Cet article a été écrit à quatre mains par Paul Arseneault et Jean-Luc Boulin, co-présidents des Francophonies de l’Innovation Touristique.
Nous voilà vers la fin de la saison touristique estivale, et déjà des bilans sont portés par divers commentateurs, nous expliquant doctement pourquoi la reprise du tourisme en 2023 est une engeance et laisse présager l’envahissement inéluctable de nos territoires touristiques par des hordes de barbares. Disons le mot qu’on aurait pu croire disparu : surtourisme! Ironiquement, alors que nombre de commentateurs et médias scrutent avec insistance les effets délétères de ce surtourisme supposé, la baisse du tourisme local est encore plus déplorée à la faveur de la reprise du tourisme international.
Il est vrai que la crise sanitaire a mis en exergue de nouvelles inquiétudes sociétales. Des questions environnementales – voire de l’écoanxiété – à l’emploi en passant par le développement territorial, le tourisme et son industrie se retrouvent en position délicate, parfois même pointés du doigt. Comment défendre une croissance du tourisme perçue comme hors de contrôle par l’opinion publique?
Et si le problème venait juste d’un manque de vision ?
Imaginons un instant que cette situation problématique s’expliquerait – à tout le moins en partie – de ce que le tourisme peine historiquement à définir et à exposer ses aspirations. Cette hypothèse semble se confirmer quand on observe les orientations publiques en matière de redynamisation du tourisme, de plans de développement territoriaux et ou encore des démarches visant à promouvoir le tourisme local. Et le tourisme à tendance à embarquer dans la valse en donnant des explications simples et à chaud sur la saison qui s’achève et comment elle se compare à l’année précédente. Peu de recul, aucune vision à long terme!
De la même manière, les politiques publiques liées au tourisme sont souvent élaborées de manière arbitraire, parfois influencées par des considérations éphémères – souvent liées à la conjoncture immédiate – ou des intérêts politiques à court terme. Ce qui nous a valu cet été une prise de position d’élus nous expliquant la loi de Pareto de la fréquentation touristique en France… Il devient alors évident que le développement touristique ne doit plus être régi par des impulsions sporadiques. Les approches réactives basées sur les humeurs citoyennes et les statistiques à court terme ne suffisent plus à façonner un avenir durable pour le tourisme.
Regardons tout ça de plus près. Comment opère-t-on, de façon générale, en matière de planification du tourisme à l’échelle des territoires? La collectivité concernée lance un appel d’offres pour réaliser son « schéma de développement touristique » (en France) ou son « plan de développement touristique » (au Québec). Malgré les différences terminologiques, les méthodologies sont souvent semblables : un diagnostic par le consultant, des ateliers participatifs, éventuellement un sondage en ligne, le tout pour répondre aux problématiques exposées dans le cahier des charges de l’appel d’offres.
Prenons par exemple ces directives tirées de vrais cahiers des charges, livres de recettes mille fois utilisé depuis des décennies :
- “Positionner [nom du territoire] comme une destination de choix pour nos marchés prioritaires.”
- “Élaborer un plan de développement et un plan de marketing de l’offre touristique de [nom du territoire].”
- “Mobiliser, fédérer et accompagner les acteurs touristiques autour d’un projet partagé et renforcer les partenariats existants.“
- “Identifier les composantes et les acteurs, les caractéristiques et enjeux du développement d’un Tourisme durable responsable en [nom du territoire].
Pouvez-vous associer ces objectifs aux territoires suivants : Outaouais, Hérault, Montérégie, Estuaire et Sillon… ? 😃
La majorité de ces schémas présupposent une notion de développement, même s’il est qualifié de durable. Personne ne parle de “gestion durable du tourisme”, par exemple… Rares sont les cahiers des charges qui interrogent largement au-delà du secteur touristique, par exemple sur la qualité de vie des habitants. Ainsi, les prémisses sont déjà biaisées, puisque que l’on réfléchit en silo avec une perspective “tourisme” et avec un apriori de “développement”, donc de croissance, même si elle se prétend durable. Cette situation est hautement problématique!
Schéma participatif ?
L’autre aspect problématique de ces schémas ou feuilles de route concerne la participation des parties prenantes à la définition du projet. Qu’en est-il de la participation des citoyens, de la société civile ou encore des partenaires économiques dans ces projets ? Certes, beaucoup de progrès ont été enregistrés ces dernières années, et à la fois les cabinets de conseil comme les donneurs d’ordre ont à coeur de lancer des ateliers participatifs, des sondages, de donner la parole aux acteurs locaux et aux citoyens.
Mais cela est-il réellement et complètement efficace? Le système nous semble parfois pris à son propre piège : à multiplier les ateliers d’expression collective, les séances de créativité et les réunions post-it, n’arrivons-nous pas paradoxalement à démobiliser les acteurs? Tel responsable associatif pourra être sollicité en même temps par sa commune, son office de tourisme et son intercommunalité pour participer à des réflexions inclusives et participatives, toutes menées en silo malgré la prémisse de collaboration et de cocréation! Idem pour les acteurs du tourisme qui sont de moins en moins présents dans ces ateliers, car trop sollicités et méfiants de ces démarches qui se succèdent sans rarement changer grand-chose à leurs opérations.
Participer ou vibrer ?
Le résultat final de la participation collective à un schéma s’exprime souvent sous forme de pourcentages [du type « 80% des participants souhaitent le développement de la randonnée»], accompagnés de quelques verbatims. Théoriquement utiles pour le décideur, ces contributions sont-elles par la suite adoptées par les parties prenantes, qui ont participé aux débats? Combien parmi ces citoyens, ces responsables associatifs, ces prestataires touristiques impliqués de près dans l’élaboration du schéma s’écrieront ensuite, d’un air des plus sincères, « C’est véritablement notre schéma ! » ?
Et c’est une limite de cette approche de cette approche historique de la planification du développement : l’absence d’appropriation de la réflexion par la majorité de la communauté concernée par le projet. La question se pose alors : comment faire en sorte que chaque partie prenante s’identifie au projet et ressente une réelle connexion ? Il faut innover, se réinventer, pour que le projet de territoire, le lien au tourisme et à la vie quotidienne soit vraiment porteur de sens pour tous. Il faut quelque part, que les participants à l’élaboration du schéma, ou de la feuille de route participative aient vibré. Qu’ils aient intégré au fond d’eux-mêmes l’envie de cocréer. Qu’ils ressentent comme leur ce projet collectif. Qu’ils soient invités à y contribuer et à le faire vivre.
Impliquer réellement la communauté et lui permettre de s’emparer du projet, voilà l’objectif. Belle incantation nous direz-vous, mais pas évidente à mettre en œuvre!
C’est pourtant le pari que porte l’association “Les Francophonies de l’Innovation Touristique” qui réunit de chaque côté de l’Atlantique des experts du tourisme. Ceux-ci sont pour leur majorité consultants et ont participé à la rédaction de bien des schémas qui portent les lacunes citées plus haut. Ils ne peuvent donc pas être taxés de donneurs de leçons… Mais de leur réflexion est sortie une envie de faire différemment, plus collectif, et plus dynamique.
Pour vous présenter cette nouvelle vision, rendez-vous la semaine prochaine dans ces colonnes : vous en saurez plus sur le prochain rendez-vous innovant dans la planification touristique!