Il y a quelques jours j’étais invité à témoigner à la Convention ADN Tourisme « Acte I : pour un tourisme positif » à Marseille, autour de la thématique « Des territoires vivants : comment intégrer les habitants à la dynamique touristique et renouveler l’offre ? »
J’ai à cette occasion évoqué les choix stratégiques d’un certain nombre de territoires et de collègues qui ont mis les habitants au centre du jeu, je pense notamment au Seignanx avec Jérome Lay, au Comptoir des Loisirs à Evreux (poke à mon néo voisin Christophe Gavet), au Comptoir Local Aunis Marais Poitevin, n’est-ce pas Julie Touya, et plus récemment à plus grande échelle avec la mutation opérée par le CRT d’Occitanie qui est devenu le Comité Régional du Tourisme et des Loisirs avec Jean Pinard aux manettes.
Enfin, last but not least, l’excellente MONA déroule depuis des années une méthodologie à tiroirs pour aider les OGDs à travailler sur ces sujet.
Bref les initiatives ne manquent pas, et sont appelées à se renforcer dans les années qui viennent, aussi bien pour favoriser la consommation intérieure que pour répondre dans certains territoires au tourisme bashing, qu’il soit justifié ou pas.
Mais finalement à la réflexion je réalise que ce questionnement autour de l’intégration des habitants laisse de côté un certain nombre d’aspects, qui méritent d’être soulignés.
L’habitant victime, ou bourReau ?
Notre réflexion depuis quelques années a progressivement glissé vers une posture défensive, la vox populi, les media et les réseaux sociaux ayant converti le « touriste » en agresseur donc en « méchant », les habitants étant les « gentils ».
Mais le sont-ils tant que cela ? Plusieurs exemples m’incitent à douter d’une version aussi manichéenne :
Le « surtourisme » est très souvent d’origine locale, et des calanques marseillaises aux sommets du Pays Basque il suffit de regarder les plaques d’immatriculation et d’écouter l’accent des promeneurs pour identifier d’où ils viennent majoritairement. Et cette tendance s’est encore renforcée après les confinements successifs. Les politiques publiques encouragent à juste titre un tourisme local et de proximité, mais le corollaire en est une surfréquentation « locale » tout aussi destructrice qu’une surfréquentation « exogène ». D’où l’intérêt dans les cas extrêmes de démarches de démarketing comme celle menée par le PNR des Calanques, dont les résultats semblent prometteurs, et aussi d’actions de pédagogie et de médiation en direction des différents publics visés (scolaires, randonneurs…)
Autre sujet clivant, l’immobilier. Dans nombre de territoires attractifs touristiquement parlant il est de plus en plus difficile de se loger à des prix « décents », en montagne, dans les stations littorales et les villes proches de l’Atlantique ou la Méditerranée. Sont montrés du doigt pèle-mèle Airbnb, les agents immobiliers, les touristes et résidents secondaires, qui contribuent en effet à ce phénomène. Mais au fait, qui préfère louer à des touristes plutôt qu’à des habitants ou des étudiants? Qui préfère vendre son bien ou son terrain à prix d’or à des citadins aisés plutôt qu’à des locaux à un prix plus bas ? La réponse est dans la question…
D’autres exemples peuvent compléter cette démonstration, de l’emprise sur la ressource en eau à la production de déchets, de la nécessaire consommation locale à la prise en compte des mobilités douces sur un territoire, les visiteurs ne sont pas toujours moins vertueux que les locaux. Ceux qui sont convaincus et engagés sur ces sujets le sont aussi bien chez eux que sur leur lieu de vacances, et c’est plutôt rassurant.
Bref pour paraphraser Jean Paul Sartre « l’Enfer c’est les habitants »
Caricatural évidemment, d’autant que cela amène une autre question, qu’est-ce qu’un habitant ?
Habitant, mais qu’est-ce qu’un habitant ?
Il y a quelques années déjà nos voisins et amis de Copenhague avaient théorisé la fin du tourisme et de la dichotomie touriste/habitant pour la remplacer par un autre découpage beaucoup plus pertinent aujourd’hui celui entre résidents « permanents » et résidents « temporaires ». Ils allaient même beaucoup plus loin que cela, Pierre Eloy l’avait décrit dans ce billet, il y a 5 ans déjà.
Mais il existe au sein même d’une population beaucoup d’autres clivages, plus ou moins assumés, plus ou moins avouables. Pour avoir vécu dans des villages savoyards, pyrénéens ou basques j’ai expérimenté « en live » le clivage entre les « natifs » et les autres, parfois renforcé par le clivage entre « ceux qui parlent la langue locale » et ceux qui ne la parlent pas. Il va de soi que dans ces cas-là le « non natif » n’est pas tout à fait un habitant comme les autres. J’ai eu l’occasion de me faire traiter de « touriste « sur un chemin de randonnée en moyenne montagne à 3 km de chez moi, et connais le caractère très relatif du statut d’habitant.
Relative aussi la situation de tous ces « habitants » en marge, personnes en précarité sociale, migrants, réfugiés, personnes incarcérées… Pour ceux là la question n’est pas la cohabitation harmonieuse avec les visiteurs, nous aurions pourtant beaucoup à faire pour permettre à ces catégories de se sentir habitants ou aussi touristes sur leur propre territoire de vie.
Et les habitants non humains ?
Que l’on habite en ville ou en zone rurale nous ne sommes jamais seuls sur nos lieux de vie et/ou de vacances. Le confinement strict du printemps 2020 nous a en outre révélé qu’une faune insoupçonnée revenait peupler nos centres bourgs dès qu’on lui fait de la place, et qu’il suffisait d’ouvrir les yeux. Alors bien souvent le « touriste » ne fait qu’ajouter une pression supplémentaire sur les écosystèmes. J’ai d’ailleurs choisi pour illustrer ce billet des photos d’animaux avec qui nous partageons nos terrains de jeux, et qui eux aussi se moquent complètement de notre dichotomie tourisme/habitants, ils ne voient j’imagine la plupart les humains que comme l’espèce qui complique et menace le plus leur propre existence.
Et pourtant pour finir sur une note d’espoir il existe des circonstances ou touristes et habitants peuvent trouver un but commun pour protéger des espèces et des écosystèmes, c’est le cas par exemple en Afrique et en Asie où l’accueil de touristes permet de sauvegarder les rhinocéros par exemple, en proposant une alternative aux populations locales pour vivre en faisant découvrir cet animal mythique plutôt qu’on le braconnant.
Alors en définitive, tous habitants ?
Et soyons humbles, le tourisme et les loisirs quoi qu’on en dise c’est un luxe…
J’ai été élevé selon la règle des trois nécessités, an tri ré, en breton c’est-à-dire de quoi manger, de quoi se vêtir et un toit sur la tête. Le reste c’est du supplément, ce qui n’empêche pas d’essayer de l’avoir si l’on veut, d’ailleurs. Pierre Jakez (le Cheval d’Orgueil, Terre humaine)