facilement grâce à une vision « grand angle » centrée sur la satisfaction client plutôt que sur la qualité de service (un sujet à part entière…).
Oser l’organisation par processus (oui c’est un vrai changement) favorise la prospective stratégique qui est aujourd’hui cruciale pour toutes nos structures. C’est ma conviction.